mardi 26 janvier 2010

Matisse & Rodin : l’inscription de la sculpture dans la durée

Matisse (1869-1952) est exposé aux côtés du « très grand sculpteur » Rodin (1840-1917) dans le musée dédié à ce dernier jusqu’au 28 février. Si le second a évidemment beaucoup dessiné –c’est d’ailleurs par cette technique qu’il est entré dans l’art et qu’il l’a quitté, lorsque, fatigué, il ne pouvait plus travailler la terre- le peintre a sculpté une soixantaine de pièces qui portent la marque rodinienne.

En 1900 Rodin présente L’homme qui marche. Parce qu’il cherche à représenter avant tout le mouvement, la vie, son homme n’a besoin ni de bras ni de tête : les jambes et le tronc suffisent à donner l’impression que la statue s’apprête à faire le prochain pas. De même, Iris messagère des dieux n’a que son tronc, deux cuisses et son sexe pour signifier la danse : « [dans] les statues sans bras de Rodin, il ne manque rien de nécessaire. On est devant elles comme devant un tous qui n’admet aucun complément», analysait l’écrivain autrichien Reiner Maria Rilke.

Dans La rencontre, (2009) Kundera démontre comment la modernité est la re-descente des arts, des idéaux du ciel sur la terre. L’atteste, au début du XXe, la naissance de la danse moderne : Martha Graham fait danser ses rats –qui n’en sont plus- pieds plats, bien ancrés sur le sol. Finies les pirouettes aériennes, la danse est devenu terrienne. A visiter l’exposition du musée Rodin, l’on pourrait émettre l’hypothèse selon laquelle Rodin fut l’artiste qui, dans la sculpture française, provoqua la même chute. Ses œuvres ne sont pas les jolies formes intemporelles du monde des idées, elles ne rentrent pas dans le panthéon de la parfaite statuaire gréco-romaine : au contraire elles gardent la trace de la matière première et des empruntes du sculpteur sur le socle (pour

La Pensée ou La Danaïde par exemples) ou sur la sculpture, signifiant ainsi que l’œuvre est d’abord processus de création.

(ci contre : La voix intérieure, Rodin, plâtre, crédit photo : Musée Rodin)

Au même moment (quel tournant !), Bergson réfléchit sur la durée. Selon le philosophe, c'est dans cette dernière, que l'on mesure par commodité via l'espace en ajoutant les instants aux instants comme si la durée pouvait se fragmenter aussi géométriquement, c'est dans cette dernière donc, que vit le "moi". En ce qu'elle est pas une succession d'instants et qu'elle "prolonge sans cesse l'avant dans l'après", la durée est, dans la conscience, "mémoire". A la différence de la matière, qui meurt à chaque instant pour renaître l'instant d'après, la durée unit l'avant et l'après. Sachant cela, l'on peut visiter l'exposition Matisse & Rodin comme l'illustration de l'effort des deux artistes d'inscrire la matière dans la durée, de montrer, par le mouvement qu'une sculpture peut porter passé et futur et qu'en cela, elle n'est plus la matière inerte décrite par Bergson, qu'elle est animée de conscience, de vie presque. S'inscrivant dans la durée, elle ne pouvait donc que délaisser l'espace intemporel qu'est le ciel des idées.

Une expo à visiter.

Matisse & Rodin, Musée Rodin, jusqu'au 28 février 2010, ouvert de 10h à 17h45 (mercr. jusqu'à 20h45), fermé le lundi, 79 rue de Varenne, Paris 7e, Métro Varennes. TP : 7 euros, gratuit pour les 18-25 ans ressortissants de l'UE et les chômeurs.

samedi 23 janvier 2010

Le chaos trompeur de Calcutta

Le photographe Sylvain Savoilainen tient à l'interprétation qu'il fait de son sujet. Le choix d'un sujet est pour lui "le test de la capacité du reporter à savoir ce qu’il fait, ce qu’il pense, ce qu’il veut transmettre". "Calcutta" sera donc le test d'une vocation puisque c’est au cours d’une coopération humanitaire dans la mégalopole indienne que Sylvain Savoilainen a débuté sa carrière.

Pour écrire les textes qui accompagnent les clichés, Jean-Claude Carrière s’est laissé aller aux images jusqu’à ce qu’une l’arrête, enclenchant ainsi une écriture automatique. Il croyait déjà connaître cette ville par ce qu’il en avait vu, entendu ou lu mais les photographies de Sylvain Savoilainen lui firent oublier tout ce qu’il savait déjà. Tant de choses ont nourri notre imaginaire de cette ville mais "Le propre d'un bon photographe est de vous montrer pour la première fois ce que vous avez déjà vu" nous prévient Jean-Claude Carrière.

Une ville sacrée

C'est une ville grouillante traversée par la Gange, car, le fleuve, en plus d’être sacrée, est féminin, née des cheveux du dieu Shiva et purificatrice.



