vendredi 9 octobre 2009

L'héritage inconnu : "Oublier Emma" de Françoise Houdart

Y a-t-il tant de poupées dans le dernier livre de Françoise Houdart ? Les nombreuses histoires qui s’imbriquent et qui ont pour point commun une curieuse collectionneuse de poupées et un brocanteur chinant les histoires particulières des objets ne parlent-elles pas d’une seule poupée ? Celle justement qu’il vaudrait mieux oublier, le secret.

La poupée Emma traverse pas moins de trois générations, elle est le symbole d’un secret jamais dit, celui d’une première enfant morte et dont le père serait peut-être un soldat allemand. Ce secret si lourd, celui qui donne une tristesse inconnue, le même que celui de Philippe Grimbert, ne cesse de passer de mère en fille. Mais pourquoi la première d’entre elles, Mathilde ne vit pas seule son chagrin (celui d’avoir perdu une enfant, celui aussi d’un amour perdu) ? « Vais-je pouvoir me libérer, à travers toi, de cette part d’enfance alourdie du silence de ma mère, du regard de mon père ? (…) Ai-je le droit de léguer ce qui m’est resté incompris ? » (p.95)
L'on ne dit rien mais l'on donne en héritage la précieuse poupée Emma ; ainsi, la fille, sans connaître le secret en hérite : « Qui peut savoir que rien ne se perd, rien ne s’évade du corps vernissé d’une poupée, le corps lisse, hermétique d’une poupée ? Les couches de mémoire se superposent comme les âges de la terre depuis les premiers temps du monde. » (p.80).

Mais, ne nous y trompons pas, ce ne sont pas les objets qui nous hantent, les humains sont seuls à reporter leurs obsessions sur les jouets : quand la poupée Emma est volé, la tristesse reste. Le vol de la poupée Emma, son abandon temporaire par la petite fille sur un banc public est-il un acte manqué ? La volonté de ne pas supporter un secret ? Ce n’est pas d’éliminer la poupée Emma qui supprimera un héritage trop lourd ; enfoncer ses yeux aussi fixes qu’un secret de famille ne change rien.

Maria collectionne ainsi les poupées, qui sait ?, un jour peut-être elle retrouvera poupée Emma. Mais, en son for intérieur, elle sait la vanité de sa recherche, abandonnant tout au brocanteur, le gardien de l’histoire des objets. Les poupées de Maria iront alors rejoindre les obsessions d’autres : celle d’Emile à qui l’on a enlevé sa poupée alors que c’était la seule chose lui appartenant, Jeanne à qui l’on a enlevé son poupon noir…

Psychanalyse de la poupée
« Je suis l’ébauche d’une histoire qui recommence. » (p.122)
La poupée ne change pas, elle ne grandit pas, elle n’apprend pas à parler. Une poupée ne parle pas, elle n’a pas de « trous », ni ceux qui feront d’elle une femme, ni ceux qui lui permettent d’exprimer le chagrin, seule manière d’en faire le deuil : « Toute fermée. Tu n’es pas tout à fait achevée. Pas tout à fait comme une femme avec ton corps sans trou, ton corps bouché. » (p.186)
Elle est le jouet type de la petite fille, un miroir. Elle est aussi le symbole de l’enfance éternelle car jamais elle ne grandit ; c’est ce même phantasme qu’une mère assouvit en donnant naissance à une petite fille ; elle se retrouve alors, dès lors comment faire pour ne pas reporter ses pensées et ses traumatismes ? C’est aussi parce qu’une poupée ne grandit pas qu’elle peut symboliser les secrets et les traumatismes qui restent toujours. La poupée est l’éternelle enfance et l’éternel chagrin.
"Oublier Emma" Françoise Houdart, Luce Wilquin, 20€

jeudi 1 octobre 2009

Le Partage de midi de Claudel au théâtre de Marigny

Sous un soleil aveuglant, sur un bateau tanguant en route vers la Chine, trois hommes tournent autour d’une femme, Ysé : Amalric l’ex amant, Mésa, l’amoureux et Ciz le mari....enfin… lui ne tourne pas, ne pérore pas : il est sûr de son bon droit, Ysé est sienne, mariée elle ne peut lui échapper. Et puis elle l’aime, croit-il sans compter sur la verve du beau Mésa, le sentiment qu’à Ysé de sa jeunesse gâchée à enfanter et finalement, la puissance du désir de cette femme.


