Parmi ses grands frères en littératures, notamment de ceux qui le conduisirent de l’autre côté de l’Atlantique, Olivier Adam cite irrémédiablement Philippe Djian. D’ailleurs, le romancier breton met en exergue de son dernier roman, Des vents contraires, les paroles du chansonnier de Stephan Eicher : « On ne refait pas sa vie/On continue seulement/On dort moins bien la nuit… » L’imparfait en moins, Philippe Djian aurait pu introduire Impardonnables avec ces mêmes mots, ses mots.
Son héros, Francis, a vu disparaître trois de ces femmes : voici plus de dix ans, son épouse et sa fille aînée sont mortes dans un accident de voitures. Lui est resté Alice. Mais, sa fougueuse (fugueuse ?) cadette, entre temps devenue mère et actrice, vient d’être portée disparue. « Est-ce qu’un père pouvait perdre ses deux filles à douze ans d’intervalle ? Le sort pouvait-il s’acharner ainsi ? » (p 29) se demande Francis, un œil sur ses petites filles, l’autre sur son clavier de romancier et ses livres délaissés. Le « sort s’acharne » d’autant plus que même celle qui symbolisait le « printemps » après l’accident, celle qui aurait du être son havre de paix, Judith, lui cause beaucoup de soucis. Agente immobilière de profession, la seconde femme de Francis traverse sans cesse la frontière, vend toute la Côte espagnole à de riches Russes… si bien que lorsqu’elle franchit la porte de leur maison, ce n’est qu’un coup de vent et elle se fait uniquement super-grand-mère qui lit Jane Austen à ses petits enfants. Pour discuter lors de ses longues veillées d’angoisses, le narrateur n’a plus qu’Anne-Marie, A.M, une vieille amie de lycée qu’il a engagée comme détective pour retrouver sa fille.
Le repos n’est pas permis à Francis, aussi Impardonnables ne sera guère le récit d’un vieux romancier préretraité en pays basques… Ecrit du point de vue du personnage principal, largement au style indirect libre, le roman mêle, comme dans le cerveau de l’analysé, évènements vécus et souvenirs douloureux. « Inventer une histoire est sans importance, seuls les mots comptent » disait l’auteur dans un entretien accordé à Télérama. Effectivement, dans Impardonnables, le suspens ne se loge pas dans le futur du personnage, -tout est d’avance annoncé- mais dans un passé évoqué par ellipses puis peu à peu épluché… L’intrigue trop vite dénouée n’a d’équivalent que les mots employés pour la noyer… Ce que Philippe Djian dit à Télérama, Francis, écrivain lui aussi, l’explique mieux encore, enfoncé dans le vieux canapé de son idôle, Hemingway (”Ernesto“) : « Aucun peintre, aucun musicien n’arrivait à la cheville d’un musicien. Tout le monde le sentait bien. Il m’arrivait de serrer si fort les dents au milieu d’une phrase que la pièce tout entière se mettait à siffler. Hemingway ne disait pas autre chose. L’herbe ne verdissait pas toute seule. Le paysage ne filait pas derrière la vitre par enchantement. » (p 132).
De telles assertions pourraient être pesantes si l’anti-héros qui les développe n’était pas, aussi noyé qu’il est dans sa douleur, doué d’humour… Judith le dit elle-même : Francis est l’un des “écrivains les plus drôles du monde” (p 183). Quand Olivier Adam est touchant, émouvant et paradoxalement ”frais” dans son imparfait employé consciencieusement -mais pas mois habilement-, Philippe Djian fait figure de vieux routier, clown triste qui, du haut du balcon de sa villa basque, se moque des autres comme de lui-même. Deux livres à lire donc.
Impardonnables, Philippe DJIAN, aux Editions Gallimard, 233 p, 22 janvier 2009
“Puis Judith m’avait appelé de Madrid, dans l’heure qui suivait, pour me parler de mon manque de coeur. Le culot de cette femme.” (p 24)
Marie Barral
Article paru dans la Boîte à sorties le 21 janvier dernier.
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