Simone Weil l’insoumise titre Laure Adler quand Arte l’appelle « l’irrégulière »… Un professeur de la Sorbonne avait surnommé la jeune fille « la vierge rouge ». Simone Weil fut, aussi « notre vieux savant », l'« ange adjuvante », « Petite Weil » pour ses élèves ou «l’impératif cathégorique en jupes » pour ses camarades de classes. Autant de qualificatifs qui marquent le caractère insaisissable de cette philosophe qui aurait eu 100 ans le 1er février 2009. Portrait.
Enfance puis adolescence savantes, déjà engagées
Simone Weil est né le 3 février 1909 à Paris, dans une famille bourgeoise, de parents juifs non pratiquants. Le père, M. Weil, est médecin, et son épouse est une femme dynamique qui prend grand soin de l’éducation de ses deux enfants. Poupées et jeux sont proscrits dans la maison, remplacés par des livres… A cause des déplacements professionnels du père et de la Première guerre mondiale, les deux enfants sont à de nombreuses reprises scolarisés à domicile… Si bien qu’André et sa petite sœur, Simone, récitent des passages entiers de tragédies grecques, discutent Philosophie. La méthode d’éducation paraît être efficace : enfant prodige en mathématiques André passe son bac à 14 ans et entre très rapidement à l’Ecole Normale. Il sera un grand mathématicien. Consciente d’être moins douée que son frère, qu’elle compare à Pascal, Simone, de deux ans plus jeune, en nourrira un certain sentiment d’infériorité. A côté de ce génie, elle n’est que « médiocre »… « Médiocre » mais toujours en tête de classe avec ses deux ans d’avance, sa santé déjà fragile. Toute jeune déjà, elle se passionne pour Marx et pour le syndicalisme, s’habille des vêtements sévères qu’on lui connaît. Ses parents l’appelle « notre fils numéro deux ».
D'Henri IV au Puy : Simone devient professeur de philosophie
Après avoir passé son bac, à 16 ans, Simone Weil entre en prépa au lycée Henri IV, où elle aura comme professeur de philosophie Alain. Elle est fascinée par cet homme d’origine ouvrière qui refuse les honneurs et la vie conjugale pour se consacrer entièrement à l’écriture. Les deux philosophes continueront à correspondre après la scolarité de Simone. Durant ses études, Simone apparaît comme une fille engagée, « imbuvable » même pour certains avec sa façon de présenter à tout bout de champ des pétitions, de mettre, sans tact aucun, les gens devant leurs responsabilités. A la sortie de l’Ecole Normale, elle est nommée comme professeur agrégée au Puy. Ses supérieurs espéraient ainsi que, perdue dans le Massif Central, elle ne sèmerait pas le trouble autour d’elle. La France est en pleine crise économique, les rangs de chômeurs grossissent ici et là. Simone Weil milite auprès des chômeurs, reverse une partie de son salaire à un fonds qui leur est consacré, assiste aux réunions de la CGT et à celles de la CGT-U (elle veut les deux syndicats unifiés), donne des cours aux ouvriers, etc.
Abandonne l'idéal marxiste, solidaire malgré tout
Engagée auprès de la classe ouvrière par de multiples actions, elle n’adhère cependant pas au Parti Communiste. Désireuse de savoir pourquoi la classe ouvrière la mieux « organisée » d’Europe se laisse convaincre par le parti nazi, elle se rend en Allemagne (1932). De son voyage, outre une horreur et une crainte envers l’hitlérisme, elle en déduira que la révolution prolétarienne ne peut plus passer par la révolution telle que l’ont pensée les marxistes. Depuis les années 20, le rang des cols blancs a trop grossi, celui des chômeurs aussi. Dès 1933, Simone Weil dénonce le régime de l’URSS. Elle rapproche la dictature de Staline du règne de la Terreur survenue après la Révolution Française. Afin de mieux connaître la classe sociale qui la taraude tant, la classe ouvrière, et dans le souci de comprendre pourquoi le soulèvement prolétarien n'a pas lieu, Simone Weil demande une année de congés à l'Education nationale afin de pouvoir travailler en usine. Elle commencera comme fraiseuse chez Renault, à Paris. Le travail à la chaîne sera d'autant plus difficile pour elle qu'elle est très malhabile et sujette à de violentes migraines. Arrivée chez elle le soir crevée, mangeant à peine, elle n'en oublie pas pour autant ses cahiers, y raconte l'abrutissement dans lequel les tâches répétitives jettent les travailleurs, la peur face aux contremaîtres, les humiliations, etc. Les ouvriers asservis ne peuvent se révolter... Et c'est précisément lorsque le joug se relâche que ces derniers peuvent rentrer en résistance. C'est du moins ainsi qu'elle analyse les grèves de 1936 auxquelles elle accoure. Toujours aussi peu idéologique, elle conseille aux grévistes la réouverture des usines sous contrôle ouvrier. En vain.
Fusil au dos, et pacifiste
Quelques mois plus tard, la guerre civile éclate en Espagne. Si elle approuve la position de non intervention du président français, Léon Blum, la philosophe estime qu'en cas de guerre, chacun doit agir selon sa conscience. Aussi elle s'engage dans ce que seront les Brigades Internationales. Aide cuisinière, elle sera, par sa myopie et sa maladresse, blessée à la jambe : elle a mis son pied dans de l'huile brûlante. Sa blessure l'obligera à être évacuée du front. Là, reprenant ses cahiers, elle déplore le sang versé inutilement par les Républicains. Sa participation à la guerre permettra par la suite à Simone Weil de défendre un pacifisme radical vis à vis de l'Allemagne d'Hitler, pacifisme dont elle ne se départira, comme beaucoup, qu'en 1939 (elle se reprochera ensuite largement cette position). Si elle avait repris son engagement syndical au retour d'Espagne, elle sera rapidement déçue par les rapprochements de la CGT (désormais unifiée) à l'URSS.
