samedi 21 février 2009

"La puissance des corps" de Yann Queffélec

Dans son roman à paraître (à la fin du mois de février), « La puissance des corps », Yann Queffélec met cette phrase de Chateaubriand en exergue : « Des reines ont été vues pleurant comme de simples femmes, et l’on s’est étonné de la quantité de larmes que contiennent les yeux des rois. » Est-ce un avertissement ? Les relations hommes / femmes, leur violence, leur inégalité, ne seront pas épargnées.

En 2013, le colonel Rémus, à la direction d’une cellule secrète de l’Etat, s’occupe du trafic de viande de l’industrie Paneurox mais il est bientôt plus préoccupé par la disparition de Popeye, son fils de cœur qu’il a arraché à l’Afghanistan. Rémus, en servant l’intérêt supérieur de l’Etat, n’a que faire des moyens employés, ainsi il arrache Onyx, une jeune femme, à ses convictions idéologiques pour la faire travailler pour lui. Mais nous voyons que l’intérêt supérieur de l’Etat est celui qui est défini par la somme des intérêts particuliers, des trafics d’influence, des personnes qui protègent et des pressions qui sont faites. Dans ce large trafic d’influences, les plus forts sont ceux qui possèdent le plus de vérités mais il faut les taire, la maxime de Rémus est : « Si j’avais la main pleine de vérités, je ne l’ouvrirais pas. » Mais en amour aussi, il existe un intérêt supérieur, un intérêt qui fait fi des moyens employés. Ainsi la maîtresse de Rémus, accessoirement femme du ministre de l’Intérieur, harcèle Rémus au téléphone, jusqu’où pourrait-elle aller pour avoir une réaction de sa part. Utiliser Popeye ? Cet enfant que lui-même a enleve à son pays, par amour. Puis, pour le récupérer, il va à son tour utiliser Onyx, monnayer les soins de sa mère, SDF et malade, pour qu’elle aille enquêter sur la disparition du garçon. Rémus ne pense plus qu’à retrouver le garçon : « Il était dans l’état de tout humain qui croit disparu ce qu’il a de plus cher au monde : il ne sait plus à qui parler ni comment. » (p.184). Il n’en a que faire des intérêts de l’Etat à présent.

La force destructrice de l’amour
Dans le roman de Yann Queffélec, les femmes sont d’une jalousie maladive voire hystérique. La femme de Rémus est prête à se suicider et tuer l’enfant qu’elle porte devant la trahison de son mari. Un enfant que Rémus ne saurait regretter : « On s’est bien remis d’Auschwitz ou d’Hiroshima, du Kosovo, de la Tchétchénie, du Rwanda, des pogroms, de tous les génocides et autres épurations au couteau… » (p.69). Il est aussi beaucoup question de cette guerre, en Afghanistan, qui aurait fait de Rémus un autre homme. Au point qu’il se sent délié des promesses qu’il avait faites auparavant. C’est cette guerre qui l’a éloignée d’Elyane, la guerre ce « pays d’où on ne revient pas ». Et il sait que s’il considère avoir aimé la mère de Popeye en Afghanistan, c’est avec la guerre et la mort qu’il a trompé Elyane avant que ce ne soit avec Myriana. Telle une irrésistible attirance dans la violence des rapports : « l’amour est cruel, l’amour trompeur, l’amour dit qu’il ment pour sauver l’amour, l’amour va voir là-bas si j’y suis, l’amour s’ennuie, l’amour prétend qu’il n’a jamais aimé, jette au feu les serments passés. Un tel amour ne saurait être l’amour, et le secret d’un couple harmonieux ne franchit jamais le cercle magique où, s’aimant loin du monde, ils ne font plus qu’un, une seule chair, un seul désir, que le temps passe ou non. » (p.261)

Les racines enfantines de l’amour
Les relations amoureuses de ce roman sont beaucoup constituées de haines et de complexes d’enfance. Il s’agit d’ailleurs plus de relations sexuelles qu’implique cette « puissance des corps ». Il en effet en partie question de l’enfance et des influences qu’elle a sur l’âge adulte, on pense à l’enfance comme à un fantasme : « On revit toujours cet âge primitif où l’on se croit bon dans in monde hostile, où toute guerre vient des autres. » (p.259). Une respiration avant la plongée dans le vrai monde. Pour Onyx, le viol ou l’indifférence extrême de son père (on ne le saura jamais), l’abandon de sa mère conditionnera ses relations avec les hommes, toujours violentes. Son enfance fera d’elle quelqu’un d’ordinaire dont la seule folie est son orgueil. Rémus a également un complexe d’abandon et il en devient incapable de s’intéresser à son propre enfant. Il dit en vouloir aux femmes, « ses mères en puissance », parce que sa mère ne l’a jamais aimé, il assouvit une « vengeance d’enfant solitaire ».

Il est étrange de concentrer tous les intérêts de l’Etat dans l’industrie de la Boucherie, il n’est pas question de pétrole, de trafics d’armes ou d’avions. C’est presque comique mais c’est aussi comme un miroir de notre société, cette boucherie qui, du Moyen-Âge où l'on égorgeait les bêtes sur le parvis de l’église aux abattoirs modernes, est cachée de plus en plus mais cela reste des lieux de tuerie. Jusqu’à ce futur proche où Paneurox présente des abattoirs pavés de bonnes intentions écologiques ou philanthropes. En cachette, la boucherie continue. A ce compte-là, à quel point ce roman est d’anticipation ?

"La puissance des corps" Yann Queffélec, Fayard, 19€

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