vendredi 23 janvier 2009

Des vents contraires, Olivier Adam


La “disparition”, tel pourrait être le thème d’étude de cette rentrée littéraire. Tandis que Philippe Djian raconte dans Impardonnables l’histoire d’un écrivain angoissé par la disparition de sa fille, Olivier Adam se plonge dans le corps d’un homme, écrivain lui aussi, père de famille, lui aussi, dont la femme a disparu voilà plus d’un an. Des vents contraires : un roman touchant qui vient de paraître aux éditions de l’Olivier.


Des Vents contraires commence par un déménagement : un an après la disparition de sa femme, afin de refaire surface, « de recoller les morceaux, de reprendre pied », Paul décide de quitter la banlieue parisienne pour revenir dans son pays natal. A Saint-Malo, il retrouve son frère, la vieille auto-école de ses parents, grâce à laquelle il pourra gagner un peu d’argent et surtout la Manche «immense flaque de lumière » qui le happe… La mer est comme un vivifiant pour ses enfants, Manon 4 ans et Clément 9 ans, comme un repère pour l’homme abandonné : « Je l’ai suivie autant que j’ai pu, je conduisais les yeux rivés sur le large, j’aurai voulu mordre dedans, m’en remplir à ras bord ou bien m’y dissoudre, me diluer faire corps avec elle, devenir liquide salé froid et doux comme rien d’autres. » ( p 151)


Pour faire rire Manon et sortir Clément de son indifférence, Paul est prêt à tout : jamais il ne hausse le ton, il engueule les maîtresses trop sèches et inonde les “petits” de cadeaux. Mais plus que tout autre chose, et encore une fois, c’est la mer son meilleur alibi, c’est elle qui justifie que, d’un coup de tête, comme un homme en manque, il vienne, en pleine journée chercher ses enfants à l’école, pour les emmener, l’espace d’un après midi, jouer sur le sable : « Je leur ai dit de grimper dans la voiture et on s’est mis en route, j’ai fait tous les détours possibles pour ne jamais lâcher la Manche, de temps en temps on s’arrêtait pour contempler le paysage, et partout c’était la même chose, la clarté du jour se déversait sur les remparts des vieux bateaux ,les corniches, les poches de sable, repeignait tout, ravivait les couleurs, reprécisait les lignes et les contours. »

Sans cesse, aux oscillations des sentiments et au récit des souvenirs, vient se mêler l’évocation du paysage environnant, comme si la douleur du père pouvait se fondre dans le paysage. Entre ces descriptions, l’intrigue est emmenée par ellipses, au fur et à mesure des conclusions de la police : Sarah-va-t-elle revenir ? On peut s’y attendre, le dernier opus d’Olivier Adam n’a rien d’une enquête policière, ni même d’un roman d’action ; le lecteur le sait dès la citation apposée en préambule de l’oeuvre, des mots signés Philippe Djian justement et chantés par S. Eicher : « On ne refait pas sa vie/On continue seulement/On dort moins bien la nuit… » La plume de l’auteur épouse les contours de l’âme de Paul, et ce faisant, narre avec tendresse « la continuité » des choses et des êtres… ou, plus exactement, dans cette continuité, les imperceptibles changements qui ne s’accordent guère avec un passé simple trop brusque, presque trop vulgaire. Sans jamais se départir de l’imparfait, Olivier Adam raconte élégamment les chuchotements dans les cuisines, les retrouvailles des sorties de classes et les dîners silencieux, les petites choses de la vie balayées ou résistantes aux vents…


Des vents contraires, Ed. De l’Olivier, 255 p, janvier 2009.


“Il a respiré profondément et m’a offert une parodie de sourire, le voir se forcer comme ça m’a anéanti, il ressemblait tellement à sa mère : soucieux de ne peser en rien, inquiet de l’autre et oublieux de lui-même, éludant sa propre douleur pour ne pas m’alarmer.” (p 16)


Marie Barral
Article paru dans La boite à sorties le 20 janvier 2009

Le DALO en pratique : entretien avec le Président de la Commission de l'Essonne

Les « commissions DALO (Droit au logement opposable) » sont chargées de décider quels dossiers de demandes de logement social sont prioritaires. Le Préfet, lié à cet avis, a six mois pour attribuer un logement au requérant, sous peine de recours. La presse a fait savoir combien la commission DALO à Paris était submergée de travail. En3mots a rencontré Bernard de Korsak, président de la Commission DALO en Essonne (91, grande couronne), afin de savoir comment se présentait la situation dans ce département.

Arrivé à Vigneux sur Seine, sur la ligne D du RER, au Nord de l’Essonne. Nous retrouvons M. de Korsak dans un des quartiers pavillonnaires de la ville. Avec en tête, les chiffres problématiques du rapport 2008 de la Fondation Abbé Pierre : au moins 100 000 personnes sont sans domicile fixe, autant sont dans des campings ou en mobile home, 50 000 dans des cabanes ou des constructions de fortune… En tête aussi, les estimations des associations au début de l'année 2008 : ces dernières prévoyaient, sur tout le territoire, le dépôt de 500 000 à 600 000 dossiers. M. de Korsak nous reçoit dans son bureau. Avec ce polytechnicien rigoureux, nous commençons par parler « chiffres ».

En3mots : Combien de dossiers ont été déposés devant la Commission DALO de l'Essonne ? Combien parmi eux sont jugés "prioritaires" * et relèvent du DALO ?
M. de Korsak : Dans le 91, sur les 1400 dossiers de demandes de logements déposés en 2008, 1207 ont été examinés (250 étaient inexploitables car mal remplis ou incomplets). La moitié de ces demandes examinées ont été estimées « prioritaires »*, urgentes. Environ 250 ont été jugées "non prioritaires et non urgentes". [Les autres dossiers ont été ajournés pour compléments d’informations, jugés irrecevables car les assertions n'étaient pas prouvées (celles sur la suroccupation notamment) ou réorientés]. Au 8 janvier 2009, 11 requérants ont déposé des recours au Tribunal administratif.

E3M : Faudra –t-il construire des logements pour répondre aux demandes ?
M. de Korsak : Cette année, en Essonne, il y a eu 1311 vacances dans les logements du contingent préfectoral. En sachant qu’il y a eu 1400 dossiers déposés, le problème est, dans notre département, soluble. Notre commission, qui s’est réunie deux fois par mois, a pu traiter les demandes à temps.
Les articles de presse parus au mois de décembre (lors de l’entrée en vigueur de la loi de manière complète) étaient très négatifs car ils se concentraient essentiellement sur la situation à Paris et dans les trois départements de la petite couronne (92, 93, 94). Les commissions de ces départements sont en effet bien plus submergées que celles du reste du territoire.

E3M : Pourquoi seulement 50 000 dossiers ont été déposés dans toute la France alors que les associations s’attendaient à 600 000 demandes ?
M. de Korsak :
Plusieurs interprétations peuvent être fournies pour expliquer ce décalage. En premier lieu, les premières personnes qui devraient bénéficier de la loi DALO ne sont pas les mieux informées.
En second lieu, les personnes étrangères résidentes en France peuvent déposer un dossier DALO seulement si elles sont en situation régulière depuis au moins deux ans. Les personnes en situation irrégulière ou celles n’ayant pas renouvelé leur titre de séjour deux fois ne peuvent donc pas être candidates.
Enfin, les chiffres du mal-logement ne sont, par nature, jamais fiables. L’Etat ne publie jamais de statistiques sur le « mal-logement ». La Fondation Abbé Pierre fait état, dans son rapport annuel, de ses estimations. Les seuls chiffres à disposition proviennent donc de cette fondation.

