vendredi 29 mai 2009

Cristal Ballroom : les roses noires de BABX

Il fait penser à Gainsbourg, à Bashung le temps de deux mots polysémiques bien assortis, au Saez de notre adolescence pour ses vers suicidaires ; il dit avoir Léo Ferré pour maître et met en scène un univers baudelairien chargé d’espoirs voluptueux formulés sur des trottoirs usés par des putes fatiguées. Nonobstant, avec ce deuxième album, BABX danse dans une salle de bal toute particulière. Hommage à un poète aux vers courts et aux rimes riches que berce une planante musique.

La chanson française est fatiguée, nous dit-on, épuisée de ses éternelles références, de ses propos collés à de minimalistes accords, de son intellectualisme pédant ou de son misérabilisme affligeant. Peut-être. Il est possible aussi qu’à un tel point d’écœurement, BABX ne vous rafraîchisse pas.

De toute façon, BABX n’est pas rafraîchissant. Ses murs de glace brûlent les « myocardes [tissu musculaire du coeur] titaniques ». Devant eux, sur de mélancoliques mélodies, le chanteur projette des paysages urbains saturés de caméras, de volutes de fumée et de bas résilles arrachés. Qu’ils soient habitués des trottoirs ou des hôtels internationaux, les personnages de ses chansons côtoient finalement les mêmes bas-fonds. Aubes, mers et trottoirs sont tous obscurément parés, même chez la Reine des Neiges, qui pour l’heure s’en est allée, règne un Soleil noir de la Mélancolie (Cristal Ballroom). Sous ses rayons, la salle de bal, mirifique Palais des Glaces, a fondu ; hommes comme femmes y noient leurs amours déchus (”Coule dans mes sillons”, Electrochocs Ladyland ; L’orage). Non, l’eau de BABX n’est pas rafraîchissante, la pluie y est continuelle et les Invitations aux voyages bien vaines. Si, en bon Baudelairien, l’artiste rêve d’île (L rêve d’Il), de « matins satins » et de « villes mauves », il se rappelle entre deux vers, combien ses espoirs sont déjà “poussière“.

Vous l’avez compris, BABX, dit, de jour, David Babin, est un poète maudit ; il en a la jeunesse ainsi que les écrits saccadés et érudits qui empruntent autant à la mythologie urbaine qu’aux ouvrages de botaniques (pour information, un Vétiver est une plante tropicale originaire d’Inde aux racines odorantes utilisée en parfumerie, source : TLF). Vous allez fondre…!
Cristal Ballroom, Wagram, Dans les bac, 11 titres.

Marie Barral

Vous pouvez découvrir trois titres sur son myspace mais, on ne vous le cache pas, ce ne sont pas les plus beaux : cliquez ici

Voici BABX chantant un des titres du précédent album (Crack Maniac) :




Article paru sur La Boîte à sorties le 22 avril 2009

lundi 11 mai 2009

Descendue du ciel sur la terre, et toujours aérienne, la danse de Martha Graham

Dans son dernier essai, Milan Kundera explique comment les « grands » écrivains du XXème siècle ont tenté de sortir du « mensonge romantique » qui a sclérosé des décennies durant l’art européen dans longues et lyriques embardées… Au secours de sa thèse, Kundera en appelle à Janacek contre Wagner, à Kafka contre Stendhal. Si éclectique soit-il, le romancier n’est pas un spécialiste de danse. Auquel cas, il aurait ajouté à sa liste de modernes, contre les petites ballerines de l’Opéra plus anges que rats, la chorégraphe Martha Graham et sa compagnie. Chronique d’une aérienne danse terrienne et de son programme A tel qu’il vient d’être présenté sur la scène du Châtelet.