De nombreuses déesses ont choisi de vivre à Calcutta, parmi celles-ci, Kali, a un statut particulier. Tout en elle est effrayant : ses armes, ses bras nombreux, sa longue langue rouge… elle est le contraire du geste apaisant du Bouddha. Kali est la peur, et la souffrance et la mort violente ne sont pas des illusions. Elle est l’exécutrice de Kala, le Temps, maître suprême. D’après les sages, nous sommes entrés, il y a longtemps déjà dans cette période extrêmement sombre, Kali-yuga, l’ère de Kali. Nous sommes nés dans un temps sombre parce que nous n’avons pas su préserver l’équilibre de la nature originelle, du balancement cosmique (dharma). Depuis plusieurs milliers d’années (depuis la mort de Krishna, il y a 5000 ans), nous sommes emportés par Kala, le Temps, dans un cycle mauvais, dans une décadence lente où toutes les vertus ont disparues. Kali est là pour nous dire l’irrémédiable, elle est le cœur sauvage de Calcutta, elle fait peur aux hommes.

Communisme et ascétisme

A Calcutta, l’ascèse personnelle doit faire bon ménage avec le communisme. Le gouvernement de l’Etat du West-Bengal (dont Calcutta est la capitale) est communiste depuis longtemps, par voie de suffrage démocratique. Il faut donc que les sadhu (ceux qui renoncent pour toujours aux joies du monde et font de la sagesse une profession, vivant d’aumônes) s’adaptent à la dictature du prolétariat, le sinistre Kali-yuga et l’avenir radieux. Cette coexistence des contraires est très familière à l’Inde. La statue de Lénine se dresse toujours aux carrefours face aux immenses affiches de cinéma qui sont les enseignes séduisantes d’un autre culte.



La première tentation est de rejeter Calcutta, de fermer les yeux et de l’oublier, beaucoup de visiteurs font ce choix, ils viennent dans cette ville comme pour remplir un devoir de touriste. La seconde tentation est de rester au moins quelques semaines pour découvrir, petit à petit, que Calcutta est un monde à l’image du vrai monde : tumultueux, débrouillard, éclatant de vitalité, complexe, du grand luxe à la misère, de la frénésie à la sérénité, de l’indifférence totale à la compassion organisée.

« Calcutta », Sylvain Savoilainen (photographies) & Jean-Claude Carrière (textes), Infolio, 45€

jeudi 21 janvier 2010

Le roman cosmique… bien terrien… d’Hugo Boris…

Avec Je n’ai pas dansé depuis longtemps, on commence un voyage dépaysant pour finir sur un émouvant roman qui pose, derrière l’histoire qu’il raconte, des questions philosophiques et écologiques.
La science-fiction accapare tant le cosmos que la « littérature blanche » se tient, face à tant de babillage, bien silencieuse. Hugo Boris est bien placé pour le savoir… Pendant deux à trois ans, il a tout épluché sur l’espace. Il a poussé son enquête jusqu’à la Cité des étoiles à Moscou, jusqu’à discuter avec Jean-Pierre Haigneré (entre autres cosmonautes), ou à assister au décollage d’une fusée à Baïkonour (Kazakstan). L’écrivain a tant est si bien cherché que tout ce qui se trouve dans son dernier roman est fictif, mais vraisemblable… Pourtant, tout au long de la lecture, on se dit que le romancier, tout imaginatif qu’il est, fabule : les cosmonautes ne boivent ni fument en orbite, on ne les imagine pas avec des armes dans leur cabine ou à tomber baba d’affection devant de gluants batraciens. Et pourtant, l’écrivain le certifie, les cosmonautes lui ont dit tout ceci… et les films porno, qui servent, avant l’atterrissage, à retrouver un peu de libido, et l’effet de l’apesanteur sur la peau, ou cette fascination devant la si petite Terre, ce manque viscéral d’elle que tous racontent et qui fait conclure à l’écrivain-enquêteur que l’Homme n’est pas prêt de quitter sa planète.
Car en plus d’être un formidable documentaire sur la vie en station spatiale, un roman aux personnages bien campés et émouvants, Je n’ai pas dansé depuis longtemps est aussi une réflexion sur la condition humaine : qu’est ce qui fait de nous des Hommes ? Avant le langage, la conscience et la pensée, n’est-ce pas la verticalité qui nous a différenciés du singe, le port de tête qui a permis tout le reste ? Que serions-nous sans la Terre ? Que serions-nous sans la gravité ? se demande Hugo Boris qui en est, lui, complètement empli, lui qui fouille ses sujets à fond, qui traque avec acharnement le mot juste «parce que la poésie est dans la précision» et qui n’a de cesse de roman en roman, de changer de décor pour «acheter sa liberté d’auteur».
Je n’ai pas dansé depuis longtemps, d’Hugo Boris, Ed Belfond, 391 p, janvier 2010.

dimanche 17 janvier 2010

L'ultime promenade nocturne de Jacques Chessex

Jacques Chessex est mort l’année dernière, en octobre. Cet écrivain dont on parlait finalement au peu des multiples prix qu’il a reçu (le seul écrivain suisse à avoir reçu le prix Goncourt en 1973, pour L’Ogre) a laissé un texte posthume que les éditions Notari ont publié en décembre. Ce fut un texte écrit en écho aux sculptures de Manuel Müller dont on découvre les œuvres au fil des pages de ce cours récit, Une nuit dans la forêt.

