dimanche 28 décembre 2008

Les portraits d'artistes de Doisneau

Par ce livre, Antoine de Baecque, critique de cinéma et actuel directeur des éditions Complexe, nous montre le Doisneau que nous ne connaissons pas, un artiste a photographié plus que le « monde qui se lève tôt » (les ouvriers, les Halles…) et celui qui se couche tard (les bistrots, les prostituées…).

De l'atelier à l'artiste
Quand Doisneau saisit des artistes, il les veut au travail, il veut de l’art en train de se faire, loin de l’académisme : dans l’atelier, là où ça se passe comme le disait Braque. Cette série de 150 portraits d’artistes propose une déambulation dans l’imaginaire de Doisneau qui arpenta beaucoup les ateliers de peintres. Doisneau a aussi photographié quelques cinéastes, des écrivains, des chanteuses mais, pour lui, les peintres sont les plus concrets, les plus gestuels. Ce livre est donc un témoignage sur un demi-siècle de création picturale mais aussi une manière de faire partager la passion de l’atelier.
Chez Doisneau, l’atelier est non seulement un espace de création et de travail où son regard s’affûte mais il a aussi l’effet d’une véritable cure de remise en forme : « Quand je me sens las de traînasser, je vais me refaire une santé dans l’odeur de térébenthine et le calme des ateliers ».
A l’origine, ces photos n’étaient pas destinées à être réunies, elles sont parues dans des journaux, revues et magazines entre la fin des années 30 et la fin des années 70. Des 450 000 négatifs qu’il a laissé en héritage, un certain nombre sont des commandes de revues : Action, Life, Paris-Match, Réalités, Point de vue, Regards, La vie ouvrière… Et plus particulièrement Vrai en ce qui concerne les peintres ainsi que Vogue puis l’œil. Mais la revue d’art qu’aimait le plus Doisneau était incontestablement Le Point dirigée par Pierre Betz pour laquelle il travailla de 1946 à 1954 : un célèbre reportage consacré à Picasso en 1952, puis à Braque l’année suivante.

C’est Betz qui ouvrit la porte de nombreux ateliers car le photographe était timide, longtemps poursuivi par le « trac du ratage ». C’est pourtant dans un atelier qu’il a commencé : celui de maître Vigneau, un sculpteur de talent. Pendant trois ans, Doisneau fait ses premières photos, l’atelier est donc le lieu originel de Doisneau bien plus que la rue. Comme si cette expérience originelle lui avait permis de percer le secret des peintres d’atelier : il se tient à l’écart ou dirige un geste puis capte le moment où la pose devient authentique.

Une "anthropologie visuelle de la tribu des peintres"
Les peintres ressemblent chez Doisneau à d’étranges ouvriers : César qui chasse la ferraille dans les restes de la civilisation industrielle, Braque avec cette étrange visière ressemble à un ouvrier soudeur… La plupart ont un rapport extrêmement physique à leur art. Doisneau cherche à capter ce corps qui travaille, ces peintres ont une sorte d’élégance naturelle, directe, parfois populaire.
Dans ces photographies, il y aussi ceux qui œuvrent dans l’obscurité la plus totale : ce livre est aussi donc une réflexion sur la fragilité de la destinée de l’artistes. Doisneau à une conscience aiguë de cela et il aime tout autant les marginaux de la peinture (Maurice Duval, l’atelier de misère de Lucien Genin). Des artistes comme Chaissac, à la fois génie et considéré comme l’idiot du village, dit à quel point l’artiste, « s’il est un voyant, il est un être essentiellement marginal ».

De Pablo Picasso à Gaston Chaissac
« Pour interpeller ces êtres qui planent sur les cimes, il faut une bonne dose de culot crétin, ou posséder l’autorité qui permet de devenir rédacteur en chef. »

"Les pains de Picasso", Vallauris, 1952

Picasso aura été un des meilleurs modèles de Doisneau. Quand le photographe est arrivé au rendez-vous à l’atelier rue des Grands-Augustins pour réaliser le reportage commandé par Le Point, personne ne répondit dans un premier temps. Timide mais si près du but, Doisneau poussa la porte. Il découvre Picasso, en train de déjeuner, lui propose un verre : « Un génie dans une cuisine, il y avait de quoi rester coi ». Comme il y avait ces pains en forme de mains, Doisneau a demandé la pose au peintre qui s’est prêté au jeu. C’était facile avec Picasso car il improvisait avec le moindre accessoire, il possédait le sens du mime.



Gaston Chaissac photographié par Robert Doisneau

Né en 1910 à Avallon d’un père cordonnier et d’une mère fille de marchands ambulants. Gaston Chaissac, de santé fragile, quitte l’école à 13 ans et travaille comme apprenti. Lors d’un séjour à Paris, il rencontre les peintres Otto Freundlich et Jeanne Kosnik-Kloss, cela marque le début de sa vocation artistique. Il vit à l’écart du monde et se consacre uniquement à sa peinture. Dans le village de Vendée où il s’est installé, il ne rencontre qu’incompréhension mais il entretient une correspondance abondante avec des artistes et des intellectuels comme Jean Dubuffet (qui l’associe à l’Art Brut). Avec lui, Doisneau n’a jamais parlé « du désir de survivance qui est souvent source d’énergie pour les singuliers de l’Art », Doisneau dit utiliser ce même moteur.

Doisneau, portraits d’artistes » Antoine de Baecque, Flammarion, 45€
Les extraits de texte de Robert Doisneau sont issus de "A l’imparfait de l’objectif" dont le texte intégral est disponible dans la collection Babel des Editions Actes Sud.

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