samedi 18 décembre 2010

Monet au Grand Palais : retour aux eaux originelles

Monet (1840-1926) est à l'honneur à Paris, et notamment au Grand Palais qui lui consacre une monographie pour laquelle chaque lieu fait office de chapitre. De Fontainebleau aux Nymphéas, le voyage du peintre pourrait être un retour aux eaux originelles : la Seine, Belle-Ile, la Méditerranée, Venise, la Tamise, Giverny… Jusqu’au 24 janvier.


L’impressionnisme, du moins celui de Monet, semble puiser son inspiration dans les eaux.
Impression, soleil levant (1872) le tableau (hébergé au musée Marmottan) qui donna son nom au courant est une mer d’où s’échappe une frêle matière, ombres, soleil et barques. Le critique Ernest Chesneau le perçut comme un « soleil levant sur la Tamise » cependant qu’il s’agissait d’une vue du port du Havre.

Ce fut dans cette ville qu’une quinzaine d’années auparavant, en 1858, Monet rencontra son maître, un normand justement, Eugène Boudin. Saisi par les caricatures du jeune natif de Paris, l'artiste considéré comme le "véritable père de l'impressionnisme" (1824-1898), emmena le jeune Claude peindre la campagne en plein air, une méthode dont ne se départira que peu le disciple, si ce n’est par grand froid : « Ce fut tout à coup comme un voile qui se déchire, devait dire plus tard Claude Monet, j’avais saisi ce que pouvait être la peinture ; par le seul exemple de cet artiste épris de son art et d’indépendance, ma destinée de peindre était ouverte. »


L’eau, élément sans cesse mouvant et qui contient par ses reflets la nature qui l’entoure, pourrait être le grand problème des peintres soucieux de représenter la vie, mais ce fut pourtant par et avec elle que Monet réussit à relever le défi : installé avec Renoir au restaurant flottant La Grenouillère sur la Seine (Bougival), au milieu des canotiers endimanchés, Monet devenait « impressionniste » (La Grenouillère, 1869).

Les meules, la cathédrale de Rouen, les peupliers, le Parlement anglais… les séries de Monet –présentées pour partie dans cette exposition- sont célèbres, et la première d’entre elle, celles des "Débâcles des glaces", est une représentation de la Seine, en partie gelée, près de Vétheuil (à partir 1880). Selon diverses sources, ce ne fut pas

de manière délibérée que Monet entra en « séries » (comme on entre en religion, laquelle serait ici bien peu transcendantale car vouée à l’instant) : les variations du temps, de la lumière ou du vent, obligeant parfois à attendre longtemps pour continuer l’image ébauchée, l’artiste se mit à développer son motif en parallèle sur plusieurs toiles. La première série « consciente » fut celle des Meules (1890) « […] plus je vais,

plus je vois qu’il faut beaucoup pour arriver à rendre ce que je cherche : "l’instantanéité" ».


Au tournant du siècle, l’homme chez qui la quête de l'instant s'étirait sur les ans s’en revint sur ses pas comme pour faire corriger ses sujets par l’œil impressionniste (et malade) : les falaises de Varengeville, le village de Vétheuil et la Tamise se drapèrent de brume.


L’exposition se termine comme il se doit, à Giverny, dans le jardin d’eau de Claude Monet. Les deux médaillons aux nénuphars, au fond à gauche de la salle, y sont saisissant de vérité… Après son tour du monde, des lumières, des fleuves et des côtes, le peintre semble avoir, dans son propre jardin, trouvé l’eau originelle.


Monet, (1840 – 1926), Au Grand Palais, jusqu'au 24 janvier 2010, Métro Champs-Elysées Clémenceau, Tous les jours de 10h à 22h, les mardis jusqu'à 14h, les jeudis jusqu'à 20h.

Du 18 décembre au 2 janvier : de 9h à 23h, y compris le mardi.

http://www.monet2010.com/ : site très beau mais sur lequel il est difficile de naviguer.


Sources : exposition et L'univers impressionniste de Germain Bazin, Ed. Aimery Somogy.

dimanche 12 décembre 2010

Raymond Depardon, La France...













Crédit photo : Raymond Depardon / Magnum Photo / CNAP

"La France". Tout un programme. Et pourtant, la Bibliothèque nationale n'héberge que quelques clichés... d'une star de l'image certes, mais de lieux bien peu présomptueux : des devantures de charcuteries, des angles de rues de bourgs de campagne, des caravanes garées devant des pavillons, des affiches écornées, etc. A voir jusqu'au 9 janvier.