L’inspiration nocturne
. Entre la poésie et le récit fantastique, le narrateur
nous emmène dans une forêt qui n’est plus effrayante et dans un dialogue avec des têtes qui semblent détenir des secrets de la vie humaine. Ce séjour en forêt pourrait être cette recherche d’inspiration de Chessex, une inspiration dont il parlait comme une « voix du matin, qui se donne comme une grande certitude » (Télérama, 16 avril 2008). Et si la question de la nature du texte se pose, il en était de même pour l’inspiration : « Les mots qu’elle me dicte prennent parfois la forme du récit, parfois celle de l’invocation poétique, parfois celle du regard critique – le genre importe peu. » (Idem). L’inspiration vient la nuit, ce que le narrateur nous raconte a une dimension fantastique, on songe alors à la rêverie, classiquement au centre de l’imagination romantique comme source de création, tout comme l’image d’une inspiration qui tomberait sur le poète, celui-ci n’ayant qu’à écouter sa voix. A la lumière des vers de Paul Eluard, mis en exergue du texte : « Rien ne nous réduit / A dormir sans rêves / A supporter l’ombre », le travail du poète est de se rendre disponible à cette rêverie, à ne pas dormir sans rêves.

La figure féminine. Durant cette nuit dans la forêt, les têtes avec qui dialoguent le narrateur sont des femmes, la figure féminine, allégorie classique de l’inspiration, devient le réceptacle de tous ces questionnements existentiels. Mais elle aussi posera des questions, paraissant inquiète à propos de l’amour que le narrateur peut porter aux têtes. Les têtes exercent une force d’attraction sur le narrateur mais on ne sait pas, finalement, si l’on doit les craindre ou espérer leur bienveillance : « Disons que je sois votre limaille, une poudre, un métal très docile dont vous faites votre sujet. Ou votre victime. C’est selon. Cela dépend de votre intérêt ou de votre curiosité pour moi. » (p.10). La femme est ainsi à la fois l’attirance et l’exclusion, l’autre : « C’est d’un autre lieu qu’il s’agit, en nous et en dehors de nous (…) en même temps vers l’intérieur de nous-mêmes qui est difficile à montrer. » (p.14). Mais c’est un autre qui permet de se rapprocher de soi-même, « un déplacement implicite (…) vers les zones les plus cachées, mais de moi bien reconnues ; de qui j’étais et de quoi je songeais » (p.29). Et puis, la féminité est aussi à rapprocher de la beauté, une beauté qui serait un danger car elle empêche de parler et d’écrire, elle est « le fer rouge qu’on écraserait sur ma bouche » (p.38).


Manuel Müller, Esquif, 2007

Un travail de collaboration ? Ce texte devenu posthume a été inspiré de l’œuvre du sculpteur-graveur Manuel Müller, ces œuvres qui pourraient prendre place dans un musée imaginaire d’ethnographie sont donc plus qu’une illustration du texte. Il faut imaginer un vrai travail de collaboration entre deux œuvres artistiques qui se répondent, au-delà peut-être de la volonté même des artistes. Les sculptures de Manuel Müller pourraient donc être un élément déclencheur de l’écriture, une œuvre qui trouve écho en elle, comme une promenade exploratoire rendue possible par le dialogue du poète avec une voix sortie d’entre les mains de l’artiste plasticien. Les têtes qui peuplent la forêt sont-elles les mêmes que les sculptures de Manuel Müller ? Elles ont en tout cas la même propriété fascinante, la magie qui attire et impose le questionnement. Le recueil serait alors le rassemblement de deux formes artistiques distinctes autour d’une même question sur le sens de la vie.

Finalement, ce travail de collaboration, appelons-le ainsi, trouve une explication dans le dernier chapitre du texte. C’est aussi un aveu : il n’est pas possible d’expliquer le mystère de l’inspiration et de la création : « Demeure le mystère de la forme que la réflexion, et le rêve, ne sont pas près d’expliquer » (p.51). Ce que les sculptures nous montrent de manière encore plus évidente que l’écrit, c’est la création ex nihilo puis l’évidence devant laquelle le met l’apparition de la chose voulue, inventée par l’artiste qui en fait une œuvre.

"Une nuit dans la forêt", Jacques Chessex & Manuel Müller, Editions Notari, 30€

samedi 16 janvier 2010

We want Miles

Demain s’achève, à la Cité de la musique, l’exposition consacrée à Miles Davis. Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, voici un retour sur la vie d’un des musiciens les plus importants du siècle dernier. Dans un milieu, le jazz, riche en personnages excentriques, Miles tient le haut de l’affiche. Faisant sa révolution tout les cinq ans, perdant son public pour le gagner à nouveau, sa musique mue en permanence et pourtant en quelques notes, on la reconnaît. C’est parce que l’on ne peut sûrement pas comprendre cette musique sans connaître l’homme, et inversement, parce que Miles incarne le jazz qu’il n’est pas inutile de revenir sur sa vie. C’est en tout cas la thèse développée dans le riche catalogue de l’exposition écrit en grande partie par Vincent Bessières, commissaire de l'exposition.

Un bourgeois entré en jazz

Miles est le troisième du nom dans la famille Davis : le premier, le grand-père, aurait interdit la pratique de la musique à ses enfants pour leur éviter la fréquentation des bouges, seule place pour un musicien noire dans l’Amérique blanche ; Miles II, né en 1900, sera dentiste après de brillantes études. Il épouse Cleota H. Henry et s’installe dans l’Illinois ; Miles III naît en 1926. La famille Davis est adoptée par l’élite noire d’East Saint Louis. Son père en impose par sa fierté raciale et son aisance sociale. Déjà le destin de Miles Davis est singulier dans le monde du jazz à forte composante populaire.

