lundi 21 décembre 2009

Allah n’est pas obligé, adapté au théâtre

Allah n’est pas obligé, l’avant dernier roman de l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma (1927-2003) est joué sur la scène du Lucernaire (Paris 6e). Une adaptation un brin décevante qui ne doit pas rebuter de la lecture de l’excellent roman sur les enfants-soldats.

On aime le Lucernaire, sa vieille rue pavée qui habille une usine désaffectée (de fabrication de chalumeaux), son bar où traînent jeunes lycéens avec chemises à col et barman à la cool, ses livres de l’Harmattan -le propriétaire des lieux- que vend, perdu entre le restaurant et les caisses, un sympathique monsieur, ses minuscules salles de spectacles auxquelles on accède par des escaliers en colimaçon qui craquent sous les pieds des retardataires honteux et où l’on admire des comédiens courageux qui vous transmettent avec trois fois rien, de la lumière et leur jeu, des textes d’hier et d’aujourd’hui.

Encore une fois, pour Allah n’est pas obligé, une farce carnassière, on a le nez sur les acteurs qui emplissent une salle quasi vide, seulement tapissée d’un long voile blanc, receptacle des vidéos projetées. Les deux comédiennes se font tour à tour porte parole de Birahima, un enfant soldat balloté dans « le bordel au carré » des guerres libériennes et sierra léonaises. Elles racontent avec la terrifiante candeur du roman les manches courtes et les manches longues, le dépeçage des corps et la joie de recevoir une kalache… Leur gestuelle et leurs grimaces enfantines répétitives sont souvent inutiles….: les litanies et ses expressions passées en boucle faisaient, à la lecture, respirer un texte dense et difficile émotionnellement tandis que les bouffoneries réitérées sur scène alourdissent un récit moins intelligible car forcément raccourci. Le théâtre avait déjà bien à faire avec 233 pages de guerres tribales africaines, 233 pages de « bordel au carré »...

On conseillera vivement la lecture du roman qui a reçu les prix Renaudot et Goncourt lycéen en 2000.

Allah n’est pas obligé, farce carnassière Jusqu’au 3 janvier 2010 au théâtre du Lucernaire, 1h10
Allah n’est pas obligé, Ahmadou Kourouma, Ed Seuil, 2000, 233 p

jeudi 17 décembre 2009

Le chant sous les bombes, à Leningrad


Le dernier ouvrage d’Andreï Makine, La vie d’un homme inconnu, est sorti en janvier dernier. Il est encore largement temps de le lire et d’écouter, entre les bruissements de la neige, cet amoureux qui susurre, timide, à l’oreille de la jeune fille à laquelle, dans cette descente en luge, il s’accroche «Je vous aime Nadenka ».

La vie d’un homme inconnu s’ouvre par cette scène Tchékovienne. « Dans un récit, coupez le début et la fin. C’est qu’on ment le plus » estimait Tchekhov… Effectivement, rien ne justifie, ici, cette scène du maître russe, cette scène que le narrateur, Choutov, rêve dans une brume de whisky et qu’il associe à une autre vision, celle d’une « silhouette tracée par le soleil d’automne sur la dorure des feuilles »… Exilé à Paris depuis des année, oublié comme un vieil écrivain raté dans son colombier qu’une jolie petite étudiante vient de quitter, Choutov décide de renouer avec le passé, avec cette Russie qu’il n’a pas vue depuis des années et avec cette femme, Iana, qui se baladait dans le jardin d’Eté.
Choutov rêve, en clown triste, puisque c’est quasiment cela que son nom signifie. A Saint Pétersbourg, il ne retrouve plus la poésie qu’il avait quittée, les dorures des feuilles et la lumière du soleil jouant sur les cheveux d’une femme. Au contraire, son pays est devenu un monde aplati sur lequel défilent marques, opinions et personnalités…
Les inutiles paroles sur la descente en luge et le silence du parc qui enrobait la femme, Choutov les retrouvera chez un homme encore plus oublié que lui, dans le récit des horreurs du blocus de Leningrad et des purges soviétiques, quand, dans un camp, une femme, « le visage tourné vers le lent ondoiement de la neige » contemplait son amant.
Et ce regard était aussi inutile que le vieux dans son lit, qu’un concert sur un champ de bataille, ou que le début du récit de Makine. Le grand maître russe se trompait donc. Son successeur ne pouvait rien enlever.

La vie d’un homme inconnu, Andreï Makine, Ed du seuil, janvier 2009, 292 p.

"Tout était là, dans un seul regard. Cette berge où ils avaient vu tant d'hommes mourir. Et la rivière, à présent lente et large comme un lac et dont la glace était alors rayée par le sang d'un blessé qui rampait vers les chanteurs." p 217
 
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