E3M : Quelles sont vos réserves vis-à-vis de cette réforme ?
M. de Korsak : Les personnes prioritaires au DALO sont définies comme étant les « exclues du logement social ». Elles ont donc, par définition, déjà été exclues de logements sociaux : parce qu’elles n’avaient pas assez de revenus, parce qu’elles avaient contracté des dettes locatives, ou pour troubles du comportement. Ces personnes sont donc en grande majorité fragiles, désocialisées. En plus d’un logement, elles ont besoin d’un accompagnement social. Le cas échéant, elles pourraient se voir de nouveau expulsées.
Cette question de l’accompagnement social est d’autant plus cruciale que les logements du contingent préfectoral qui se libèrent, et donc dans lesquels les personnes pourront être relogées, sont, pour une grande part, situés dans les quartiers sensibles des agglomérations. En Essonne, ils sont dans des quartiers comme les Tarterêts (Corbeil-Essonne), la Grande Borne (Grigny) ou aux Pyramides (Evry). Ce ne sont pas les meilleurs terreaux de réinsertion sociale. Les problèmes posés par cette loi ne sont donc, en Essonne, pas tant quantitatifs que qualitatifs.

E3M : En concluez-vous que cette loi est en elle-même contre-productive ?
M. de Korsak : La loi est toute récente. Il faut voir comment le texte sera mis en œuvre. Il peut encore être perfectionné dans la pratique. Pour ma part, en tant que président de la commission DALO du 91, je dialogue avec les conseillers généraux, les maires et le Préfet afin de les sensibiliser à la question. En Essonne, au 31 décembre 2008, 60 personnes requérants déclarés prioritaires par la commission ont été relogés. 6 autres ont refusé le logement qui leur avait été proposé. A ce jour, le nombre de requérants effectivement relogés est encore notoirement insuffisant. Mais il faudra attendre le premier semestre 2009, pour entrer en régime de croisière et tirer les enseignements définitifs sur l'efficacité de la loi DALO.


Pour en savoir plus :
* Sont jugées "prioritaires" par les commissions DALO les personnes qui répondent aux conditions d'accès à un logement social et qui sont dans l'une des situations suivantes (source : Service Public) :
- les personnes dépourvues de logements (sont visées les personnes sans domicile fixe ainsi que les personnes privées de domicile personnel) ;
- celles qui sont menacées d'expulsion sans relogement ;
- celles qui sont en structure d'hébergement de façon continue depuis plus de 6 mois ou qui sont logées en logement de transition depuis plus de 18 mois ;
-celles logées dans des locaux impropres à l'habitation, insalubres ou présentant un caractère dangereux ;
- celles logées dans des locaux manifestement sur-occupés ou ne présentant pas le caractère de la décence et qui ont soit au moins un enfant mineur, soit un enfant présentant un handicap, soit au moins une personne à charge présentant un handicap ;
- les personnes qui n'ont pas reçu, dans les délais fixés par le préfet de département de proposition adaptée à la demande de logement social.

Les Commissions DALO prennent des décisions qui doivent être suivies par les Préfets (sous peine de recours). Elles sont constituées de :
- 3 représentants de l'Etat désignés par le Préfet,
- 2 représentants des bailleurs (sociaux et privés),
- 1 représentant des organismes chargés des structures d'hébergement,
- 3 représentants associatifs (1 représentant d'associations de locataires, 2 représentants d'associations s'occupant du logement ou des personnes défavorisées),
- 3 représentants des collectivités locales (Communes, Conseil général, Etablissement de Coopération Public Intercommunale (communautés de communes, etc))
- et d'1 personne qualifiée qui préside la Commission.

