dimanche 14 décembre 2008

Entretien avec Alain Lipietz : le Deal Vert ?

A l’occasion du Congrès des Verts à Lille, au cours duquel Cécile Duflot a été réélue secrétaire nationale à une large majorité (sa motion de synthèse a recueilli 71% des voix), en3mots a posé quelques questions à Alain Lipietz, économiste et député européen. Comment à l'heure du Grenelle de l'environnement et des négociations européennes sur les réductions de gaz à effet de serre, se situent les Verts ? Réponses d'un écologiste universitaire.

Samedi matin, au palais des Congrès de Lille, dans la salle de sa motion (celle du voynetiste Jean-Louis Roumegas), Alain Lipietz mettait en garde : « à l’heure où tout le monde parle d’écologie, il ne s’agit pas de tomber dans le simplisme de la décroissance. A un moment de crise, où des hommes n’arrivent pas à se loger, à se chauffer, décroissance ne peut être un mot d’ordre pur et simple. » Pour autant « il faut sortir d’une écologie galvaudée »….


En3mots : Qu’il y a-t-il entre « l’écologie galvaudée » et la « décroissance » ?

Alain Lipietz : Il existe un accord général entre les écologistes, que ces derniers soient scientifiques ou politiques, pour dire que l’objectif est « la décroissance de l’emprunt écologiste ». Certains vont faire de cette décroissance une religion : « il faut se serrer la ceinture, consommer moins, arrêter de prendre l’avion pour aller en vacances, etc… » Pour ces personnes, les moyens par lesquels on va réduire l’emprunt écologique deviennent une fin en soi. Puor ma part, je pense que l’objectif est de protéger la nature et notre avenir, et que la réduction de notre consommation est une technique pour le faire, et non l’inverse. Supposons que la fusion froide fonctionne et que cela nous permette de produire de l’énergie sans efforts et sans rien abîmer, en serions-nous satisfaits ? Certains écologistes ne seraient pas prêts à utiliser cette technique. Je ne comprends pas le mot « décroissance ». Décroissance de quoi ? « Développement soutenable » est une bien meilleure formule, qui, de plus, est acceptée par les textes l’ONU. Les mots quantitatifs que sont « croissance » ou « décroissance » sont ainsi remplacés par un terme qualitatif, celui de « développement soutenable ».

A ce débat de fond entre écologistes, se rajoute, à l’heure actuelle, la crise économique. Cette crise est une crise de la demande. Au contraire, la crise de 1980 était une crise de l’offre, ce qui était beaucoup plus difficile à résoudre. Une crise de la demande peut-être, on l’a vu en 1929, résolue par une politique keynésienne. A droite comme à gauche, il existe un consensus sur ce point : droite comme gauche pensent qu’il faut redonner de l’argent au consommateur et baisser les taux d’intérêt. Point. De leur côté, les décroissants pensent qu'il n'est pas forcément nécessaire de mener une politique de relance keynésienne.

Les Verts estiment qu’il n’agit pas de mettre en place une simple politique « néo-kéynesienne » sorte de néo-rooseveltisme [Roosevelt a été élu aux Etats-Unis en 1933 et a mis en œuvre la politique kéynésienne de relance de la demande] qui consisterait à donner une voiture à tout le monde. Il faut au contraire mener une politique de relance « verte », le Green Deal ( Deal Vert en FR), c’est à dire relancer une demande publique fondée sur les énergies renouvelables.


En3mots : de quelles manières peut-être mis en oeuvre ce Deal Vert ?

A.L : Par exemple, au Parlement Européen, je suis un des principaux « surveilleurs » de la Banque Centrale Européenne. Puisque la politique de liquidité de la BCE consiste actuellement à élargir les titres qu’elle rachète, pourquoi la Banque ne pourrait-elle pas décider de racheter des titres meilleurs quant à leur usage ? Par exemple des titres de collectivités locales visant à installer des transports en commun en site propre, etc.

L’industrie automobile dit actuellement qu’on ne peut pas lui imposer de normes environnementales sévères car elle est en crise. Il faudrait conditionnaliser les prêts faits aux industriels à une production plus "verte". Au début de la seconde guerre mondiale, Ford qui était en crise, s’est mis en quelques semaines à travailler 7j/7 et 24h/24 pour fabriquer des avions. L’industrie automobile sous-estime ses capacités de réaction (et cherche, évidemment, à conserver ses chaînes de montage).

