mercredi 21 décembre 2011

« La plus belle histoire des femmes », Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski et Nicole Bacharan

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

A une époque où le droit des femmes semble acquis, si ce n’est dans les faits en tout cas dans sa philosophie, il est bon de rappeler le chemin parcouru. Cela permet aussi de savoir que nous ne sommes pas au bout de la route tant la domination masculine a structuré l’entièreté de nos sociétés et nos cultures : « Partout, de tout temps et en tout lieu, le masculin est considéré comme supérieur au féminin ».

L’échange de ces quatre femmes nous amène à explorer la place de la femme dans les différentes sociétés que ce soit à travers les époques et les cultures et les complexes à l’œuvre depuis la nuit des temps. Ces chapitres intitulés « De la différence à la hiérarchie » ou « Le pouvoir par la violence » sont aussi l’occasion de brèves anecdotes qui en disent parfois aussi long que les théories sociologiques et féministes. Ainsi, à propos de la stérilité qui a toujours porté atteinte à l’identité féminine, Françoise Héritier nous raconte que chez les Nuer d’Afrique occidentale, une femme mariée reconnue stérile rejoignait finalement sa famille en tant que fils et frère, elle est désormais considérée comme un homme : elle peut constituer du bétail et acquérir une ou plusieurs épouses.

Ainsi, il est urgent de rappeler d’où nous venons et de remettre en perspective des thèmes qui restent d’actualité dans nos sociétés modernes, ainsi en est-il de la prostitution qui, rappelons-le, n’a jamais été envisagé comme un choix professionnel parmi d’autres !

« La plus belle histoire des femmes », Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski et Nicole Bacharan, Seuil

jeudi 15 décembre 2011

"Tu verras" de Nicolas Fargues

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Les pages du dernier roman de Nicolas Fargues disent l’insurmontable douleur d’un père face à la perte de son fils adolescent. Lui qui avait tout faitpour garder le petit garçon qu’il connaissait et nié l’adolescent verra son voeu malheureusement exaucé : Clément restera un enfant de douze ans, éternellement.

Et, puisque ce n’est pas le fils qui verra que son père avait raison quand il lui disait de remonter son jean et d’ôter les écouteurs de son iPod, c’est ce dernier qui apprendra ce qu’est une vie brute de douleur et d’une injustice que même les mots peinent à dire. C’est d’ailleurs ce qu’un autre écrivain publié chez POL relevait dans son dernier roman récompensé : si le dur mot d’orphelin existe, il n’y en a point pour désigner ces parents qui perdent un enfant. Une douleur indicible à laquelle s’attaque pourtant Nicolas Fargues.

Alors, pour décrire cette vie vidée d’un sens qui était avant évident, l’auteur suit ce père, sa désolation, ses brusques montées de chagrin et ses souvenirs déclenchés par la moindre canette de Coca traînant sur la banquette d’une voiture. Il aura donc fallu ce drame pour que le narrateur sache quel père il était, quelles erreurs commises, quelles colères injustifiées et comment il apprit à aimer son fils. Et ce cruel aveu : « Aimer son enfant, est-ce en aimer un autre que soi ou bien continuer de s’aimer soi-même, mais sans s’accabler de la mauvaise conscience d’être égoïste ? » . Si cela est vrai, on comprend mieux l’agacement, au bas mot, du parent devant son enfant adolescent, quand il devient un autre que lui, maintenant inaccessible.

Enfin, il y a, délicatement évoquée, la possibilité d’un autre désir souffle dans cette vie dévastée par la disparition d’un être cher. Et cette très belle fin qui parle du désir et dit encore tout l’empêchement d’être heureux : « une page blanche mais rétive à toute inscription ».

"Tu verras" Nicolas Fargues, POL

« Brasiers » de Derek Nikitas

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Lou se croit coupable de l’assassinat de son père : si seulement elle n’avait pas insisté pour qu’il l’amène au centre commercial où elle avait planifié de voler quelques disques. En plus du vol avec préméditation, elle devra vivre avec la responsabilité de la mort de son père… Mais si seulement, la vie tenait à si peu de choses, il ne serait plus question de véritable responsabilité : Derek Nikitas va nous prouver par son récit que la vie, aussi injuste et cruelle soit-elle, a toujours ses responsables, étrangers à ceux qui toujours se croient coupables.

Le premier roman de ce jeune américain est garanti par les extraits de critiques littéraires et de commentaires de quelques auteurs qu’on tient généralement en estime. Ces slogans uniques (« Tout ce qu’écrit Derek Nikitas mérite le plus grand intérêt » , « doit être lu le plus grand nombre de lecteurs possible »…) font souvent l’inverse de l’effet escompté : le livre ne doit-il pas se suffire à lui-même ? Et, toute cette publicité ne risque-t-elle pas de décevoir finalement le lecteur ? Passée cette première barrière, on se rend vite compte en attaquant le livre que, non, « Drek Nikitas ne [nous] devra pas une nuit blanche », contrairement à ce que nous promettait la couverture.