Marie Barral
Paru dans en3mots le 13 janvier 2009

dimanche 11 janvier 2009

L’écriture ou la vie, le Carnet d’Or de Doris Lessing

De Doris Lessing, ils (Les Français) disent souvent (aux ignorants) qu’elle est la « Simone de Beauvoir » britannique : écrivain féministe engagée dans les années 50 auprès des communistes. L’Anna des Carnets répond, sur plusieurs points, à la narratrice des Mémoires : passionnée, hyper-consciente, sans-cesse tiraillée entre l’écriture et la vie…

Récits de femmes divorcées, (et donc dites « libres »), de communistes désabusés après la révélation des crimes de Staline au milieu des années 50, Le Carnet d’Or est aussi l’histoire d’un bocage d’écrivain. La narratrice, Anna, vit sur le succès de son premier livre, Frontières de guerres. La perception des droits d’auteur ne l’oblige pas à travailler. Elle peut donc se consacrer entièrement à son engagement communiste : elle travaille dans une maison d’édition du parti. En écrivain nostalgique de son premier et unique roman (ou plutôt de l’écriture de son premier roman car Anna n’est pas naïve quant à la qualité de son œuvre), la romancière garde son stylo entre les doigts et emplit ses carnets. Pour conjurer le désordre, elle en tient 4 : le carnet noir est celui de l’Anna écrivain. Elle y narre la deuxième vie de son roman (l'ouvrage publié), y raconte comment, contre les adaptations, elle tente de sauvegarder son intégrité. Le carnet rouge est bien sûr celui de l’Anna rouge, ou disons grise, quoiqu'il en soit politique, de plus en plus sceptique quant à son engagement, quant à la transparence du parti communiste : Staline vient de mourir, ses crimes sont peu à peu révélés et les communistes britanniques plus encore que les autres (car ils sont plus disséminés, plus éloignés du centre révolutionnaire, car ils vivent sous un régime démocratique), sont divisés. Dans le carnet jaune, Anna écrit des romans, des nouvelles, elle y raconte l’histoire d’Ella, son double malheureuse en amour. Enfin, dans le bleu, elle y consigne sa vie, s’examine, s’analyse, et, dans le même temps, s’énerve de sa tendance à « l’égotisme ». Un tel morcellement est le fait d’une Anna trop rationnelle, une Anna intellectuelle dont la « froide et efficace machine » qu’est le cerveau, tend à tout passer au crible, à tout broyer. Pour que toutes les Anna soit recollées, sera nécessaire la catharsis de la folie… et l’aide d’un homme… :

« Je ne peux pas écrire cette nouvelle, ni rien d’autre, parce qu’à l’instant où je m’installe pour écrire quelqu’un entre dans la pièce, lit par-dessus mon épaule et m’arrête.
- Qui ? Le sais-tu ?
- Bien sûr que je le sais. Ce pourrait être un paysan chinois. Ou un guérillero de Castro. Ou un fellagha en Algérie. Ou M. Mathlong. Ils se tiennent ici, dans ma chambre et ils disent, pourquoi ne faites-vous rien pour nous, au lieu de perdre votre temps à scribouiller ?
- Tu sais très bien qu’aucun d’eux ne dirait ça.
- Bien sûr. Mais tu sais très bien ce que je veux dire. Je sais que tu le sais. C’est notre malédiction à tous.
- Oui je le sais. Mais je vais te forcer à écrire, Anna. Prends une feuille de papier et un stylo. »
Je posai une feuille de papier blanc sur la table, pris un stylo et attendis.
- Ce n’est pas si grave si tu échoues, pourquoi es-tu si arrogante, allez-commence. »
(p 735)

Alors, nourrie de son flirt avec la folie, délaissant la haute image qu’elle se fait d’elle-même et la froide utilité de l’action communiste (dont elle a par ailleurs bien perçu les limites, pire, les cruautés), Anna Wulf reprend son stylo. Le paysan chinois, le fellagha d’Algérie, le guérillo sont toujours dans sa chambre, mais puisqu'elle ne sait rien faire d’autre qu’écrire... Ici et maintenant, elle ne peut qu’écrire. Pire encore : elle ne peut écrire que sur elle : ses nouvelles, ses romans, sont des autobiographies romancées, retravaillées à la troisième personne... comme l’est Le Carnet d’or pour Doris Lessing. Dans sa préface, l’auteur se fait sa propre avocate :

