dimanche 28 décembre 2008

« Henri Cartier-Bresson, le tir photographique », Clément Chéroux

Dans la très bonne collection Découvertes Gallimard, Clément Chéroux retrace la vie exceptionnellement riche du plus grand photographe du 20ème siècle, Henri Cartier-Bresson. Quelques éléments que l'on apprend...



Les années de formation
Henri Cartier-Bresson, né en 1908, passe son enfance dans les beaux quartiers de Paris. Depuis plusieurs générations, sa famille a fait fortune dans l’industrie du coton. Dès son adolescence, Henri Cartier-Bresson développe une passion pour l’art. A 18 ans, après avoir été recalé plusieurs fois au baccalauréat, il entre l’académie de peinture d’André Lhote, autodidacte, proche des surréalistes et qui donne un enseignement extrêmement théorique et normatif, c’est par lui que le jeune Henri contracte le virus de la géométrie. C’est aussi à ce moment qu’il entre en contact avec les surréalistes. Du surréalisme, Henri Cartier-Bresson retiendra le goût pour l’intuition, l’insubordination, le hasard et surtout la primauté donnée à l’expérience.
Henri Cartier-Bresson se lie d’amitié avec un couple d’Américains, les Powel, qui pratiquent la photographie et incitent leur entourage à la considérer comme une nouvelle forme d’art. Henri Cartier-Bresson découvre la photographie en tant que nouvelle forme d’art à travers des photographes mais aussi en la pratiquant.

Henri Cartier photographe
Dans les années 30, Henri Cartier devient vraiment photographe à travers une série de voyages, il élabore un style entre pureté géométrique et fulgurance surréaliste. Après la fin de son service militaire, il embarque pour l’Afrique, une manière de rompre avec le cocon familial, la bonne société et l’enseignement de Lhote. C’est également un appel de l’aventure et du continent noir très présent dans l’imaginaire européen du 20ème siècle.
Après un voyage en bateau de 6 mois, il débarque en Côte d’Ivoire où il restera près d’un an à pratiquer divers métiers, il s’adonne de temps à autre à la photographie.

C’est en découvrant une photo de Martin Munkácsi que Henri Cartier-Bresson dira : « J’ai soudain compris que la photographie peut fixer l’éternité dans l’instant. C’est la seule photo qui m’ait influencé. » Il renonce alors à la peinture pour se consacrer à la photo. Il décide de reprendre la route, cette fois-ci pour photographier : Europe de l’Est, l’Italie, le Sud de la France, l’Espagne.





"Enfants jouant sur les rives du lac Tanganyika" Martin Munkácsi, 1930



Au printemps 1934, Henri Cartier-Bresson embraque pour l’Amérique du Sud, il s’installe dans un quartier populaire de Mexico où il vit chichement en travaillant pour des journaux locaux. Il profite de ce pays surréaliste pour réaliser des images de dormeurs, d’outres de peaux gonflées… Il est fasciné par l’omniprésence de la mort. Il restera un an au Mexique puis il entreprend son voyage à New York où il retrouve nombre d’amis de Paris des années 20.



México, Mexique, 1934


Dès le début des années 30, il envisage l’exposition comme une finalité. Un an après sa décision de devenir photographe, Henri Cartier-Bresson a sa première exposition à la galerie de Julien Levy à New York. Ses photos « antigraphiques » furent un choc alors que l’époque était habitué aux photos très précises, il est alors considéré comme un innovateur. Il commence aussi, à cette même époque à publier dans la presse illustrée (Vu, Voilà, Regards, Ce soir) et dans la presse d’avant-garde (Verve, Arts et métiers graphiques). Cela dit l’ambivalence du photographe qui ne fait pas la part entre commande et travail personnel, il est toujours à l’affût de la bonne image.

Au début de la Seconde Guerre Mondiale, Henri Cartier-Bresson est mobilisé par le Service cinématographique de la IIIème armée, dans l’est de la France, il filme la drôle de guerre avant d’être fait prisonnier. Il reste trois ans en captivité avant de pouvoir s'avader en 1943. En 1944, il photographie les ruines d’Oradour-sur-Glane puis la libération de Paris. C’est son expérience de prisonnier qui fut la plus marquante pour lui pendant la guerre, il qualifiera ces trois années de privation de liberté d’ « utiles [au] jeune bourgeois surréalisant » qu’il était.