Entre Berck-sur-Mer et Cannes, la Normandie et le Languedoc, Raymond Depardon a photographié une France de sous-préfectures, une France dont on parle si peu, grise. Les hommes comme les animaux y sont rares, ne reste que leur passage, affiches, voitures, ou fauteuils. Cette France de l'entre deux, ni glorieuse ni miséreuse, accroche le visiteur par ses couleurs : les 36 tirages argentiques très grands formats, que Raymond Depardon a pris soin de traiter avec les meilleures « scan » numériques de l'époque, éclatent. Point de légende accolée à ces photos, le spectateur tente donc, grâce aux indices humains ou physiques, de tester ses connaissances géographiques. D'après le site internet de la BNF, Depardon « montre les conséquences de l’explosion des villes françaises durant la seconde moitié du XXe siècle qui a créé des usines à vendre en périphérie des villes entourées d’un océan de parkings, des zones péri-urbaines qui engloutissent les petites villes et les villages, la surexploitation immobilière du littoral et de la haute montagne… » Pour le visiteur qui n'a contemplé que 36 argentiques, difficile de faire une telle analyse. Pour lui, point de conclusion sociologique, urbanistique, uniquement l'impression d'avoir été témoin d'un regard d'artiste, œil décalé concentré sur l'angle mort, sur ce que nous, touristes assoiffés de grandeurs et de préciosité, n'avions même pas remarqué. Une France presque abandonnée, certes non par le béton, mais par la vie et les yeux des hommes, voire par la modernité : campagnes, villages, lieux touristiques délaissés une partie de l'année.

Le photographe, en revanche, n'est pas oublié. Après une petite mise au point fort utile associant les clichés en modèles réduits à leurs légendes, la démarche de l'auteur (le tour de France) est illustrée par quelques clichés de lui-même et de ces prédécesseurs qui l'ont influencé (Walker Evans, Paul Strand), ainsi que par l'exposition de tous ses cahiers de notes préparatoires. Cette glorification du travail de Depardon, -et la starification de l'auteur- est d'autant plus agaçante que l'exposition n'en a présenté qu'une infime partie. Il eut suffit que le photographe restât caché sous son voile rouge et qu'il gardât ses cahiers dans son tiroirs, pour qu'on lui rendre, par ce présent article, meilleur hommage.

A la BNF, site François Mitterrand, du mardi au samedi 10h-19h, le dimanche 13h-19h. Tarif : 7 euros / 5 euros pour les moins de 26 ans.

samedi 4 décembre 2010

Jean Genet (des barreaux aux planches)

Le cycle que le théâtre de l’Odéon a consacré à Jean Genet à l’occasion du centenaire de sa naissance s’est clos sur une lecture de plusieurs textes (Le Funambule, Journal du voleur et Le Condamné à mort) par Christian Olivier accompagné de ses musiciens et interrompu par Les lettres au Petit Franz que Genet écrivait quand il était en prison à son ami François Sentein en 1943.

Parmi ces lettres, celle datée du 17 juillet 1943 lâche cette sentence : « tu ne me sembles pas devoir vivre d’autres dangers que les dangers de l’intelligence et ce sont, de loin, les plus terribles », autant de dangers qui n’échappent pas plus à l’esprit perçant de Genet que lui-même y échappe.

Le Funambule entame le spectacle, il y est question tout à la fois de la peur, de l’orgueil et de l’ambition qui habitent et doivent habiter un artiste. Jean Genet l’avait écrit pour un amour, le jeune acrobate Abdallah Bentaga : mélangeant le fil tendu du cirque et de l’écriture, la beauté du spectacle et la dureté d’être là : « Impolitesse du public : durant tes plus périlleux mouvements, il fermera les yeux. Il ferme les yeux quand pour l'éblouir tu frôles la mort... ». C’est cette dureté-là qui est constitutive de l’artiste, qui est à a fois son danger et son essence ; c’est sur ce fil qu’il existe : « Je ne serais pas surpris, quand tu marches par terre que tu tombes et te fasses une entorse. Le fil te portera mieux, plus sûrement qu'une route... »

Est-ce le temps qui fait à l’affaire ? Un siècle s’est écoulé depuis la naissance de Jean Genet : père inconnu, abandonné par sa mère, subjugué par le vol qu’il ne cessera de mythifier, puis la prison, la légion étrangère, des premiers écrits censurés pour pornographie, fasciné par la beauté du mal… L’aura-t-on résolu cette tension en ouvrant théâtres et publicité à celui qu’on avait mis auparavant en prison ? La reconnaissance est aujourd’hui évidente, comment en serait-ce autrement ? Mais on y perd, par là même, une violence originelle, une intransigeance qui fait dire à Genet : « Mon petit Franz ne commets jamais de geste sans beauté. On en souffre trop de vivre dans la laideur des gestes étriqués. » N’est-ce pas là le danger de résoudre cette tension, n’est-ce pas superbement l’ignorer et s’ignorer ?


"Le Condamné à mort et autres poèmes" Jean Genet, Gallimard, 5€, pour une lecture de ce texte par Mouloudji, cliquez ici.
"Journal du voleur , Suivi de Querelle de Brest et de Pompes funèbres" Jean Genet, Gallimard, 30€
"Le Funambule" Jean Genet, L'Arbalète, 12€
"Lettres eu petit Franz" Jean Genet, Le promeneur, 13€
 
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