Ses parents ne sont pas tellement sensible à la musique, ils auraient préféré que leurs fils se consacre à de brillantes études ou, tout du moins, qu'il préfère le violon à la trompette. Cependant, à 9 ans, on lui offre un cornet. Plus tard, un ami de son père, Elwood Buchanan qui appartient à l’école de Saint Louis, lui donne des leçons et conseille l’achat d’une trompette. C’est le cadeau de son 13ème anniversaire. Au gré des tournées passant par Saint Louis, Miles Davis a l’occasion de jammer avec des musiciens dont Charlie Parker, chef de file du bebop. On le convainc que son avenir est à New-York ; le bebop est une avant-garde qui le fascine, il se développe dans un contexte social particulier, celui d’une revendication d’une nouvelle génération noire ; les musiciens noirs sont lassés de jouer les amuseurs de l’Amérique blanche. Malgré les réticences parentales, fin 1944, Miles Davis part à New-York, prend des cours qu’il abandonne vite. Cette incursion dans la vie new-yorkaise où il rencontre des musiciens, fréquentent des clubs et rejoint parfois sur scène ses idoles, lui est permis par les largesses financières de son père, ce qui ne manque pas de susciter l’incompréhension dans le milieu du jazz. A New-York En octobre, Charlie Parker l’engage dans son quintette dont il deviendra le directeur musical jusqu’à la fin 1948.

Miles Davis devient une star

Avec l’arrangeur Gil Evans et le saxophoniste Gerry Mulligan, Miles Davis crée un orchestre de neuf pupitres, un nonette qui produit une musique qui rompt avec tous les critères du divertissement. Miles voulait rendre le jazz d’avant-garde plus lisible mais le public se montre perplexe. Cependant l’orchestre entre en studio et Miles se fait déjà remarqué par sa décontraction et son intensité. C’est à Paris, pour la première fois, que Miles Davis est vu comme une star, il y a été invité à rejoindre le big band du pianiste et arrangeur Tadd Dameron au Festival de Jazz. Le 8 mai, à la salle Pleyel, il joue un bop plus flamboyant que jamais mais faisant également entendre des tournures bien à lui. Boris Vian l’introduit auprès d’intellectuels français et le pilote dans Paris, le trompettiste découvre une liberté jusque là interdite, le fait même de sortir avec une femme blanche, Juliette Gréco.

En 1950, Miles est nommé meilleur trompettiste de l’année en même temps qu’il tombe dans les drogues dures. Il met même sa trompette au mont-de-piété pour subvenir à ses besoins. Des prostituées s’occupent de lui et il fréquente aussi des filles de bonne famille, comme écartelé entre ses origines bourgeoises et le milieu musical new-yorkais. Après plusieurs rechutes, Miles enregistre à nouveau pour de petites maisons dévouées au jazz comme Blue Note et Prestige. Puis, à partir des années 1950, Columbia mène une grosse politique de signatures dans le domaine du jazz. Le label de jazz le plus puissant du moment le fait signer et lui attribue un agent. Le Miles Davis Quintet devient l’un des orchestres phares de la scène contemporaine et le trompettiste profite de ce succès pour devenir de plus en plus exigeant, réduisant sa prestation dans les clubs à trois puis deux sets. En public, il adopte un comportement imprévisible, hautain, voire arrogant.

Ascenseur pour l’échafaud. A l’automne 1957, le producteur Marcel Romano lui propose une tournée en Europe avec un quintette. Mais le succès n’est pas au rendez-vous, aussi Miles Davis se retrouve comme en vacances à Paris, loin des soucis de sa vie new-yorkaise, se rend au Club Saint-Germain tous les soirs. Ce club était alors fréquenté par deux assistants de Louis Malle qui venait de tourner Ascenseur pour l’échafaud et qui se trouvait en panne de musique. Emerge alors l’idée de demander à Miles Davis de composer. Plus tard, il composera dans la journée la fameuse ligne de contrebasse qui accompagne la marche désespérée de Jeanne Moreau tout au long du film.

Les hauts et les bas de Miles Davis

En 1960, Miles Davis semble être un homme comblé. Revenu de l’enfer, il vient de signer quatre des plus grands chefs d’œuvre du jazz : Miles Ahead, Milestones, Porgy and Bess et Kind of Blue ; ses collaborations avec Gil Evans lui ont permis d’élargir son public au-delà de la sphère du jazz ; le magazine Life le présente comme un modèle de réussite parmi la communauté noire ; ses concerts new-yorkais sont fréquentés par des célébrités. Puis, il est affecté par plusieurs événements : des heurts racistes avec la police, la découverte d’une maladie héréditaire qui le fait souffrir de la hanche gauche (les antidouleurs et la prise de drogue ne fait pas bon ménage) et une brouille avec Teo Macero le chasse des studios. Lassé de jouer dans les clubs où l’alcool et la drogue sont des tentations permanentes, Miles Davis espace les engagements. Après l’été, c’est dans une forme retrouvée, qu’il retourne en studio pour enregistrer Miles Smiles. Le nouveau répertoire se démarque radicalement de celui des standards. Miles Davis met en valeur le talent de compositeur de ses musiciens (Tony Williams a commencé à enregistrer ses propres albums chez Blue Note, Herbie Hancock s’est maintenant fait reconnaître, Ron Carter compose également).

