mercredi 25 février 2009

L'érotisme et la francophonie

Georges Lebouc est né au cœur de la francophonie, à Bruxelles, d’un père français et d’une mère belge. Et même si dans sa spécialité de philologie, le français n’est pas son unique centre d’intérêt, lui seul, sûrement pouvait consacré un dictionnaire érotique de la francophonie.

Dans l’immensité du vocabulaire de toutes les langues, la part la plus importante est consacrée au sexe et, parmi elles, le français se distingue par un raffinement extrême et beaucoup de mots et d’expressions plus ou moins précises. Cependant, l’abondance de ce vocabulaire n’a pas suffi aux peuples qui ont adopté cette langue. Et c’est pour rendre service à ses contemporains que l’auteur a réalisé ce dictionnaire afin que le voyageur puisse capter l’essence d’une vraie conversation avec les indigènes. Jusqu’à présent aucun dictionnaire francophone n’avait été consacré à l’amour alors qu’il s’agit souvent d’un vocabulaire à décoder.

Les faux amis de la francophonie
Les différents chapitres suivent le déroulé d’une histoire d’amour, des débuts jusqu’au mariage puis l’adultère en passant par l’enfantement et autres moyens de séduction. A la fin de chacune de ces parties, l’auteur nous gratifie de quelques « faux amis » afin que, par exemple, l’on ne soit pas surpris qu’un Suisse nous demande au réveil si nous avons bien joui ! Dans ce même pays, les amours sont les dernières gouttes d’une bouteille de vin. Et à l’île de la Réunion, faire l’amour signifie faire la cour, flirter. Au Tchad, deux hommes en bouche-à-bouche n’ont aucune tendresse l’un pour l’autre mais sont en face-à-face, parlent d’homme à homme. Si en Suisse et au Québec, le bec signifie le bisou, on peut becquer à la Réunion et becquer un thon signifie trouver un conjoint en vue de faire un mariage avantageux. A l’île Maurice, une grande baise n’est pas une orgie mais une terrible défaite, une catastrophe.

Sexe masculin et sexe féminin
Les termes venant du français pour désigner les trois pièces et leur service sont nombreux : du banal affaires (Côte d’Ivoire), en passant par le petit frère (Sénégal) ou le surprenant lolo de la Martinique quand on songe que les lolos désignent les seins en argot de la Métropole. Selon le vocabulaire de la francophonie, le zizi est soit petit soit immense : moineau au Québec ; en Côte d’Ivoire, barreau, bâton ou même bazooka au Sénégal. Les Ivoiriens ont même donné un prénom à la chose « Gabriel » allant même jusqu’au diminutif Gaby. L’argot français le nomme bien popaul !
Les termes employés dans la francophonie pour le sexe féminin sont souvent moins crus que pour le sexe masculin. En Côte d’Ivoire et au Togo, on dit ventre-madame. Les Congolais disent le pays-bas (sans doute pendant la colonisation) puis le bas-Zaïre (sans doute après). Au Québec, pour désigner une forte poitrine, on dira que la femme a de gros arguments, qu’elle a un bel avenir ou encore qu’elle est équipée. Plus vulgairement, la dame pourra disposer de belles sacoches ou prendre sa douche sans se mouiller les pieds.

Fiançailles, mariage et adultères
Pour les fiançailles, en Côte d’Ivoire, on dit commencer l’amitié. Mais l’expression la plus savoureuse est sûrement fiançailles académiques (Congo) : en Belgique, tout ce qui est universitaire est dit ‘académique’ (année, quart d’heure académique) ; les Congolais venus faire leurs études en Belgique ont ramené l’adjectif et l’ont détourné pour fiançailles : il s’agit en fait d’une liaison éphémère entre un étudiant et une étudiante qui ne dure que pendant une année universitaire. Au Cameroun, passer une lune de miel se dit briser les pattes de l’antilope. Au Québec, pour l’adultère, on recourt à des expressions campagnardes comme sauter la barrière pour être ou jouer dans le champ de trèfles de quelqu’un, autrement dit franchir un interdit pour ravir le partenaire de quelqu’un. A la Réunion, on parle de mariage derrière la cuisine par opposition au mariage devant la loi.