« La façon de régler le problème de la « subjectivité », cette affreuse tendance à se préoccuper de l’infime individu qui se trouve en même temps pris dans une explosion de possibilités terribles et merveilleuses, consiste à voir en lui un microcosme et ainsi à dépasser le personnel, le subjectif, pour rendre le personnel général, comme le fait évidemment la vie, transformant une expérience intime –du moins le croyez vous lorsque vous êtes enfant, « je suis amoureuse », « j’éprouve telle ou telle émotion, je pense telle ou telle chose » - en quelque chose de plus ample : grandir consiste en fin de compte à comprendre que sa propre expérience incroyable et unique est ce que tout le monde partage. » (p XII)

Le Carnet d’or, Doris Lessing, trad. De l’anglais par Marianne Véron, Le livre de Poche, Albin Michel, 764 p.

"L'Exposition" de Nathalie Léger

Nathalie Léger fut commissaire de plusieurs expositions, notamment « L’auteur et son éditeur » (IMEC, 1998), ainsi que de l’exposition Roland Brthes qui s’est tenue au Centre Georges Pompidou en 2002 puis, en 2007, de l’exposition Samuel Beckett, dans ce même lieu. Avec un tel parcours, le dernier roman de Nathalie Léger, L’Exposition, plonge dans la fascination que peut avoir un auteur pour son sujet.

Dans son dernier roman, Nathalie Léger questionne la beauté de la Castiglione, fascinée par cette comtesse du 19ème siècle dont la beauté est à la fois totale et seule à la constituer. Telle un monstre, on la contemple comme quelque chose d’anormal et qui suscite la crainte. Face à cette seule beauté, l’orgueil et l’extrême satisfaction que cela lui donne, la narratrice constate « un effondrement intérieur, la désolation » de son personnage, elle n’en devient que plus un objet de curiosité. Le seul souci de la Castiglione est cette image d’elle-même et sa vie est entièrement tournée vers cela, en tout cas c’est ce que la narratrice veut nous démontrer bien que les biographes de la comtesse ne se consacrent que très peu à cet aspect de sa vie. Ainsi à partir de « ce corps surexposé, cet entêtement à ne pas se satisfaire de soi, cette obstination à toujours revenir à soi, à cette petite portion de visage », la comtesse s’installe ainsi dans une sorte de mégalomanie, ne cessant jamais de s’exposer. La Castiglione n’est donc que sa beauté : « Elle n’a pas de secret, elle est tout entière dans sa peau. » (p.107).

D’autre part, l’admiration que suscite sa beauté exclut tout autre sentiment de sympathie, seule la haine est évoquée. Celle des autres femmes qui se réjouisse de la neurasthénie de la comtesse, la considérant comme un lourd tribut payé à sa beauté. Il n’y a pas que la Castiglione pour évoquer cette haine jalouse des femmes : en 2005, l’actrice Isabelle Huppert a été photographiée par Roni Horn, elle condense sur chaque photo l’identité d’un de ses grands rôles, sans les accessoires, dans l’intensité du travail d’actrice. L’actrice ose se montrer sans apprêt, mais c’est un « excès de sa sincérité, un comble de l’artifice et de la séduction », elle expose ce que toutes les autres femmes veulent dissimuler, « elle consent à son imperfection ». Une beauté, donc, à l’origine de tant de haine, de celle de la Castiglione aussi : « elle les hait de ne pouvoir faire autrement que de les aimer (…) d’être démunis devant sa haine » (p.63).