L’émergence de nouveaux courants musicaux éclipse le jazz et Columbia veut réorienter son catalogue en se débarrassant des jazzmen. Star du catalogue, Miles Davis sera conservé mais au prix de grosses pressions. Clive Davis, le patron de la Columbia, a pris la tête d’une campagne publicitaire agressive en faveur d’un rapprochement entre jazz et pop, il encourage Miles Davis dans cette direction afin de rajeunir son public. Une orientation funk est audible depuis « Stuff » (Miles in the Sky), « Frelon brun » (Filles de Kilimanjaro). Miles Davis écoute désormais les rythmiques funk des musiques populaires noires. La Columbia incite Miles Davis à jouer sur des scènes rock, mais il refuse de se produire en première partie de « ces enfoirés de gamin blancs à cheveux longs » ; il fait des concessions à condition de s’adresser à un public noir. Miles Davis ne joue plus que de la trompette électrique, au son généralement déformé par une pédale wah-wah qui rapproche son phrasé et sa sonorité de l’univers de Jimi Hendrix. Le dos au public, tourné vers ses musiciens, il dirige du regard les changements de tempo, les entrées et sorties instrumentales. Cependant sa musique peine à se renouveler. Au début de 1973, gagné par la déprime, il parle de se retirer. Il n’a pas mis les pieds dans un studio depuis juin 1970.

La retraite. Rien ne va plus dans la vie de Miles Davis. Sur le plan musical, peut-être est-il venu au bout ? Exaspéré par le succès du jazz-rock blanc, il a en tout cas échoué dans son objectif d’atteindre le public noir malgré la radicalisation de sa musique en direction du funk. Il s’enfonce dans une déprime grandissante, les incidents de santé se multiplient, aggravés par la consommation de drogue et d’alcool. A partir de 1973, Miles Davis s’enferme progressivement chez lui. Sa consommation de cocaïne lui coûte cinq cents dollars par jour et son contrat arrive à échéance ; la compagnie lui alloue une pension en espérant qu’il revienne en studio mais Miles Davis est coupé de toute actualité musicale. « Jouer quoi ? J’ai déjà tout joué. », répond-il quand on l’incite à revenir.

L’icône

La sœur de Miles Davis, Cisely Tyson, une ancienne compagne avec qui il finira par se marier en 1981, viennent remettre de l’ordre dans la vie de Miles Davis. Le répertoire prend une tournure de plus en plus pop lors de l’enregistrement de l’album You’re under Arrest. L’album rencontre un succès immédiat mais le monde du jazz est inquiet quant à l’avenir du trompettiste. Au fil des concerts, l’orchestre, ciselant les scénarios et peaufinant les nuances, acquiert une perfection dans le domaine qui est le sien, illustrant les capacités de Miles : les musiciens se souviennent d’un Miles fort différent de la légende, chaleureux, tendre, attentif, joyeux et plein d’humour : heureux sûrement de ce retour à la vie et au succès ; il apprécie de pouvoir devenir une sorte de pygmalion pour de jeunes musiciens. Il dégage une aura qui sait faire oublier le revers de la médaille car il sait toujours se montrer méprisant, arrogant, grossier et cruel.Davis Miles avait fait des choix musicaux radicaux de 1964 à 1975, puis ses musiques étaient devenues toujours plus formatées, comme se pliant à la frivolité des années 80 ; coupé du monde, il n’était tenu au courant de la vie musicale que par ouï-dire. En septembre 1991, Miles Davis est admis à l’hôpital, il a 65 ans où il mourra parce qu’il refusait de se faire intuber.

Et le commissaire d’exposition, Vincent Bessières, de conclure que la musique de Miles est noire parce qu’elle absorbe et récuse une certaine luminosité que le jazz porte depuis ses origines. Louis Armstrong, Count Basie, Duke Ellington avaient une dimension joyeuse à laquelle Miles Davis oppose un art qui s’attarde sur les ombres. Miles Davis, lui, continue toujours de s’orienter « vers ce qui n’existe pas, ce qui n’a pas droit de cité, ce qui n’est pas légitime : il croit en la capacité du jazz à se métamorphoser ». Il a cette fierté de penser que le jazz ne s’arrête pas aux portes de sa communauté et refuse de le considérer comme un langage fini, une gymnastique virtuose, un art fermé sur ses codes.

Franck Bergerot, Vincent Bessières, We Want Miles, éditions Textuel, parution le 7 octobre 2009, 39€

mercredi 13 janvier 2010

Les Revenants d'Henrik Ibsen : de la pesanteur du ciel

A La Colline, dans le cadre de la programmation de deux pièces d’Henrik Ibsen (1828-1906) mises en scène par Stéphane Braunschweig (Une maison de poupée et Rosmersholm) était projetée lundi Les Revenants, dans la version de Braunschweig, toujours. Le génial metteur en scène est, accessoirement, le nouveau directeur de la Colline.