L'appel de la (des) religion(s)
Le terrain social déçoit donc Simone Weil qui se tourne de plus en plus vers la religion. Sa première « révélation » du christianisme, elle dit (dans ses cahiers) l'avoir eu l'été 35, devant une procession religieuse, au Portugal : « Là j'ai eu la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves, que des esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi les autres ». Par la suite, elle s'intéressera de plus en plus à cette religion, fréquentant offices, prêtres et abbayes. Mais ses lectures ne se centrent pas uniquement sur les textes chrétiens, elle lit Le livre des morts égyptiens, se plonge dans la Bhagavad-Gîtâ (texte hindou). Tout en hésitant à entrer dans l'Eglise, elle rêve d'une « mystique universelle ». Finalement, notamment à cause de l'Eglise catholique (l'institution) et de plusieurs des dogmes que cette dernière préconise, Simone Weil ne se fera jamais baptiser.
La Résistance coûte que coûte
Cette réflexion, qu'elle mène en dialoguant avec des prêtres, se tiendra pour partie pendant la guerre, alors qu'elle a du fuir avec sa famille à Marseille. Pour plusieurs analystes, cet exode est pour S. Weil une façon de protéger ses parents (qui, inquiets de sa santé, de son manque de prudence et de son inaptitude envers les choses matérielles ne cessèrent de la suivre à distance). Sans eux, elle aurait sûrement rejoint la Résistance depuis Paris. N'ayant pas reçu sa convocation pour enseigner à Marseille (profitant de ce fait), elle travaillera comme ouvrière agricole, une façon pour elle de connaître la condition des plus précaires. Elle écrira à Xavier Vallat, commissaire aux questions juives : "Je regarde le Statut des Juifs comme étant d'une manière générale injuste et absurde, car comment croire qu'un agrégé de mathématiques puisse faire du mal aux enfants qui apprennent la géométrie, du seul fait que trois de ses grands-parents allaient à la synagogue ? Mais en mon cas particulier, je tiens à vous exprimer la reconnaissance sincère que j'éprouve envers le gouvernement pour m'avoir [...] donné la terre, et avec elle toute la nature."
Après être passée par la case New-York et avoir fait des pieds et des mains pour rejoindre la «France libre », c'est depuis Londres que Simone Weil sera résistante. Elle qui voulait être en première ligne, au front, elle se retrouvera dans un bureau à rédiger des notes pour le Général de Gaulle. Dans l'une, elle prône la création d'un Conseil national de la Révolte qui coordonnerait les actions de sabotage. L'idée ne sera pas sans effet puisque sera créé par la suite le Conseil national de la Résistance. Malgré ses notes, Simone Weil se ronge. A New York elle avait écrit à son ami Maurice Shumann : « Le malheur répandu sur la surface du globe terrestre m'obsède et m'accable au point d'annuler mes facultés ». A Londres, la philosophe, déjà malade de tuberculose, mange encore moins que d'habitude par solidarité pour les Européens souffrant de la guerre. Tombée inconsciente, elle entrera au sanatorium d'Ashford et y mourut le 24 août 1943, à 34 ans. Maurice Shumann dira « c'est une mort volontaire, pas un suicide ». L'historien Jacques Julliard dira d'elle qu'elle était entrée « en résistance contre la résistance ».
A lire/A voir :
La biographie de Francine du Plessis Gray : Simone Weil, Ed Fides, 308 p., 2003
Simone Weil, par MM Davy, Editions universitaires, 1961, 127 p.
La première biographie adopte une position plus "psychanalythique", F. du Plessis Gray insiste sur l'anorexie de Simone Weil, évoque les rapports de la philosophe avec sa mère. MM Davy est théologue, elle se centre plus sur le côté religieux, spirituel, elle ne cesse de défendre Weil.
Et le documentaire d'Arte (à regarder jusqu'au dimanche 8 fev gratuitement), Simone Weil l'irrégulière, cliquez ici
Marie Barral
Article paru dans En3mots le 1er février.
"Aussi elle s'engage dans ce que seront les Brigades Internationales."
RépondreSupprimerDois-je vous rappeler que les brigades internationales ne furent créées que plusieurs mois après son bref engagement au côté des antifascistes espagnoles. Et quelles ne seront opérationnelles qu'après décembre. Qu'on ne retient de la guerre d'Espagne que leur nom alors même qu'elles servirent à désarmer les milices de la CNT et du POUM. Que plus personnes ne s'interroge sur leurs origines. Et quelles représentaient ce que Simone Weil avait à coeur de dénoncer : à savoir le Stalinisme. Et qu'il ne fallu pas attendre leur création pour voir d'autres antifascistes intégrer les milices. Un des plus connu fût George Orwell. Combattant dans les milices du POUM, il publia plus tard Hommage à la Catalogne projeté à l'écran par Ken Loach
Simone Weil, sur les rares photos que nous disposons d'elle à cette époque, arbore un bleu de travail sur lequel est cousu le sigle de la CNT. Elle s'engagea, en effet, dès le début du mois d'août au côté des anarchistes et combattit dans la colonne Durruti.
Vous reproduisez dans vos lignes la même erreur que j'ai pu lire dans des journaux plus sérieux. Récemment encore, Télérama illustrait une photo de Simone Weil par cette légende : Simone Weil, membres des brigades internationales en Espagne (1936). Juste un anachronisme, fort de sens. Je vous tiendrai gré d'apporter les modifications nécessaires à ce passage.