La danse dite « moderne » aurait été inventée d’après un tableau de Kandinsky… C’est du moins ce que raconte la chorégraphe américaine, Martha Graham (1893-1991), mère et pionnière en ce domaine. Avant elle, les petits rats virevoltaient sur scène, trouvaient la source de leurs mouvements dans les cieux et s’y envolaient, légers. Après elle, les danseurs vont chercher leurs pas en eux-mêmes, dans leurs ventres, centres des émotions, et dans leur respiration, source de leur énergie ; puis ils les diffusent là où leurs membres peuvent les porter : au sol bien sûr, sur terre, c’est de là que viennent ces créatures trop humaines, ou légèrement au dessus d’eux, lorsque leurs forces les sortent un peu d’eux-mêmes. Point de pointes donc ou de royales portées, les danseurs ont les pieds plats ou pliés. Marx avait fait descendre la philosophie du ciel sur la terre, Martha Graham a, dans son art, fait pareil ; la danse moderne est née.

mg

Photo Johne Deane

Finie la divine légèreté ou les êtres éthérés, même la magicienne et la cruelle Médée vêtue de sa robe enflammée a ses heures de culpabilité (Cave of the heart)… Du ventre de ses danseurs, la chorégraphe née d’un médecin « aliéniste » extirpe névroses et fantasmes. Ainsi dans le labyrinthe, ce n’est guère contre le Minotaure que se débat Ariane, mais contre ses propres démons. Douloureuse, la mise à mort du monstre ne se fait qu’au prix de plusieurs tentatives d’approches et de diverses petites morts ; elle récompense le long et cathartique combat de la femme perdue qui, dans le mythe, était justement censée sauver ! Il n’est point d’invincible chez les modernes… (Errand into the Maze)

Il est seulement des êtres changeants avec le Temps, grande danseuse à la robe comme une roue qui scande le cycle des saisons et des vies. Inlassable sablier, elle détricote les sentiments que les « Romantiques » avaient figés : l’Amour qu’ils avaient fait violent et passionné est sur la scène de Martha Graham tantôt jaune comme le flirt, tantôt rouge comme le sang, parfois d’un spirituel blanc. Les trois couleurs pourraient correspondre à trois âges de la vie : l’adolescente, la jeune femme et la sage, mais c’eût été retomber dans le piège des catégories figées et du coup, nous mener trop loin de nos réalités. Au contraire, sur un même plateau, la danseuse blanche côtoie la jaune puis la rouge, se fait voler son amant par la séductrice érotique, reste souvent seule, loin de viriles et drôles d’angelots, puis finit heureuse et accompagnée (Diversion of Angels).

Des variations de sentiments naissent d’orageuses de relations. Une nuit estivale. La pleine lune éclaire d’une jaune lumière les robes de ces dames. Sur la place du village, les couples mûrs viennent observer leurs cadets -des nuées de fraîches filles attaquant un bel éphèbe-, puis s’en retournent dans une langoureuse volupté saccadée de gentilles scènes de ménages. Cela n’en a pas l’air, mais ce sont les femmes qui portent les galants musclés ; seul, Pierrot, sur sa barrière, l’aura peut-être remarqué (Maple Leaf Rag). Lui que la légende dit triste aura ce soir été bien gai : géniale inventrice, Martha Graham était aussi drôle que douée. Sa Compagnie, qui danse sa modernité, le prouve par sa dernière création (et avec toutes les autres de ce programme !).

Au théâtre du Chatelet, durée deux heures, 20 minutes d’entracte (programme A), 2 rue Edouard Colonne, Paris 1er Métro Châtelet, 01 40 28 28 40 Pour réserver : cliquez ici

Le 27 avril, en hommage à Martha Graham, projections de films à 20h à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, Paris 12e, renseignements au 01 44 75 42 75. http://www.lacinemathequedeladanse.com/

Pour en savoir plus sur ceux que Martha Graham a inspiré, lire cette critique de l’ouvrage de Rosita Boisseau, “Panorama de la danse contemporaine”, cliquez ici

Marie Barral

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