Les joies de l’enfantement et les obstacles à la reproduction
Quand une femme tombe enceinte, en Côte d’Ivoire on dit qu’elle gagne petit. Au Québec, la femme enceinte attend le messie ou a mangé de l’ours. L’expression aller acheter vient du fait qu’on ne parlait pas de ces choses-là devant les enfants, aussi on disait qu’elle allait acheter un bébé aux « Sauvages » (les Amérindiens). Par conséquent, une Québécoise qui va accoucher attend les sauvages. Vingt-huit des termes découverts par l’auteur pour désigner la masturbation, vingt-cinq sont d’origine québécoise : faire l’amour au poignet, dompter son p’tit frère, faire marcher son p’tit moulin, faire son p’tit bonheur soi-même…

La longue histoire de la francophonie


Pour revenir à des choses plus sérieuses concernant la francophonie, il faut rappeler que c’est Onésime Reclus qui inventa le mot en 1880. Il figure dans un ouvrage intitulé France, Algérie et colonies où le géographe classait pour la première fois les peuples en fonction de la langue qu’ils parlaient. Il n’hésitait pas alors à écrire que « l’avenir verra plus de francophones en Afrique et dans l’Amérique du Nord que dans toutes les francophonies d’Europe ». Mais le mot « francophonie » ne parvint pas à s’imposer et n’entra dans le Larousse du XXème siècle qu’en 1932 : il était concurrencé par des mots comme « francitude », communauté francophone, commonwealth francophone et surtout pour le mot « francité », qui connaît peu de succès en France mais est adopté par la Belgique qui a même sa « Maison de la Francité ». Il faut attendre 1962 pour que renaisse l’idée d’une francophonie, c’est le fait de Léopold Sédar Senghor qui rédige un article dans la revue Esprit intitulé Le français dans le monde. Il est surtout sensible au contenu culturel. D’autres chefs d’Etat vont souhaiter aller au-delà en dotant la francophonie d’institutions géopolitiques : Habib Bourguiba en Tunisie, Norodom Dihanouk au Cambodge ainsi que Hamani Diori au Niger et Charles Hélou au Liban. Au fur et à mesure de l’indépendance des anciennes colonies, la francophonie se développe, encouragée par De Gaulle et André Malraux.

Les pays francophones
Louis Porcher, spécialiste de la francophonie, dégage trois catégories : les pays qui utilisent le français à la fois comme langue maternelle et langue officielle (Québec, Belgique, Afrique francophone) ; les pays où le français subsiste à l’état de langue résiduelle (Egypte, certains pays d’Asie, d’Europe centrale et d’Amérique du Nord) ; enfin, ceux où le français est une langue acquise par des professionnels ou des étudiants. Il y a d’autres classifications qui rangent les pays francophones en pays où le français est langue officielle exclusive (il n’y a que deux pays : la France et la principauté de Monaco) ou non (pays où le français occupe une place dominante : Belgique francophone, Québec ; dans les anciennes colonies, le français n’est parlé que par un pourcentage assez faible de la population). Si on envisage les menaces, les Belges francophones et les Québécois se sentent menacés respectivement par l’anglais et le flamand alors que dans des pays comme le Congo ou le Sénégal, c’est le français qui est ressenti comme une menace. Il y a 112.5 millions de francophones « réels » (ceux qui pratiquent quotidiennement le français) auxquels s’ajoutent 60.5 millions de francophones dits « occasionnels » ainsi que 100 à 110 millions de « francisants » (apprenant le français). Le français serait ainsi la neuvième langue parlée au monde. Si l’on considère le nombre de pays où le français est une langue officielle, il arrive en deuxième position après l’anglais et avant l’espagnol.

« Dictionnaire érotique de la francophonie » Georges Lebouc, éditions Racine, 16€

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