Située au Sud-Ouest de la Norvège, Bergen est une des villes les plus pluvieuses du monde. Ibsen ne précise pas si l’action de la pièce se déroule à Bergen –où lui-même a vécu un temps et dont il dirigea le théâtre- mais cette lumière bleue qui inonde la scène, l’entrée de personnages trempés, attifés de chapeaux et de parapluies et cette obsession du soleil qu’ils ont tous, en habitants d’un pays où la seule lumière vive provient des incendies, peuvent rendre l’hypothèse crédible. Oswald Alving, par exemple, qui revient de Paris vivre chez sa mère ne supporte pas ce ciel qui lui tronque jusqu’à la moindre petite ballade. Alors il avale verre sur verre et pourchasse la charmante et coquine Regine, bonne de la maison. Et sa mère le regarde de son regard de mère fatigué, malade de voir le fils unique ainsi, mais, malgré tout, attendri… Elle a tout sacrifié pour protéger d'un père indigne cet artiste qui se ronge sous la pluie : sa vie conjuguale, sa réputation et le bonheur de le voir grandir.
Ibsen publie Les Revenants (1881) quinze ans avant que ne naisse le terme "psychanalyse". Son personnage (le principal ?) Hélène Alving tente d’y dénoudre les nœuds familiaux qui l’enserrent depuis son mariage. Certes, ici point de prime enfance ou de sexualité, point, non plus d’inconscient clairement explicité, mais une mise en scène de ce qui pourrait être une thérapie familiale –sans thérapeute- et une excavation toute archéologique pour expliquer le comportement des fils. Très clairement en tous cas, Ibsen s’inscrit dans le débat de l’époque sur la cause de la syphilis : cette maladie est-elle ou non transmise par le père ? ou encore : le vice est-il héréditaire ?
Avec Les Revenants, Ibsen voulait aussi répondre au scandale provoqué par Une maison de poupée, revenir, justement, sur l'idée, libérale pour l'époque, qu'il avait du mariage. Dans la première pièce, Nora abandonnait mari et enfants pour vivre en femme indépendante. Dans la seconde, Mme Alving n’a pas succombé à la tentation. Sur les conseils du pasteur Manders, elle est restée dans son foyer… mais à quel prix…? Devoir ou bonheur, comment arbitrer, voici le débat, lui en l’occurrence toujours actuel, qui traverse cette pièce nordique.
L’on se souvient de Père, d’August Strindberg (1849-1912), le suédois contemporain d’Ibsen chez qui l’on retrouve ces questionnements sur l’hérédité, l’équilibre familial ou la place du père. Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle...

NB : Les pièces d'Ibsen actuellement jouées à La Colline sont diffusées sur arte live web un mois durant (depuis le 10 janvier 2010).

Journal à quatre mains, sous l'Occupation

A saint Cloud, au 3 Pierrots, était présenté jeudi dernier Journal à 4 mains, de Flora et Benoîte Groult. Le texte des deux féministes est servi par deux excellentes comédiennes, Lisa Schuster et Aude Briant, cette dernière ayant reçu, pour son interprétation le Molière 2009 de la révélation théâtrale. 

Avant le lever du rideau, on expliquait au spectateur combien, du haut de ses quatre-vingt dix années, la féministe Benoîte Groult était encore vive, drôle et mordante… Des caractéristiques que l’on retrouve immédiatement dans l’écriture de ce journal de jeunes parisiennes vivant l’Occupation et sous les traits du personnage de Benoîte, justement… Car c’est bien elle, l'intellectuelle brune et mal coiffée, elle « la bonne en version » qui de sa cadette coquette reçoit des conseils de séduction, avant –à la guerre comme à la guerre- d’échanger des caresses contre des rotis de veaux… Entre l’Armistice et le Libération, les deux soeurs découvriront les privations et l’exquis goût du miel, la tristesse d’un premier décès, les Américains et les baisers… Sur scène, les deux géniales comédiennes Aude Briant (Benoîte) et Lisa Schuster (Flora) traduisent à merveille la complicité et la sororité qui motivent et rendent vivante l’écriture des deux féministes. A voir.

Journal à quatre mains, de Flora et Benoîte Groult Mise en scène Panchika Velez, A Palaiseau le Samedi 20 février à 20h30, MJC-Théâtre des 3 Vallées, de 12 à 18€, 1h20 sans entracte.

dimanche 10 janvier 2010

Joann Sfar (vie pléthorique)

Le 20 janvier prochain, le premier long métrage du bédéiste Joann Sfar sort sur les écrans. Avant cette sortie cinématographique, Dargaud a orchestré la sortie de deux albums en rapport avec le film : avant « Gainsbourg (vie héroïque) », nous pourrons donc parcourir deux livres (ni une bande dessinée, ni un story-board) : « Gainsbourg (hors champ) » et « Gainsbourg (images) », un millier d'images : croquis, notes graphiques grandes illustrations racontant la vie de Gainsbourg et la préparation du film. Ce regain d’actualité pour Joann Sfar est l’occasion de revenir sur son parcours de dessinateur.

Joann Sfar est né en 1971à Nice. Son père est séfarade et sa mère ashkénaze. Son grand-père faillit être rabbin. Sans être consacré au sujet, les albums de Joann Sfar sont habités de références kabbalistiques. De l’enseignement juif et philosophique, on pourrait dire qu’il a gardé le goût de la contradiction, un certain rapport à la langue et à la lettre et pour le cosmopolitisme. Il commence à dessiner jeune, peut-être par ennui. A 15 ans, il envoie son travail à quelques éditeurs mais encaisse les refus. Il continue alors ses études et entame un cursus de philosophie à Nice où il travaille sur le problème de la figuration chez les peintres juifs (Le Complexe du Golem), Joann Sfar a terminé sa formation aux Beaux-Arts de Paris, dans l'atelier de Pierre Caron. Il se passionne pour les cours de morphologie.