L’Europe est réellement l’échelon idéal pour négocier des politiques publiques intéressantes, notamment au niveau environnemental.


En3mots : En tant qu’eurodéputé, pourriez-vous nous dire quelle est la position des Verts européens sur le Paquet énergie climat (les négociations en vue de limiter le réchauffement climatique) ? Sur les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre ?

Alain Lipietz : Nous, les Verts, voulons que les émissions de gaz à effet de serre baissent de 30% d’ici 2020. La Commission est d’accord pour que l’objectif soit de diminuer les émissions de 30% d’ici 2020, à moins qu’aucun accord ne soit conclu. En ce cas, la Commission est prête à descendre jusqu’à 20%. En pratique, les Etats sont partis pour une baisse de 20% avec des possibilités de rachats de droits d’émissions [comme pour Kyoto]. Ce à quoi s'opposent les Verts.

[Nicolas Sarkozy et Angela Markel ont confirmé hier qu'il ferait adopter le paquet Climat lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre. Tel qui sera voté, le texste prévoit une baisse de 20% des réductions de gaz à effet de serre d'ici 2020.]

Sur l’objectif de 20% des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de l’UE d’ici 2020 (actuellement 8,5%/source : Euractiv) ?

A. L : La tendance, dans ces négociations est à inclure dans les 20% d'énergies renouvelables les agrocarburants (à hauteur de 10%) et le nucléaire. Les Verts se battent contre l’inclusion du nucléaire. Toutefois, il faut savoir que la situation des pays de l’Est rendent les négociations compliquées. Dans certains de ces petits pays, fermer une centrale, héritée de l’ère soviétique, revient à couper 30% de l’électricité du pays. Il est donc difficile d'imposer à ces petits pays de fermer purement et simplement leurs centrales.

Pour ce qui est des agrocarburants, les Verts y sont favorables, nous sommes d’ailleurs le seul parti à avoir pour symbole un agrocarburant, le tournesol. Toutefois, nous avons toujours été contre l’idée qu’il faille évincer les cultures alimentaires et la biodiversité pour produire des agrocarburants et faire rouler des voitures.

Nous nous sommes donc battus au Parlement européen pour ramener de 10 à 4% la part des agrocarburants dans les énergies renouvelables. Nous voterons quand même contre cette partie du texte, mais l’objectif de 4% est pour nous un compromis, un signal fort qui permet d’interrompre la production de premières générations d’agrocarburants. Concrètement, les banques prêtent de moins en moins aux projets d’agrocarburants de premières générations qui transforment directement la betterave ou le blé en éthanol.

Les agrocarburants de deuxième génération sont produits à partir de cellulose [une molécule présente dans tous les végétaux. Ces agrocarburants peuvent donc être fabriqués à partir de végétaux non alimentaires, ou bien à partir de parties non alimentaires de plantes.] Pour produire 1,3 d'agrocarburant première génération, on consomme 1 litre de pétrole. Il faut 1 litre de pétrole pour produire 8 litres d’’éthanol seconde génération. Les Verts sont en faveur du développement des agrocarburants de troisième génération, c'est-à-dire de carburants produits à partir d’algues à huile microscopiques (qui captent du CO2 pour synthétiser de l’huile). Dans ce cas, 1 litre de pétrole est nécessaire pour produire 40 litres de biocarburant.

N.B : La motion de synthèse portée samedi par Mme Duflot et votée à plus de 70% des voix, s'intitule "l'alternative écologiste", elle "réaffirme l'orientation générale des Verts en faveur de la décroissance sélective, équitable et solidaire". La tendance de Mme Voynet (et M. Lipietz) qui était arrivé deuxième lors du vote des militants du 16 novembre, était moins favorable à la notion de "décroissance" que le courant de Cécile Duflot (arrivé 1er), mais elle s'est ralliée à la majorité pour garder un parti uni et obtenir des sièges au sein du secrétariat national.

Paru dans en3mots le 8 décembre 2008.
Merci à Dom pour ce sympathique week-end lillois !

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