Exposer son corps est donc le thème du roman. Dans les quelques cinq cents photographies de la Castiglione, celle-ci se déguise, s’apprête. La Castiglione expose l’évidence de la féminité de son corps, l’assurance qu’elle a de son corps. Mais tout comme, Isabelle Huppert, dans le reportage photographique de Roni Horn, elle est l’unique sujet de ces images ; elle ne considère même pas Pierson, son photographe, comme un artiste mais comme l’unique main d’œuvre de cette longue exposition : les photos montrent cette « obstination trouble, un désarroi, une cruauté, une solitude exposée sous le regard d’un homme » (p.140). Se déguiser revient aussi peut-être à se cacher tout comme Marilyn Monroe qui, découvrant son corps, se cache le visage, afin de cacher chez la Castiglione « ce mouvement incessant des spectres en elle » (p.146)

Il est aussi question de ces photos de famille : Nathalie Léger se souvient des photos qui étaient déchirées pour bannir l’homme de la famille, de celle où elle voit l’ombre portée de sa grand-mère sur sa propre mère… C’est nous dire l’importance de ces images et les sentiments qu’elles portent : « Pourquoi conserve-t-on des photographies ? Ce n’est pas la vanité, ni le sentiment, ni l’amour – la haine peut-être… » (p.53).

Tournant autour de l’exposition que prépare la narratrice pour la direction du Patrimoine et de l’exposition de la Castiglione, Nathalie Léger tourne autour de son sujet, il est aussi beaucoup question de cela : « Le sujet est simplement le nom de ce qui ne veut pas être dit ». Comme Truman Capote avec De sang froid, de la Castiglione avec elle-même, de la narratrice avec cette même comtesse. Pourquoi sont-ils fascinés ? La narratrice est captée par la méchanceté, la dureté du visage de la Castiglione. Comme Truman Capote, dont le vrai sujet est la haine qu’il a pour sa propre empathie envers deux tueurs, la narratrice semble détester cette femme. Elle le reconnaît, c’est le sujet qui choisit son auteur, rien ne lui est familier sauf peut-être cette méchanceté du visage, cette sorte d’attraction/répulsion qu’elle a pour cette femme. Tout comme Truman Capote qui n’arrive pas à finaliser son sujet car il lui manque le récit du meurtre, la narratrice va venir à bout de la Castiglione en tombant sur la photo où elle est agenouillée devant la dépouille de son chien : « c’est la défaite et l’abandon qui permettent de comprendre » (p.90). Finalement L’Exposition est peut-être le récit de la recherche de la photographie qui lui permettra de comprendre son sujet : sa fascination pour la Castiglione.

"L'Exposition" Nathalie Léger, POL, 10€

mardi 6 janvier 2009

« Repartir à zéro » au musée des Beaux Arts de Lyon

« Il me fallait repartir à zéro, comme si la peinture n’avait jamais existé », ce qui est une autre manière de dire, précise Barnett Newman, que « la peinture était morte ». L’artiste new yorkais évoque ainsi, en 1970, la situation de « crise morale » dans laquelle le monde –et l’artiste- se trouvait après la Seconde guerre mondiale, en 1945. “Repartir à zéro” est aussi en ce moment le titre d’une riche exposition qui se tient au Musée des Beaux Arts de Lyon jusqu’au 2 février.


B. Newmann, Untitled, 1946.

Dans les années 1930, Barnett Newman avait peint des œuvres expressionnistes qu’il avait par la suite ensuite détruites. Il s’était fait critique d’art. « Repartir à zéro » à la fin de la guerre signifie donc pour lui, en premier lieu, reprendre le pinceau, créer de nouveau mais en s’échappant des courants jusqu’alors existants : des artistes réalistes, ceux du « folklore » qui représentaient des scènes « rustiques » ; des « puristes cubistes » dont l’art n’a aucun lien avec la réalité ; et, enfin, plus méritants et moins futiles mais tout aussi voués à l’échec, des « surréalistes qui s’épuisaient en à créer un monde imaginaire ». Il n’y avait donc « Rien dans la peinture existante qui puisse servir » à Newman… Ou presque. S’inspirant des surréalistes et de l’art indien, le new yorkais va retracer sur ses toiles des formes géométriques abstraites, noire et blanches mais pas moins vivantes, sphères blanches qui, comme des trous noirs, semblent aspirer le spectateur.