Brouillon ou prolifique : l’œuvre de Joann Sfar
Puis, pour la première fois, en 1994, trois éditeurs acceptent de le publier en commençant par Noyé le poisson chez L’Association. Depuis, Joann Sfar commence de multiples séries sans forcément les achever, il ne se fixe pas de calendriers, ses œuvres donnent ainsi l’impression d’être en roue libre et sans véritable unité. Sur son blog (toujourserslouest.org), il s’explique de cette suractivité qui pourrait sembler manquer d’aboutissement : « (…) raconter en quelques mots ce que c'est, pour moi, de faire des albums de bandes dessinées. Ce sont des voix. Petit Vampire. Le Minuscule Mousquetaire. Grand Vampire. Chacun de ces personnages c'est une voix. A chaque fois, j'essaie que chaque album constitue une histoire complète. Et j'annonce la suite en fin d'album pour dire que cette petite voix n'est pas morte, qu'on l'entendra à nouveau un jour. (…) Je voulais dire que je sais écrire des histoires avec un début un milieu et une fin. Quand j'écris pour le cinéma, je crois que c'est ce que je parviens à donner.»

A un rythme effréné donc, il apparaît au générique de plus d’une centaine d’albums réalisés seul ou en compagnie et ce pour une dizaine d’éditeurs. Chez l'éditeur Delcourt, il est vu comme un scénariste, et son œuvre montre un goût du conte. A l'Association, il raconte des histoires moins convenues avec un trait bien à lui, apparemment désinvolte mais surtout soucieux de ne pas gâcher l'énergie de l'instant et de l'inspiration par la préoccupation de faire un « beau dessin ». Il se rapproche d'artistes du dessin de presse ou d'humour. Il a d’ailleurs tenu une page hebdomadaire (Mon cahier d'éveil) dans Charlie Hebdo entre mi-2004 et septembre 2005. Sa philosophie de travail : « Rester en posture d’élève », se sentir « à l’égard du dessin comme le philosophe à l’égard de la vérité : non pas prétendre la détenir, mais cheminer avec justesse dans sa direction. » (Libération, 25 novembre 2003).
Parmi ses séries marquantes, il y a bien sûr Le Petit Prince, avec Cassian, Joann Sfar crée une espèce de double du Petit Prince en sexué et amoureux, porteur d’interrogations contemporaines et échappé du désert pour vivre dans un monde luxuriant. Pendant le tournage de « Gainsbourg », Joan Sfar dessinait pour se détendre et a attaqué une nouvelle série : L’Ancien Temps qui marque le retour de l’auteur à un travail de bande dessinée personnel.

« Le dessin signifie juste : regarde avant d’ouvrir ta gueule »
Joann Sfar trouve que la France est très en retard dans le domaine du livre illustré, incapable de donner un visage autre que « naturaliste » aux peurs contemporaines. Dans ses carnets autobiographiques, il dit : « Le dessin fait voler en éclats les chimères philosophiques et littéraires qui nous séparent des choses. On entre en dessin comme on briserait une glace. On y découvre que l’autre n’existe pas, que les êtres et les choses ne sont pas délimités. Que nous ne sommes qu’un bain de formes. Aussi sûrement que la poésie d’Henri Michaux, le dessin renseigne sur ce que nous sommes. ».
Après la bande dessinée, le commentaire philosophique (Candide et Le Banquet, éditions Bréal : classiques de philosophie annotés et illustrés par Sfar, ainsi que de petits dialogues) et le roman (L'Homme arbre), Joann Sfar s'est donc attaqué à un nouveau défi : l'écriture d'un scénario pour le cinéma.

La réalisation : « Gainsbourg (vie héroïque) »
Joann Sfar a déjà participé à la réalisation de clips (Dyonisos, Thomas Fersen) mais « Gainsbourg (vie héroïque) » est son premier long métrage. Un casting haut de gamme : Eric Elmosnino dans le rôle titre (Sfar pense d’abord à faire jouer Serge Gainsbourg par sa fille, Charlotte Gainsbourg hésite puis elle refuse), Gonzales pour ses mains, Laetitia Casta, Anna Mouglalis, Yolande Moreau… 14 millions de budget : « C’est un mélange de superproduction et de bouts de ficelle » (L’Express, 10 septembre 2010).
Joann Sfar s’est indéniablement construit une véritable légitimité dans le monde de la bande dessinée mais il en va autrement dans le cinéma et il a décidé de commencer en nous livrant une vision personnelle de Serge Gainsbourg, bien loin d’un biopic à l’américaine à laquelle sa vie se serait pourtant facilement prêtée. Si d’autres avaient déjà pensé à faire un film sur Gainsbourg, ils n’avaient pas franchi l’obstacle des ayants droit, « ils m’ont dit oui, sans doute parce que mon projet était le plus bizarre, qu’il s’agissait pour moi de fabriquer une mythologie et non pas de suivre servilement le détail de la vie de quelqu’un. » (Télérama, 29 juillet 2009). Ferait-il même de la vie de Gainsbourg un conte philosophique ? : « Ce sera aussi une histoire de trahison et de renoncement : Gainsbourg voulait faire de la peinture, et ça n’a pas marché, il voulait faire du jazz et c’est resté confidentiel, il s’est résolu à écrire pour les gamines, il a fait des concessions et le succès est venu – mais l’œuvre est restée sublime. Si ce film a la vertu d’enseigner aux jeunes gens que l’intégrité peut être un défaut, tant mieux… » (Télérama, 29 juillet 2009)
Déjà, à peine arrivé à Paris, Sfar est attiré par le personnage de Serge Gainsbourg : quelques mois avant sa mort, il pense faire une BD à partir de son roman "Evguenine Sokolov", Sfar dépose quelques pages dans la boîte aux lettres rue de Verneuil, comme une espèce d’hommage. C’est ainsi que la toute première BD de Sfar disparaît.

