Face à face dans une pièce grise, froide, une jeune fille menottée à peine vêtue d’une blouse blanche et un médecin consciencieux : apparemment une visite médicale « de routine » dans une prison allemande lors des « années de plomb » ; en tous cas un huis-clos saisissant de l’auteur suédois Lars Norén à voir au théâtre de l’Est parisien jusqu’au 7 février.
En théorie, lors d’une visite médicale, les questions sont posées par le médecin… Dans ce cabinet froid et gris, grande boîte d’acier aseptisée, les rôles sont inversés : il connaît son dossier médical et l’invite à tendre son bras, ouvrir la bouche, à s’allonger… tandis qu’elle, tout en se rebiffant, interroge : «qui êtes vous ? » « Quel âge avez-vous ? « « Avez-vous déjà été là-bas ? » (à Auschwitz ?) Le « Docteur en médecine » s’offusque, griffonne quelques notes sur son dossier, puis répond à l’occasion. Il a bien, avec l’administration, pris des « cours où on n’apprend à ne pas réagir », mais la tension se fait de plus en plus forte : elle le soumet à la question tandis que lui recule imperceptiblement son siège. Qu’à fait son grand-père pendant la guerre ? Quel sens y-a-t-il à soigner dans une prison où, dans les cellules, la lumière est constante, aussi envahissante que le silence est assourdissant ?
A cette souffrance, à la grève de la faim, à la mort proche et surtout aux actes terroristes commis par la jeune femme (n’a-t-elle pas tué de sang froid ?), l’homme oppose ses visites effectuées avec conscience, le sentiment d’être un bon patriote et d’élever ses enfants comme tels. Dans le culte de la famille, de la responsabilité, du travail… Dans la chambre de son fils « tout est comme se doit être », le petit réseau de train électrique hérité du grand-père fonctionne à merveille, les locomotives se meuvent dans un balai bien orchestré. Et le père, rentrant du boulot épuisé, se ressource dans la contemplation de cet ordre mécanique.
Voilà ce que le médecin raconte à la jeune fille qui, détenue depuis des années, mourra en prison pour avoir semé chaos et décadence. Dans la pièce, « elle » qui s’identifie à Simone Weil et pense à Willy Brandt, n’est pas nommée. Quelle utilité à le faire puisque de toute façon, elle n’est plus rien, pas même humaine, seulement criminelle ainsi que prétend le médecin ?
Crédit photo : Christophe Perton
Dans la réalité, pour dresser le portrait de cette jeune fille, le dramaturge Lars Norén s’est inspiré d’Ulrike Meinhof. Cofondatrice de la RAF (Fraction armée rouge mieux connue sous le nom de « Bande à Baader »), organisatrice de plusieurs attentats, la jeune femme fut arrêtée en 1972, placée en quartier de haute sécurité et torturée… Par l’affrontement entre le fonctionnaire bourgeois conservateur et la révolutionnaire, Lars Norén décrit avec finesse la réouverture des plaies de la Seconde guerre mondiale dans l’Allemagne des « années de plombs » (70’s). En héritier du dramaturge suédois August Strindberg, il fait, dans ce huis-clos, vaciller nos schèmes de pensées. Mal et bien se grisent et la folie (qu’incarnent la jeune femme qui se tord au sol de douleur) devient lucide. Dans ce balai psychologique, les comédiens Vincent Garanger et Hélène Viviès s’effraient et tremblent tour à tour mais, toujours, dansent admirablement. Quand le langage est tourné et retourné en tout sens, restent les actes.
Acte, au Théâtre de l’Est Parisien, un texte de Lars Norén (écrit en 2001), mise en scène Christophe Perton jusqu’au 7 février, du 19 au 31 janv, tous les soirs sauf le dimanche à 21h, puis du 2 au 7 fev à 21h. 22 euros, 15,50 euros pour les habitants du 20e arr et les plus de 60 ans, 11 euros pour les moins de 25 ans, les étudiants et les demandeurs d’emploi, 8, 50 euros, pour les moins de 15 ans et les RMitses. 157 av Gambetta, Métro St-Fargeau Résa : 01 43 64 80 80. 1heure, pas d’entrée dans la salle après la fermeture des portes.
Crédit : Christophe Perton
Marie Barral
Article paru dans La Boîte à sorties le 19 janvier 2009
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