La démarche de Newman, qui par sa citation et ses toiles ouvre et ferme, ponctue même, l’exposition, fut celle de nombreux plasticiens en 1945. Qu’ils viennent d’Outre Atlantique ou du Vieux Monde, sculptent ou peignent, aient les traits précis des bonhommes d’Henri Michaux, ou, dansent au-dessus de leurs toiles comme Jackson Pollock, tous choisissent l’abstraction pour exprimer l’horreur de la guerre, le chaos qui s’en suit ou la nécessité de faire table rase du passé.
La première salle de l’exposition reprend des tableaux qui, de par leurs titres, font directement figures de témoignages : Le Mort de Dachau d’Olivier Debré ou l’Otage de Jean Fautrier (qui lui aussi, avant la guerre, peignait des toiles expressionnistes figuratives).



Otage, J. Fautrier, vers 1943

Le témoignage ne suffit pas, les artistes se doivent de « saper la culture » à l’origine de la guerre, du désastre : tel fut le mot d’ordre du groupe Cobra, constitué en 1948. Cobra, ou Copenhague, Bruxelles, Amsterdam, trois capitales de l’art occidental, trois capitales qui devront renier, ou plutôt dépasser ce qu’elles ont engendré pour « expérimenter » une peinture nouvelle, inspirée du surréalisme (fervent ferment d’un monde nouveau) et des arts premiers. Constant peint en 1949 L’animal sorcier, Asger Jorn ce coloré Untitled :




En France le peintre Jean Dubuffet s’inspire aussi des arts premiers pour les détourner, les souiller presque, de références occidentales. Sa Venus du trottoir rappelle des figures préhistoriques comme la Vénus de Willendorf.



Vénus du trottoir, J. Dubuffet, 1946

Elle fait écho dans la même salle à la Venus blanche de Roger Bissière (1946). Striée de blanc et de rouge, la figure féminine qui semble être prise en cage, n’a, accompagnée d’un enfant, plus rien d’une Vénus… Un an plus tard, le grand public découvre les grottes de Lascaux. Nouveauté qui tombe à point nommé : Hans Hofmann s’inspire des peintures murales pour La troisième main (1947)



Vénus blanche, Roger Bissière, 1946


Les plasticiens « repartent à zéro » grâce aux primitifs donc, ou en adoptant de nouvelles techniques artistiques. L’américain Jackson Pollock revoit non seulement le sujet mais aussi la manière de créer. La peinture est chez lui tant un produit fini que le processus de création : état de transe dans lequel se met l’artiste après de longues heures de réflexion, comme un chamane.

« Le peintre moderne n’est inspiré par rien de visible, mais seulement par ce qu’il n’a pas encore vu. Les choses l’ont abandonné, il commence avec le rien » disait Harold Rosenberg. Avec son Concept spatial (1949), Lucio Fontana perce violemment la toile, comme si ce faisant, il lui otait de son contenu… L’œuvre n’est plus qu’ensemble de vides ; les trous aspirent évident, champ de pores qui permettent à l’œuvre de respirer.


De cette apologie du rien, de cette philosophie de la table rase, de cet hymne à l’abstraction, les commissaires ont fait une exposition riche, complète et pédagogique. Organisant en thèmes simples une peinture qui ne souffre les classifications, Eric Chassey et Sylvie Ramond n’ont pas lésiné sur les outils pour inscrire les œuvres dans leurs contextes : chronologies, films, panneaux explicatifs… (et ce dans la réalité comme dans le monde virtuel; cf le site internet).


« 1945-1949 Repartir de zéro, comme si la peinture n’avait jamais existé », Musée des Beaux arts de Lyon, jusqu’au 2 février, 04 72 10 17 40. ts les jours sauf mardi et jours feriés, de 10h à 18h (vendredi 10h30). expo : 8 eurosou 6 euros, 20 place des Terreaux, Lyon.

Article paru dans La Boite à sorties le 6 janvier 2009
 
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