vendredi 23 janvier 2009

Le DALO en pratique : entretien avec le Président de la Commission de l'Essonne

Les « commissions DALO (Droit au logement opposable) » sont chargées de décider quels dossiers de demandes de logement social sont prioritaires. Le Préfet, lié à cet avis, a six mois pour attribuer un logement au requérant, sous peine de recours. La presse a fait savoir combien la commission DALO à Paris était submergée de travail. En3mots a rencontré Bernard de Korsak, président de la Commission DALO en Essonne (91, grande couronne), afin de savoir comment se présentait la situation dans ce département.

Arrivé à Vigneux sur Seine, sur la ligne D du RER, au Nord de l’Essonne. Nous retrouvons M. de Korsak dans un des quartiers pavillonnaires de la ville. Avec en tête, les chiffres problématiques du rapport 2008 de la Fondation Abbé Pierre : au moins 100 000 personnes sont sans domicile fixe, autant sont dans des campings ou en mobile home, 50 000 dans des cabanes ou des constructions de fortune… En tête aussi, les estimations des associations au début de l'année 2008 : ces dernières prévoyaient, sur tout le territoire, le dépôt de 500 000 à 600 000 dossiers. M. de Korsak nous reçoit dans son bureau. Avec ce polytechnicien rigoureux, nous commençons par parler « chiffres ».

En3mots : Combien de dossiers ont été déposés devant la Commission DALO de l'Essonne ? Combien parmi eux sont jugés "prioritaires" * et relèvent du DALO ?
M. de Korsak : Dans le 91, sur les 1400 dossiers de demandes de logements déposés en 2008, 1207 ont été examinés (250 étaient inexploitables car mal remplis ou incomplets). La moitié de ces demandes examinées ont été estimées « prioritaires »*, urgentes. Environ 250 ont été jugées "non prioritaires et non urgentes". [Les autres dossiers ont été ajournés pour compléments d’informations, jugés irrecevables car les assertions n'étaient pas prouvées (celles sur la suroccupation notamment) ou réorientés]. Au 8 janvier 2009, 11 requérants ont déposé des recours au Tribunal administratif.

E3M : Faudra –t-il construire des logements pour répondre aux demandes ?
M. de Korsak : Cette année, en Essonne, il y a eu 1311 vacances dans les logements du contingent préfectoral. En sachant qu’il y a eu 1400 dossiers déposés, le problème est, dans notre département, soluble. Notre commission, qui s’est réunie deux fois par mois, a pu traiter les demandes à temps.
Les articles de presse parus au mois de décembre (lors de l’entrée en vigueur de la loi de manière complète) étaient très négatifs car ils se concentraient essentiellement sur la situation à Paris et dans les trois départements de la petite couronne (92, 93, 94). Les commissions de ces départements sont en effet bien plus submergées que celles du reste du territoire.

E3M : Pourquoi seulement 50 000 dossiers ont été déposés dans toute la France alors que les associations s’attendaient à 600 000 demandes ?
M. de Korsak :
Plusieurs interprétations peuvent être fournies pour expliquer ce décalage. En premier lieu, les premières personnes qui devraient bénéficier de la loi DALO ne sont pas les mieux informées.
En second lieu, les personnes étrangères résidentes en France peuvent déposer un dossier DALO seulement si elles sont en situation régulière depuis au moins deux ans. Les personnes en situation irrégulière ou celles n’ayant pas renouvelé leur titre de séjour deux fois ne peuvent donc pas être candidates.
Enfin, les chiffres du mal-logement ne sont, par nature, jamais fiables. L’Etat ne publie jamais de statistiques sur le « mal-logement ». La Fondation Abbé Pierre fait état, dans son rapport annuel, de ses estimations. Les seuls chiffres à disposition proviennent donc de cette fondation.

E3M : Quelles sont vos réserves vis-à-vis de cette réforme ?
M. de Korsak : Les personnes prioritaires au DALO sont définies comme étant les « exclues du logement social ». Elles ont donc, par définition, déjà été exclues de logements sociaux : parce qu’elles n’avaient pas assez de revenus, parce qu’elles avaient contracté des dettes locatives, ou pour troubles du comportement. Ces personnes sont donc en grande majorité fragiles, désocialisées. En plus d’un logement, elles ont besoin d’un accompagnement social. Le cas échéant, elles pourraient se voir de nouveau expulsées.
Cette question de l’accompagnement social est d’autant plus cruciale que les logements du contingent préfectoral qui se libèrent, et donc dans lesquels les personnes pourront être relogées, sont, pour une grande part, situés dans les quartiers sensibles des agglomérations. En Essonne, ils sont dans des quartiers comme les Tarterêts (Corbeil-Essonne), la Grande Borne (Grigny) ou aux Pyramides (Evry). Ce ne sont pas les meilleurs terreaux de réinsertion sociale. Les problèmes posés par cette loi ne sont donc, en Essonne, pas tant quantitatifs que qualitatifs.

E3M : En concluez-vous que cette loi est en elle-même contre-productive ?
M. de Korsak : La loi est toute récente. Il faut voir comment le texte sera mis en œuvre. Il peut encore être perfectionné dans la pratique. Pour ma part, en tant que président de la commission DALO du 91, je dialogue avec les conseillers généraux, les maires et le Préfet afin de les sensibiliser à la question. En Essonne, au 31 décembre 2008, 60 personnes requérants déclarés prioritaires par la commission ont été relogés. 6 autres ont refusé le logement qui leur avait été proposé. A ce jour, le nombre de requérants effectivement relogés est encore notoirement insuffisant. Mais il faudra attendre le premier semestre 2009, pour entrer en régime de croisière et tirer les enseignements définitifs sur l'efficacité de la loi DALO.


Pour en savoir plus :
* Sont jugées "prioritaires" par les commissions DALO les personnes qui répondent aux conditions d'accès à un logement social et qui sont dans l'une des situations suivantes (source : Service Public) :
- les personnes dépourvues de logements (sont visées les personnes sans domicile fixe ainsi que les personnes privées de domicile personnel) ;
- celles qui sont menacées d'expulsion sans relogement ;
- celles qui sont en structure d'hébergement de façon continue depuis plus de 6 mois ou qui sont logées en logement de transition depuis plus de 18 mois ;
-celles logées dans des locaux impropres à l'habitation, insalubres ou présentant un caractère dangereux ;
- celles logées dans des locaux manifestement sur-occupés ou ne présentant pas le caractère de la décence et qui ont soit au moins un enfant mineur, soit un enfant présentant un handicap, soit au moins une personne à charge présentant un handicap ;
- les personnes qui n'ont pas reçu, dans les délais fixés par le préfet de département de proposition adaptée à la demande de logement social.

Les Commissions DALO prennent des décisions qui doivent être suivies par les Préfets (sous peine de recours). Elles sont constituées de :
- 3 représentants de l'Etat désignés par le Préfet,
- 2 représentants des bailleurs (sociaux et privés),
- 1 représentant des organismes chargés des structures d'hébergement,
- 3 représentants associatifs (1 représentant d'associations de locataires, 2 représentants d'associations s'occupant du logement ou des personnes défavorisées),
- 3 représentants des collectivités locales (Communes, Conseil général, Etablissement de Coopération Public Intercommunale (communautés de communes, etc))
- et d'1 personne qualifiée qui préside la Commission.

Marie Barral
Paru dans en3mots le 13 janvier 2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

 
Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs