Forte d’une longue histoire contrastée, la danse contemporaine reste tendue vers l’avenir. Elle est en conflit entre différentes références, c’est un art de l’intranquillité, réceptive aux remous du monde. Elle est au croisement de l’individu et de la collectivité. Même si chaque artiste reste unique, on peut repérer de grandes filiations enracinant la danse contemporaine dans le registre plus large de son histoire, alors même qu’elle voulait en faire table rase et dresser de nouveaux codes spectaculaires. La danse contemporaine a fini par admettre qu’elle était aussi une héritière.
Deux maîtres se distinguent : Maurice Béjart du côté européen, figure contestée mais imparable. Considéré comme trop néoclassique, il n’en demeure pas moins incontournable et commence à jouir auprès de ceux qui le rejetaient dans les années 80 d’une reconnaissance inattendue. Pour la première fois dans l’histoire de la danse, ce chorégraphe a fait basculer cet art dans le camp populaire. Peu revendicateur, il a souvent, bien avant tout le monde, injecté des thèmes, des motifs, des musiques, que nombre de chorégraphes ont repris après lui. Du côté américain, c’est Merce Cunningham qui forme dans son studio new-yorkais des danseurs affamés de technique moderne et d’abstraction. Au début des années 80, les Américains dominent le marché : le choc esthétique et intellectuel de certaines pièces comme celles de Cunningham marque. Les chorégraphes naissants (Ph. Decouflé, Dominique Boivin, Alain Buffard…) cherchent des modes de travail, de recherche, de techniques pour une danse qu’ils présentent mais qu’ils n’ont pas encore inventée.
Il y a aussi, très peu connue, la branche venue d’Allemagne sous l’influence de la danse expressionniste allemande. Parmi les héritiers de cette époque, Angelin Preljocaj, aujourd’hui encore tiraillé entre une abstraction pure et une danse charnelle. Cette résurgence de la référence allemande se déroule depuis une dizaine d’années va de pair avec une mise en avant des figures de la postmodern dance américaine des années 1960-1970 : les improvisateurs comme Steve Paxton et Lisa Nelson, ou Yvonne Rainer connaissent un retour de célébrité. Contestant le spectaculaire, ils prônent le retour au quotidien, à l’improvisation, dansant dans des endroits improbables (rues, parkings, toits). Au milieu des années 80, Alain Buffard, Boris Charmatz vont rencontrer de telles figures pour intensifier leur refus de la « belle » danse des années 80 : goût pour le processus plus que pour l’objet fini, revendication de l’expérimentation, cousinage avec la performance.
QUELQUES CHOREPGRAPHES :
Pina Bausch, née en 1940 en Allemagne, est la chorégraphe allemande la plus fameuse à l’international et en passe de devenir une icône. Chez elle, tout démarre dans les bras : torsadés comme des sculptures indonésiennes, ils entraînent toujours le buste, les hanches puis les jambes de moins en moins visibles.
Ses parents tenaient un hôtel et Pina raconte qu’elle a passé son enfance sous le stables à écouter les grandes personnes, de cette observation, elle a tiré Café Müller (1978), pièce emblématique qu’elle interprète toujours : une femme aveugle en longue chemise de nuit se tient aux murs pour ne pas s’effondrer… Les rapports masculin-féminin, dans ce qu’ils ont souvent de plus cruel, nourrissent la geste de Pina Bausch.
Depuis 1992 et la mise en scène des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville, Philippe Decouflé est devenu le chorégraphe populaire par excellence. Toujours soucieux de tirer la vie vers le haut et le féerique, Philippe Decouflé conserve le cap de ses somptueux délires visuels. Ainsi, son obsession dans le travail est « de faire en sorte que tous les éléments –danse, lumière, images, musique… - soient au même niveau. Rien n’est mineur dans un spectacle. »
Jan Fabre, né en 1958 en Belgique est plasticien, chorégraphe, metteur en scène et écrivain flamand le plus en vue sur la scène internationale, conserve l’instinct féroce d’un artiste qui taille sa route sans rendre de compte à personne. Jan Fabre a vingt ans quand il commence à dessiner avec son propre sang. Repoussant sans cesse ses limites et celles du théâtre, il mesure sa rage de créer à sa capacité physique à résister. Dès ses premières pièces au début des années 80, Jan Fabre se situe hors champ : agressivité assumée, nudité totale, silence tendu, lenteur et durée des pièces, il met à sac le plateau dans des cérémonies convoquant danse, théâtre, arts plastiques et musique live. Sweet Tempations (zoo humain en folie autour de deux jumeaux paraplégiques), As Long as the World Need a Warrior’s Soul (rituel orgiaque, virulent attentat à la propreté) sont des spectacles qui brandissent les obsessions de Jan Fabre : l’ordre et le chaos, la sauvagerie de l’humain, les rapports de force, le sexe, la mort. Pour percer l’humain, Jan Fabre fait du théâtre un art de la cruauté : « Pour moi, il n’y a pas de tabous. Il n’y a qu’égards et empathie par rapport à la vie. »
Poussières de sang
Salia Sanou (né en 1969 au Burkina-Faso) et Seydou Boro (né en 1968 au Burkina-Faso) créent à tour de rôle ou en complicité au sein de leur compagnie Salia nï Seydou lancée en 1995. « Renier la tradition serait se perdre » dit Seydou Boro. Dans un esprit résolument respectueux mais soucieux de ne pas camper sur leurs positions, Salia Sanou et Seydou Boro s’abreuvent à l’immense richesse chorégraphique du Burkina pour Taagala, le voyageur (2000), quatuor épaulé par deux statues et deux musiciens (percussionniste et flûtiste). Ce spectacle revient d’un voyage au Sahel durant lequel les artistes ont collecté des danses. C’est ainsi que la mémoire peut servir de socle à une histoire de la danse aventureuse.
"Panorama de la danse contemporaine" Rosita Boisseau, Textuel, 59€
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire