lundi 28 février 2011

"L'heure du roi" ou la question de la liberté

Heureusement, il est des livres qui ne concluent pas dans leur titre et qui ne font que poser des questions. Le samizdat, système clandestin de circulation d’écrits dissidents dans le bloc soviétique, a sauvé L’heure du roi de la censure et de l’oubli. Son auteur, Boris Khazanov, avait déjà été condamné au Goulag pour ses actions anti-soviétiques.

Dans la post face, la traductrice Elena Balzamo compare ce petit ouvrage à une miniature médiévale : « le même caractère clos, la même netteté du dessin, la même élégance de style. Mais également le même caractère anachronique et bigarré ». Il s’agit de la fin de règne de Cédric X, roi d’un minuscule Etat, envahi par l’armé du IIIème Reich : le roi, mesuré et bienveillant, courbe l’échine pour éviter le pire à son peuple. Tous les jours, s’amenuisent la liberté et l’esprit de son royaume. Jusqu’au jour où le roi décide d’agir.

« Admettons que vaincre une tempête est au-delà de nos forces. Pourtant le choix du pavillon qu’arbore le navire qui sombre nous revient. Dans le choix des couleurs du drapeau réside notre entière liberté. » Superbement, les termes de la question de l’exercice de la liberté sont posés. La question corollaire est celle de l’action individuelle dans un contexte politique : a-t-elle un pouvoir ? Ce pouvoir n’est-il que symbolique ? L’action du roi ne changera rien à l’Histoire : son geste est-il donc absurde et inutile ? N’a-t-il sauvé que son honneur ? Idéalisme et réalisme peuvent-ils se retrouver à cet endroit-là ? Car, c’est là un niveau supplémentaire de lecture, il s’agit de la liberté d’un roi, celle de la personne qui représente la nation.

L’auteur a la bonne idée de ne pas répondre à ces questions, il n’enjoint jamais le lecteur à une quelconque posture, la question reste entière. Est-là la force de la littérature et du péril ? Dans ce cas, nous croyons que la dictature ne rend que plus urgente une question qui reste préalable à toute action.

"L'heure du roi" Boris Khazanov, traduction de Elena Balzamo, Viviane Hamy, Collection bis, 7€

mardi 15 février 2011

Quand les Nono font leur cirque, la lune se rit…


Les Nono de Marseille étaient à Antony. Plus légers que des flocons de neige, ils en sont partis, nous laissant la tête dans la lune, au milieu des funambules.


Du haut de sa robe géante, surplombant la fourmilière de circassiens, la lune égrène des mots de rien en se servant de thé, se farde puis observe ce qui s’agite là-bas, en-bas... où les Nono tentent justement de la décrocher. Les plus gracieux la rejoignent quelques minutes, embarquant dans leur danse le cœur fragile des spectateurs. Les autres, les clownesques, ces pauvres hères dont la lune se moque, vaquent à leur activité pour conjurer le rien : ils organisent des concours d’acrobaties, des chœurs de sifflets, des défilés de mode dans lesquels les grands-pères en robes serrées rivalisent avec les obèses. La piste ensablée est pour eux l’occasion d’une descente en ski-nautique : le cheval est le bateau et sa belle cavalière mange des roses.



L’air faussement innocent, les Nono se moquent des circassiens comme des spectateurs, de cette fourmilière que la lune contemple : les chiens tournant sur la piste sont portés par les hommes, les rats filent dans les culottes, les lianes des acrobates sont humaines tandis qu’aux enterrements des laides qui se prennent pour des belles, la foule s'habille de blanc. De ces moqueries, de ces instillations sur la vacuité et la vanité de la scène humaine, le spectateur n’a cure : il observe émerveillé les acrobates de Genet qui misent sur cette corde leur art et leur vie, et ne sait plus où porter son regard lorsqu’une armée de lapins débarque sur le sable pour un saute-mouton endiablé. Le spectateur a bien rit, la lune aussi, et les circassiens se sont déjà envolés avec les dernières notes de l’orchestre. On n'écrit pas "fin" ici, même quand il est aussi moderne, le cirque, avec sa scène ronde, souscrit à "l'éternel retour" sans que jamais sa poésie, son adresse et ses histoires ne nous lassent. A Voir dès que possible.


Les Nono font leur cirque, mis en scène et textes par Serge Noyelle et Marion Coutris.

 
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