Le Cas Blanche Neige (Comment le savoir vient aux jeunes filles)
Actuellement, l'Odéon se concentre sur le dramaturge Howard Barker. Après Le Cri (Gertrude) que La Boite à sorties avait chroniqué, c'est Le Cas Blanche Neige qui se joue en ce moment sur ses planches. Pour tous ceux qui veulent en savoir plus sur « la manière dont le savoir vient aux jeunes filles » (d'après le cas particulier de Blanche Neige). Et pour tous les autres.
La pièce s'ouvre sur la « scène originelle » justement. La « reine nue » est dans la forêt, entre les cuisses d'un bûcheron. Qu'ils soient artisans, rois ou princes, aucun homme ne saurait résister à l'emprise de cette femme. Avec ses hauts talons aiguilles, sa robe bleu turquoise moulante et ses formes qu'elle met en valeur par une marche altière savamment balancée, la Reine quarantenaire nargue le sexe opposé. Son âge devrait-il être un frein à son pouvoir de séduction ? Bien au contraire. Les années confèrent à sa Majesté un savoir, et du coup un froid détachement, que Blanche Neige, toute fraîche, ne peut que lui envier.
Mais, à la différence du conte, c'est sur la cruelle belle-mère que se concentre la pièce. Pour s'infiltrer dans les mythes et autres légendes de la littérature, Howard Barker s'est fait une spécialité des personnages secondaires. En reprenant Hamlet de Shakespeare, Le Cri (Gertrude) se centrait sur Gertrude, la mère du Prince. Elle aussi, toute quarantenaire qu'elle était, narguait les hommes du haut de ses talons aiguilles, leur jetait des regards froids tout en les attirant et tombait enceinte à l'âge où, dans les contes et les tragédies, les femmes sont grand-mères. Femmes fatales, femmes royales, les personnages de ces deux pièces souffrent du syndrome de Peter Pan, et ce faisant, décontenancent leurs enfants qui, eux, aimeraient accéder à l'âge adulte.
Une histoire intemporelle dans une mise en scène sobre et moderne de Frédéric Maragnani. Avec la royale Marie-Armelle Deguy pour souveraine.
Le Cas Blanche Neige, au Théâtre de l'Odéon, Ateliers Berthier, Paris 17e, Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier – 17e, Métro porte de Clichy, jusqu'au 20 fev, du mar au sam 20h, le dim 15h, Plein Tarif : 26 € Jeunes moins de 26 ans*, étudiant, RMiste : 13 € (Justificatif indispensable). loc : 01 44 85 40 40.
Un cri d'extase au théâtre de l'Odéon en ouverture du cycle H. Barker
Le cri de jouissance de Gertrude, cet hurlement tellurique et puissant qu’elle a poussé sur le cadavre du Roi du Danemark, Claudius en est obsédé. Il fera tout son possible pour le faire ressurgir de la gorge de son amante. C’est avec ce même hurlement orgasmique que le théâtre de l’Odéon entame le cycle « Howard Barker ». Le Cri (Gertrude) y est joué jusqu’au 8 février.
Dans l’Hamlet de Shakespeare, Claudius monte sur le trône du Danemark suite à la mort de son frère. Quelques semaines après, le nouveau roi se marie avec la reine Gertrude… Le spectre de l’ex-souverain apparaît alors à son fils, le Prince Hamlet, pour lui révéler le fratricide. Dès lors, Hamlet se fera passer pour un fou pour venger son père.
Howard Barker ne s’encombre pas du mystère du meurtrier. La pièce du dramaturge britannique contemporain s’ouvre avec la jouissance des deux amants sur le cadavre du Roi : Claudius était bien l’empoisonneur, Gertrude sa complice qui a achevé la victime par son cri orgasmique. Dès lors, le hurlement d’extase de la reine sera le spectre de Claudius. Sans cesse, il cherche à le recréer. Au cimetière, dans le salon ou dans la chambre du nouveau né, l’amant s’interroge : ce cri est-il d’amour ou de souffrance ? Est-il Gertrude ou la dépasse-t-il totalement ?
Cette obsession est partagée. Pour Hamlet, il signifie combien sa mère est une « salope » ; d’ailleurs sa jupe trop courte et ses hauts talons attestent de son immoralité :
"Le monde est plein de choses que je ne comprends pas mais d'autres à l'évidence les comprennent par exemple ces chaussures ont des talons d'une hauteur si extravagante comment peut-on espérer bouger sans disloquer son anatomie entière c'est comme si vous méprisiez votre corps [..]"
Pour la veille Isola aussi, la reine est une « prostituée » et Claudius, son fils, doit en être protégé. Isola fait d'ailleurs tout pour que Gertrude s’offre à Albert, duc de Mecklenburg, autre homme avide du cri. Mais si courte soit sa jupe, la belle n’en est pas moins libre…. Avec Claudius et contre tous les querelleurs et les moralistes, elle poursuit, toujours insatisfaite, sa quête, et ce faisant, sème la mort comme la vie…
Anne Alvaro joue sur scène cette souveraine passionnée. Détachée et attirante, elle venge, à plusieurs siècles d’écart, la Gertrude d’Hamlet à laquelle Shakespeare n’avait consacré que quelques lignes. Vengeance froide et, au regard de l'intellect, bien inutile, car du XVIIème au XXe, de Shakespeare à Barker, la souveraine est toujours tout aussi mystérieuse, fuyante, insaisissable comme son extase.... Sur le plateau, valsent les meubles, les arbres et les murs des cimetières. Plus rapidement encore et comme dans un rêve, tournoient les nuisettes de la reine. Quant aux hommes, ils sont comme des araignées aux armoires. Entre les deux dramaturges anglais, la psychanalyse, qui a lié pulsions de vie et pulsions de mort : les spectateurs sont plongés dans un Inconscient, peut-être celui-de la reine d'où surgit le cri...
« J'appelle mes pièces des tragédies, elles ne sont pas horribles, elles sont euphoriques, cruelles et joyeuses à la fois » dit Howard Barker. Le Cri (Gertrude) est bien de celles-ci, affreuse logique destructive dans laquelle, sous les amants, les cadavres s’empilent un à un, tandis que le public, lui, rit. Et, sortit de l'Odéon, attendra avec impatience la deuxième pièce du cycle : Le Cas Blanche Neige (le 4 février aux Ateliers Berthier).
Le Cri (Gertrude), théâtre de l'Europe (Odéon) mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti, jusqu'au 8 février, de 30 à 7,50 euros. Du mardi au samedi 20h, le dimanche 15h, 2h45 sans entracte, place de l'Odéon, Paris 6e. Métro Odéon.
Marie Barral
Articles parus sur en3mots.
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