A qui aime Paul Claudel, ses envolées mystiques et lyriques, d’une poésie qui bien souvent semble se moquer d’elle-même, cette pièce est un enchantement, plus saisissant encore que Le Soulier de Satin (que la longueur ne permettait pas d'entrer dans la course) ou que L’Echange (pour ne parler que des pièces que je connais) : une tension mène l'œuvre de bout en bout et l’on s’imagine aisément Claudel écrire ce drame d’un seul trait, noyé dans la douleur de l'homme trahi. Car l’histoire de Mesa est bien la sienne, et Ysé est Rosalie Vetch, femme "interdite", épouse et mère de 4 enfants qu’il a rencontré sur un bateau en partance pour la Chine après s’être vu refusé son entrée dans les ordres par un bénédictin que les lecteurs du poète pourraient sans nul doute remercier.


Effectivement, Le Partage de Midi, dans sa première version (1905), celle que présente le théâtre de Marigny, fut écrit en quelques semaines dans l’urgence de se laver de cet amour malheureux et adultère qui fit scandale au consul de Fou-tcheou. Le texte fut diffusé sous le manteau à quelques initiés et Paul Claudel ne se résolut à le rendre public qu’après la Seconde guerre mondiale en ayant au préalable retouché Ysé sous un jour plus équitable et après s'être réconcilié avec la muse qui l’avait inspiré (Rosalie Vetch devenue Lintner à qui il versait une pension pour leur fille, Louise).


La mise en scène d’Yves Beaunesne (présentée avant Marigny à la Comédie française) rend à merveille, par sa simplicité, la tension qui traverse le texte de part en part faisant ainsi ressortir l’œuvre dans sa pureté originelle : un incroyable exercice de sublimation qui, en ce caractère-ci, rappelle les plus belles sculptures de Camille Claudel, L’âge mur ou La Valse. Qu’on ne se méprenne pas à la lecture de certaines critiques, la scène et les comédiens, plus que « dépouillés » sont « symbolisés » par quelques vêtements et objets qui font d'eux des figures quasi mythologiques qu’au final, seule la lumière semble réellement habiller.


Ce conte mythique, les acteurs l’habitent à merveille. Marina Hands qui suit les pas de sa mère dans ce rôle est géniale à incarner La Femme (celle voulue et désirée par Claudel, celle pour laquelle on entre en religion sans pour autant porter d’habit), Christian Gonon porte bien son cynisme d’époux et de colon, Hervé Pierre est un Amalric bouffonnant, subtile dans ses intonations, quant au bel Eric Ruf, l’on pourrait voir dans sa diction parfois incompréhensible une métaphore de la langue du personnage qu’il incarne véritablement, Paul Claudel, et l’on finit d’ailleurs par s'en convaincre lorsqu’il se transforme en homme rongé de désir, mettant dans son jeu toute la douloureuse torture que l’auteur avait du mettre dans son texte lors de l'écriture. A voir donc, très rapidement.


Au théâtre de Marigny jusqu’au 3 octobre, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Jusqu’à 25 ans inclus, il est possible de se présenter une demi-heure (voir un peu plus) devant les caisses avec une carte d’identité afin d’acheter une place à 10 euros d’ailleurs pas forcément mal située. Métro Champs Elysées Clémenceau. Paris 8e. Environ 2 heures (?)


Marie Barral

 
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