dimanche 7 décembre 2008

«Terre natale, ailleurs commence ici », Depardon et Virilio à la Fondation Cartier

« Que reste-t-il du monde, de la terre natale, de l’histoire de la seule planète habitable aujourd’hui ? » Telle est la question que se posent Raymond Depardon, cinéaste et photographe et Paul Virilio, urbaniste et philosophe. L’évènement, qui prend place à la Fondation Cartier est annoncé comme une « exposition ». Il s’agit bien plutôt de trois films, trois projections sur le mouvement, les migrations et l’enracinement.

Ailleurs commence ici

Deux étages d’exposition pour une question. Le sous-sol est consacré à Paul Virilio. Filmé, l’homme marche vers nous tout en nous faisant état des dernières prédictions des Nations-Unies : d’ici 2040, un million de personne vont se déplacer, ce qui représente un « mouvement sans précédent ». Mais les migrations sont de diverses formes (ah oui?), le philosophe opposant le nouveau sédentaire, « celui qui est partout chez lui, avec le portable, l’ordinateur, aussi bien dans l’ascenseur, dans l’avion, que dans le train à grande vitesse » au nomade qui est « nulle part chez lui », sans-cesse en transit, dans des tentes ou des charters.

Ci dessus : Brésil, Photo : Raymond Depardon

Guerres, ouragans, questions économiques ou politiques… les multiples causes de l’obligation de bouger sont déversées aux yeux des visiteurs sur une plafond d’ordinateurs qui s’allument et s’éteignent tour à tour, comme dans une salle de rédaction où les images du JT défileraient non-stop, comme dans une salle de marché dans lesquelles les mouvements de la bourse sont remplacés par les mouvements du monde. Point de dates, de chiffres, ni même de paroles, simplement un défilé d’images rapides. La salle de projection du sous-sol rationnalise ce discours en montrant par un défilement de cartes pédagogiques l’importance des remises d’épargnes des émigrants pour les pays en développement, l’augmentation des flux de réfugiés politiques (et des conflits) depuis les années 1990, l’importance croissante à venir des réfugiés écologiques…. Insistant sur la période 1990-2007, le philosophe (aidé pour ce travail cartographique d’universitaires) tente de faire des projections : quelles seront les pays les plus touchés par la sécheresse dans les décennies à venir, les villes du littoral qui risquent de sombrer… ? Le travail présentée n’offre aucune révélation au visiteur averti, mais lui permet simplement de prendre conscience de l’ampleur du phénomène migratoire présent et à venir.


Crédit Photo : Diller Scofidio Renfro

Terre Natale

Le rez-de-chaussé est consacré aux œuvres de Raymond Depardon. Comme son nom l’indique « Donner la parole » est un film d’interview. Qu’ils soient issus de tribus Mapuches (au Chili), Quechua (Bolivie), Yanomami (Brésil), Afar (Ethiopie)… qu’ils parlent en breton, en patois, en arabe, en chipaya ou en guarani, tous les interviewés disent leur attachement à leur terre, leur crainte de se la voir spolier ou abîmée, la disparition de la terre impliquant, pour tous, l’extinction du peuple qui l’occupe. La plupart des Indiens d’Amérique du Sud interrogés avouent d’ailleurs être les derniers de leurs tribus. Si implantés soient-ils, ils sont déjà des exilés, et font état de leur impression d’étouffer (« Les villes sont en train de nous encercler, nous ne savons plus où fuir » explique une femme Guarani). La caméra leur offre l’occasion de lancer un appel aux « Blancs » destructeurs de la « terre-forêt » et, dans le même temps, pourvoyeurs de médicaments. On reconnaît dans ce film militant, le regard de Raymond Depardon, son insistance à filmer les visages, à vouloir pénétrer les cœurs, sa volonté de prendre le temps d’écouter. Un court métrage comme une introduction à La vie moderne.

La « vie moderne » justement, celle des citadins sans cesse en mouvement, Raymond Depardon la présente dans un deuxième film « Tour du Monde en 14 jours ». Une projection qui se présente comme « le pendant » de la première. Quatorze jours durant, le caméraman a parcouru de grandes agglomérations, filmés des urbains pressés, en transit, attachés simplement à leurs écouteurs et leurs i-pod. A l’inverse de « donner la parole », les images sont rapides, dénuées de mots, elles sautillent de belles japonaises en touristes américains replets, de clichés en clichés. Pourquoi ce « tour du monde en 14 jours » ? Pour souligner l’absurdité de nos mouvements en les portant à leur paroxysme ? Illustrer une fois de plus l’uniformisation qu’induit la mondialisation et l’opposer ainsi à la variété des tribus précédemment interrogées ? Participer à la pollution dénoncé par Paul Virilio à l’étage en dessous ? Conceptuellement les deux films se répondent effectivement, mais, finalement, le visiteur n’apprend pas grand-chose… Reste La Vie Moderne et le discours de Claude Lévi Strauss largement relayé ces jours-ci qui nous disent bien plus finement ce que l’exposition de la fondation Cartier effleure.

Honolulu, Crédit Photo : Raymond Depardon

« Terre natale, ailleurs commence ici », Raymond Depardon et Paul Virilio, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, jusqu’au 15 mars 2009, tous les jours sauf le lundi de 11h à 20H, le mardi jusqu’à 22h, Tarif : 6,50 euros ; TR 4,50 euros, gratuit pour les moins de 10 ans et pour les moins de 18 ans le mercredi de 14h à 18h
261 bd Raspail, Paris 14e, Métro Raspail ou Denfert Rochereau, 01 42 18 56 50.

Article paru dans La Boite à sorties le 1er décembre 2008


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