Cependant, on est pris par l’histoire dont on veut connaître la fin, savoir ce que deviendront les personnages et à quel point ils sont maléfiques, pourquoi aussi il le sont. Et finalement, ce qui fait peur au fur et à mesure que l’on avance dans le roman, c’est de découvrir que l’ennemi est intérieur et que les apartés fantastiques et inquiétants dont Lou était la proie deviennent finalement des respirations apaisantes dans une réalité peut-être connue mais si violente.

"Brasiers" Derek Nikitas, éditions Télémaque

vendredi 9 décembre 2011

La Ballade de Pierre Michon, à l’Odéon


A l'Odéon, du 6 au 8 décembre le texte de Pierre Michon le Roi du bois était joué par Bruno Sermonne et accompagné à la viole de gambe. Bien au-delà d’une lecture-musicale, il s’agissait d’une ballade incarnée et vivante, qui révélait toute la poésie et la musicalité de l’écrivain originaire de la Creuse. Une rencontre organisé dans le cadre du cycle "Présent composé" du théâtre.

Une princesse, en forêt, soulève ses jupes pour pisser. Ce menu spectacle, deux êtres l’admirent, trois peut-être : le prince (ou est-ce un marquis ?) qui l’observe négligemment, accoudé à la fenêtre du carrosse, les bras chargés d’autant de dentelles que sa dame n'en a aux chevilles –étoffes qui sont signes, pour lui, de la hauteur de son esprit, pour elle de la douceur de sa chair- ; le jeune porcher, glanant par là, ravi d’observer, en lien et place de ses ineptes bêtes, les poétiques fesses d’une duchesse… ; et enfin le cocher, qui subrepticement, de quelques coups d’œil volés, prend sa part du festin. Ces différents regards symbolisent bien l’ordre d’un monde, et le cloisonnement de ses classes. Le porcher en sortit pourtant, de sa classe, grâce au concours du peintre Claude Le Lorrain, mais ce qu’il vit, derrière les murs de marbres et dans le reflet des argenteries, ne le convainquit pas. Revenu sur ses terres, en plein-air, il maudit le monde.

L
e Roi des bois, n’est pas une simple nouvelle se déroulant au 17e siècle, mais un conte, presque une fable (récit qui sert une vérité générale). Pour sa "lecture musicale", le texte n’est absolument pas lu mais joué par cet homme en costume noir et chemise blanche, qui, sur le minuscule plateau entre la musicienne et sa chaise, dans ce salon Roger Blin peint, doré et élargi d’un miroir, nous promène dans les bois, accompagné de la viole de gambe (basse de viole plus précisément) d’Isabelle Saint Yves d'où surgissent, par le frottement, le frappement des cordes ou de l'âme, des gredins, un sanglier, le joli soulier d’une princesse, ou la rumeur du lointain.

En metteur en scène et acteur aguerri (qui a joué entre autres avec Ariane Mnouchkine, Antoine Vitez ou Olivier Py), par son expressivité, le dynamisme de son jeu et sa capacité, en un clin d’œil, de jongler entre les émotions et les personnages, Bruno Sermonne retranscrit le rythme de cette langue poétique et ciselée qui se développe avec force d'adjectifs, de parenthèses et de disgressions, dans un lyrisme et un enthousiasme intarissable, jusqu'à en devenir haletante et effrénée. Si les textes de Pierre Michon, roi de la vivante description, sont très picturaux, la puissance du comédien, ce manant en costume, aide à dérouler devant nos yeux de grandes fresques forestières où percent non seulement les couleurs, les formes, mais aussi les moindres trouées de lumières. Impressionnistes impressionnants que ces deux peintres, Michon et Sermonne. La femme, Isabelle Saint Yves, ponctue l’œuvre d’une touche de basse de viole – instrument Renaissance par excellence-, ouvre et ferme la ballade par un extrait des Illuminations de Rimbaud, ce même poète dont Pierre Michon avait si sensiblement tiré le portrait (Rimbaud le fils).

"Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique. « Mes amis, je veux qu'elle soit reine ! » « Je veux être reine ! » Elle riait et tremblait. [...]"
Royauté, Arthur Rimbaud

Leur royauté, qui dura toute une matinée, ne fut pas beaucoup plus courte que celle du porcher...

Dans le cadre de l'opération Présent composé, ce soir, 10 décembre : La petite fille du bout du chemin, Lola Lafon, à 18h30 (Paris 6e, place de l'Odéon, métro Odéon, Tarif : 5 euros)

 
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