Gainsbourg (hors champ)
Dans l’introduction, Sfar se remémore à propos du tournage : “J’avais sans cesse un sourire d’une oreille à l’autre et les larmes aux yeux et de la gratitude d’avoir trouvé un petit cirque où j’avais ma place. S’apercevoir, après vingt ans à dessiner tout seul, qu’une petite armée française bardée de projecteurs et de câbles veut bien jouer avec moi…”. Le matériau de la fiction, c’est un mélange de bande dessinée et de dessins, dont la somme se lit comme un roman. Les dessins sont issus des 43 carnets remplis p
ar Sfar (1 800 dessins et 12 kilos de papier). Sfar a dessiné pendant trois ans “de façon maladive et joyeuse”, avant même la première mouture du scénario, puis à côté de la caméra… Entre le jour où il griffonne une Bardot imaginaire qui marche dans un couloir et celui où il peint Lætitia Casta en cuissardes, deux ans se sont écoulés. Entre le dessin d’après nature, on voit se construire le film. Le dessin a permis à Sfar de se faire une idée de ce qu’il allait raconter, puis de tout expliquer à son équipe. C’était sa façon de dialoguer avec les comédiens, les costumiers, les maquilleurs, le décorateur. Mais le dessin n’est pas seulement utile, il change le regard du réalisateur. Et on apprend dans ce livre que “les films de dessinateurs se fabriquent dans un autre lieu que les autres films ”.

Actualité

Cinéma : Sortie de « Gainsbourg (vie héroïque) » le 20 janvier 2010 (http://www.gainsbourg-lefilm.com/joann-sfar/)
Livres :
« Gainsbourg (hors champ) » et « Gainsbourg (images) », sortie le 4 décembre 2009 chez Dargaud.
« Socrate, le demi-chien » volume 1, 2 et 3, sortie le 11 novembre 2009 chez Dargaud : Les aventures du chien d'Héraclès dans l'Antiquité.
« L’Ancien Temps », Volume 1 : « le roi n’embrasse pas », sortie le 11 novembre 2009 (manque provisoirement) chez Gallimard
Site de Joann Sfar: www.toujoursverslouest.org

mercredi 6 janvier 2010

Tetro, de Coppola : filiation, castration et déception

Tetro, le héros du dernier film de Coppola, a fui son père, un chef d’orchestre génial, célèbre et envahissant. Son petit frère, qui ne s’est jamais remis de ce départ, profite d’une escale à Buenos Aires pour lui rendre visite...

Le jeune homme trouve un homme abîmé, au physique comme au figuré, jambe dans le plâtre et ambitions littéraires au tiroir, et surtout un frère qui, ayant tout fait pour fuir un père étouffant, ne veut rien entendre des liens familiaux, y compris de lui, Bernie, benjamin marin naïf et admiratif. Et pourtant, Tetro, de son vrai nom Angelo Tetrocini, a, avec son nouveau nom argentin, gardé une racine patronymique... Comme si, quoiqu’il en dise, il ne pouvait se défaire d'un lourd héritage...

Dans ce film, le seul avec Conversation secrète (1974) dont Coppola a écrit le scénario, le réalisateur livre de lui-même : son propre frère aîné a disparu alors qu’il avait 14 ans, son père et son oncle étaient deux musiciens rivaux, le second ayant même suggéré au premier de changer de nom en vue de capter toute la lumière.

L’imbroglio fraternel, la castration et le meurtre du père, on les retrouvent dans un film qui noie le lecteur dans les flash-backs, les innombrables accidents ou un trop long passage de « théâtre dans le théâtre »... Certes le « noir et blanc » est séduisant, il accentue l'idée de poète maudit qu'incarne Angelo tandis que la couleur ne sert que pour le passé, époque apparemment harmonieuse pour les Tetrocini. Cependant, à force d’esthétisme, le réalisateur se noie dans les yeux de son acteur, lesquels reflètent les jeux de lumière des glaciers de Patagonie... Un sommet de préciosité. Comme si, dans cette histoire qui était un peu la sienne, Francis Ford Coppola en avait trop mis... : trop de rebondissements dans une intrigue à l’origine intéressante, trop d’accidents dans une histoire qui aurait pu être réaliste, trop de préciosité dans l’image, jusqu’au ridicule. Dommage.

Tetro, de Francis Ford Coppola, sortie le 23 décembre 2009, avec Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdu.


 
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