mercredi 31 août 2011

« Nos cheveux blanchiront avec nos yeux », premier roman de Thomas Vineau

Le premier roman de Thomas Vinau est délicatement divisé en deux parties : le dehors du dedans et le dedans du dehors.


D’abord, c’est un voyage ou peut-être même une errance : un garçon qu’on imagine rêveur et discret, de cette discrétion qui n’efface pas mais acère encore notre envie de le suivre, forcément quelque part. Il est parti parce qu’il aimait, Cendrars justifie ses pas en exergue du récit. Le départ sonne la nécessité, logée au fond de son cœur, de s’éloigner. Alors qu’il se dirige vers le sud, il recueille et aide un oiseau blessé à migrer. Puis, c’est au hasard d’une rencontre qu’il apprend que cette espèce-là ne part pas vers le sud quand viennent les jours plus froids. S’il en était ainsi de tout un chacun : capable d’endurer mais préférant aussi aller où l’on ne devrait pas être ?


Dans cette première partie, il y a bien sûr le voyage, mais il ne faut pas omettre l’amour et de si belles phrases : « Je vais bien. Dis-moi que toi aussi ». Il y aussi cette obsession des chambres d’hôtel où des personnalités sont passées, ont dormi ou sont mortes comme si encore une fois on nous signifiait que nous n’étions que de passage. Mais ce serait alors réduire bien vite la poésie, le tact et la légèreté avec laquelle l’auteur amène cela ; on ferait l’impasse sur les doux méandres de la pensée et l’on gâterait finalement la fragilité de la littérature.


Puis, vient une deuxième partie, le dehors du dedans, différente mais dont on sait qu’elle n’existe que comme la suite du voyage initial. Là, le garçon devenu jeune père raconte les journées avec son fils et sa femme, il nous raconte cette vie simple et lente « à hauteur d’homme » et l’on comprend que, déjà, l’ambition est noble. Le dedans de cette deuxième partie, c’est le foyer, sa chaleur et le dehors c’est l’autre, l’enfant, la chair de sa chair qui oblige à « être là, tout de suite, dans le monde ». Mais le voyage ne résout pas les questionnements, bien heureusement, peut-être les apaise-t-il un peu seulement : « Je crois que nous ne sommes pas faits pour vivre comme nous vivons. Je ne suis même pas sûr que nous soyons faits pour vivre tout court. Mais l’écriture, c’est comme l’amour, ça nous donne une prise valable sur tout ça. A condition de le faire honnêtement. »


Finalement, « Nos cheveux ... », est un livre dont on ose à peine parler de peur de travestir les gestes et les pensées de l’auteur. « Un livre, c’est quelque chose qu’on te donne » : il faudrait en faire autant avec celui-ci, sans rien ajouter.


"Nos cheveux blanchiront avec nos yeux" de Thomas Vinau, éditions Alma

mardi 30 août 2011

Une séparation : divorces dans la société iranienne


Un film sur les écrans depuis juin déjà, mais qu’il est encore temps et largement conseillé de voir, parce qu’il a plus que mérité son Ours d’or (Berlinale 2011) et qu’il est très finement pensé. Voyage à Téhéran…

En guise de prologue, une scène très simple : un homme et une femme, chez le juge, qui veulent se séparer. Elle, Simin, veut quitter l’Iran tandis que lui, Nader, ne peut laisser à Téhéran son père souffrant d’Azheimer. Simin finalement partie chez sa mère, Nader embauche une femme pour garder son vieux père. Dès lors, dans le petit appartement au sol molletonné de tapis persans et aux murs recouverts de livres, deux pans de la société iranienne se croisent… et se déchirent : Nader qui fait réciter son français à sa fille Termeh avant qu’elle ne se rende au collège et que lui-même ne prenne son volant, laissant l’appartement aux mains de Razieh, femme au corps entièrement voilé, crevée par les trajets en bus et toujours accompagnée de sa toute petite fille qu’elle ne peut faire garder.

D’un côté une famille bourgeoise, cultivée et éclatée, de l’autre, une famille religieuse, peu aisée, et dont la mère ne peut pas dire à son mari conservateur et psychologiquement instable qu’elle travaille chez un homme.

Alors, sur le tableau de départ si épuré, s’amoncellent des myriades de fines touches : l’intrigue s’étoffe presque insidieusement tandis que les personnages prennent peu à peu de la chair (comme la discrète et perspicace Termeh) et se plantent à merveille... si bien qu’au deux tiers du film, le spectateur se trouve face à un problème à multiples facettes : conjugal et familial, social, religieuse judiciaire, économique, psychologique, le tout sur fond de luttes de classes et des genres.

Pour parler de son film, Asghar Farhadi raconte une histoire d’éléphant : un tel animal est enfermé dans une pièce obscure et pleine de monde. Chacun est invité à toucher cette grosse masse et à estimer ce qu’elle est. Certains s’imaginent, touchant la patte, avoir affaire à la colonne d’un temple, d’autres à cause de l’oreille, à une feuille d’arbre tropical, etc. La foule s’accordera à dire qu’il s’agit d’un éléphant une fois la lumière allumée. Le film de Asghar Farhadi est ainsi, d'abord insaisissable, car on ne peut en tirer, d’où qu’on le regarde, nulle satisfaisante conclusion (comme cette affaire de l'intrigue portée devant le tribunal religieux…) puis, au final, lumineux, car génial, et parce que le fin réalisateur, sans n'avoir donné aucune réponse, est retombé sur ses pieds alors que le spectateur reste, lui, seul avec ses interrogations...

Une séparation, réalisé par Asghar Farhadi, sorti en juin 2011, avec Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseini.



 
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