Henri Cartier-Bresson grand reporter
En 1947, Henri Cartier-Bresson cofonde l’agence Magnum et entreprend un long voyage photographique en Amérique. Polyvalent, il est alors photographe, cinéaste, artiste et reporter. C’est également l’année où il décide de se consacrer plus exclusivement au grand reportage. Avec le poète John Malcolm Brinnin, ils entament un long circuit au travers des Etats-Unis pendant trois mois : l’un écrit et l’autre photographie. Ce voyage n’a plus rien de commun avec les déambulations poétiques de ses premiers voyages, là tout est organisé minutieusement. La guerre, la captivité, la perte de quelques-uns de ses proches, a joué dans l’évolution de Henri Cartier-Bresson, « dans l’espoir d’un monde différent ». Il devient un véritable professionnel en se consacrant au photojournalisme.


Downtown, New York, 1947



La participation de Henri Cartier-Bresson à la fondation de l’agence Magnum est un pas de plus vers cette professionnalisation, c’est la concrétisation d’un projet que tenait Capa depuis la guerre d’Espagne et qui repose sur le principe fondamental du respect des droits du photographe. Magnum est d’abord une coopérative selon le principe de l’autogestion communiste ; au lieu de travailler uniquement sur commande, les photographes fixent eux-mêmes leurs objectifs ; ils restent propriétaires de leurs négatifs. Henri Cartier-Bresson est chargé de couvrir l’Asie, un choix qui n’est pas sans rapport avec les origines indonésiennes de sa femme, Ratna. Elle l’aidera d’ailleurs à saisir certaines subtilités culturelles, sociales ou politiques. Le couple arrive à Bombay en 1947, peu après la déclaration d’indépendance, à un moment où les tensions communautaires sont exacerbées. Il sera le dernier à photographier Gandhi vivant. Life lui demande de se rendre en Chine où la guerre civile fait rage. Henri Cartier-Bresson y devient un véritable professionnel.

L’esthétique de l’œuvre
Ce sont de grands principes éthiques et esthétiques qui fondent le style Cartier-Bresson. Le photographe est lié au Leica, un appareil discret et léger qui correspond parfaitement à son rapport au monde, « Mon Leica m’a dit que la vie est immédiate et fulgurante ». Par ailleurs, Henri Cartier-Bresson est un fervent défenseur du noir et blanc considérant que la technique, à son époque, ne permettait pas de faire de bonnes couleurs. A la fois le Leica et le noir et blanc correspond à un choix artistique, il instaurait une relation de mobilité et de discrétion avec son sujet qui était rarement statique. Pour Henri Cartier-Bresson, la position physique du photographe correspond à une position éthique : ses images ne sont pas mises en scène, il veut capter des scènes fortuites, c’est aussi un refus de la « société du spectacle ». Il privilégie d’autres formes d’évidence que l’événement en lui-même et se dispensera donc de photographier sang, guerres et morts bien qu’il ait été souvent confronté à ces réalités.

La formulation théorique de cela est l’ « instant décisif », un terme qu’il utilise pour la première fois via une citation du cardinal de Retz en exergue de son livre Images à la sauvette : Ce terme désigne le moment précis où les choses s’organisent en un ordonnancement à la fois esthétique et significatif. Mais toutes ses photos ne relèvent pas de cet « instant décisif » qui a fait la fortune critique de Henri Cartier-Bresson. A la fin de sa vie, il préféra l’expression de « tir photographique » puis il comparera la photographie au tir à l’arc dans sa conception de la concentration que cela requiert.

Henri Cartier-Bresson : célébrité et postérité
A partir des années 70, Henri Cartier-Bresson ne photographie plus pour les magazines, il prépare ses nouveaux livres, sa renommée internationale ne cesse de s’accroître. Il fut le premier photographe français à exposer au MoMA, le premier vivant à exposer au Louvre, le seul à publier dans la prestigieuse collection de monographies de Tériade… Henri Cartier-Bresson est un véritable enfant prodige de la photographie. Mais cette quasi starisation produisit quelques effets pervers : il ne pouvait plus se rendre dans certains endroits sous peine d’être reconnu, lui qui avait fondé sa pratique sur la discrétion ; il y avait des jalousies parmi ses confrères ; devenant une véritable institution, il était aussi la cible de la nouvelle génération d’artistes. C’est à ce même moment que Henri Cartier-Bresson commence à marquer son désaccord avec l’orientation de Magnum, il critique sa dérive mercantile. Il renonce à sa qualité d’associé de l’agence en 1974 et abandonne à peu près en même temps le reportage mais il continue de photographier à la sauvette. Il a fait beaucoup de livres et s’occupe de la vente de ses tirages puis il revient à sa passion d’enfance, le dessin.


Henri Cartier-Bresson meurt le 3 août 1994 dans sa maison de Provence, la presse internationale lui rendra un hommage unanime, il est devenu une des grandes figures artistiques du 20ème siècle, ce qui est unique pour un photographe.



"Henri Cartier-Bresson, le tir photographique" Clément Chéroux, Découvertes Gallimard, 13,50€

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