mercredi 24 décembre 2008

"L'incendie du Chiado", François Valléjo

Dans son dernier roman, le lauréat du Prix Inter 2007, met en scène un huit clos autour de cinq personnages, se délectant dans une fine peinture des rouages des relations humaines. C’est à partir de ses propres souvenirs que François Valléjo, qui assista à l’incendie qui ravagea le quartier historique du Chiado le 25 novembre 1988, a imaginé ce huit clos psychologique.

Une préfiguration d’une société nouvelle
L’incendie du Chiado est un chaos, un monde avant l’intervention créatrice de Dieu. Les cinq personnages du huit clos se sont pris au piège volontairement, ils ont pris la décision de ne pas sortir ou sont incapables de le faire. L’incendie a réveillé en eux de vieux traumatismes , ils préfèrent fuir le vieux monde et rester dans le chaos. C’est d’ailleurs le projet explicité par le mystérieux Juvenal Ferreira qui veut accélérer la perte d’un ancien monde pour une régénérescence, pour cela il mettra chacun face à ses propres faiblesses et contradictions.
Dans un contexte hostile et menacés par ceux qui veulent les secourir, les cinq sont obligés de s’organiser et de se supporter. Un repas partagé et largement arrosé sera le point d’orgue d’une fraternité naissante, Ferreira fait alors parler ses camarades et les confidences de chacun mettent alors vite à mal cette nouvelle fraternité. Composer une communauté nouvelle n’est pas simple, il faut composer avec les individus et leur passé. Et Ferreira de conclure : « La fraternité s’épuise vite ».
Ferreira, qui se dit à l'origine du chaos, est justement le moteur de cette cellule de gens hors du monde : il estime que les quatre personnes restées volontairement dans l’incendie sont dignes d’un nouveau monde. Ferreira est ce personnage charismatique qui exerce un pouvoir sur les autres : il arrive à les faire parler et à les convaincre de ses plus folles idées, de son discours assez extrémiste (la doctrine de Salazar était « l’Estado Novo »). Ferreira dit à ses compagnons qu’il veut les aider, il serait porteur d’un « secret », d’une vérité. Ainsi, ce ne serait pas un hasard qu’ils se soient retrouvés tous les cinq dans ce même lieu, ils doivent maintenant mener une existence différente.
Cette microsociété est aussi le théâtre d’un renversement de valeurs : le vieux Carneiro, resté dans son quartier pour protéger la propriété, n’hésite pas à investir la demeure de son ami Soares, il finira par piller la propriété ; Agustina prend un bain de vin ; ils se sentent absolument libres, affranchis de tout regard humain ; Ferreira voudrait qu’il se débarrasse de leur vocabulaire qui sont leurs références du monde d’avant et donc de leurs jugements d’avant : « Si vous aviez un peu de courage, vous brûleriez les mots trop commodes » (p.159) Mais l’omniprésence du passé de chacun, qui fonde d’ailleurs leur présence dans l’incendie, rend impossible cette nouvelle société.

Le poids du passé
Les personnages ont trouvé refuge dans l’incendie pour fuir le passé sauf peut-être Juvenal qui y est justement pour mieux retrouver une sensation passée de pouvoir. Ils prétextent d’abord être restés par amour (amour de son quartier, amour de son métier, amour maternel…) mais l’obsession du passé est là : le vieux ne veut pas revivre l’humiliation de Salazar en ayant à dormir devant d’autres personnes, Eduardo ne veut pas revivre son incapacité à prendre de bonnes photos, Agustina ne veut pas affronter la mort de sa fille, le Français ne veut pas affronter le passé trouble de son père. Et c’est le but de Ferreira que de vouloir les débarrasser de leur passé qui les empêche de vivre, qui les empêche d’être libre. Et sa méthode pour cela est de les faire parler, à la façon psychanalytique : faire parler du passé pour s’en guérir.
Ferreira pense aussi que l’on doit connaître le passé, les obsessions des gens avec qui l’on est, et que c’est « une fausse politesse » que de vouloir l’ignorer : « Est-ce que ce ne serait pas mieux d’être simplement là, ensemble, sans chercher à savoir avec qui on est ? Le passé ne regarde que celui qui l’a vécu, il n’est pas toujours glorieux. On l’arrange sa sauce, c’est plus commode. Laissez-nous mentir tranquillement. » (p.155)
Pour Ferreira, la destruction du passé est la condition nécessaire au bonheur : « Il fallait que le passé n’existe plus. Si le passé n’existe pas, il est possible d’être heureux et pur. » (p.165). Cependant la destruction du passé semble impossible et même si c’est pour se construire le passé qui nous arrange, comme le fait le Français. Ainsi est évoqué la réunion des anciens colons portugais qui se réunissent pour une interminable nostalgie. Le passé, même s’il n’existe plus réellement, fonde l’histoire de chacun et reste donc présent.

La quête
Certains personnages sont en quête de quelque chose de personnel : Agustina, dans sa folie, cherche sa fille et le Français cherche des réponses sur le passé de son père. Et même Ferreira qui dit ne plus rien chercher, lui est à la recherche de la sensation qu’il a connue au Mozambique quand il a mis le feu aux propriétés, cette sensation de pouvoir absolu.
Mais tous sont dans la fuite, et c’est peut-être pour cela que cet incendie les arrange : « C’est fou le nombre de gens auxquels une catastrophe fait plaisir. C’est la satisfaction des victimes. » (p.141) Agustina fuit la réalité de la mort de sa fille en se rendant toutes les semaines au rendez-vous alors même qu’elle a vu le corps de sa fille morte, le Français fuit devant le passé trouble de son père, Eduardo fuit sa vie de famille qui se délite et le vieux, sous prétexte de vouloir sauver son quartier, fuit ses traumatismes, ses obsessions de ne pas vouloir dormir devant d’autres personnes. Juvenal Ferreira est-il le seul personnage qui ne fuit pas sa quête ? Il veut mettre fin au monde ancien et ne recule devant aucune folie pour le faire.

« L'incendie du Chiado » François Valléjo, Viviane Hamy, 18, 50 euros

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