samedi 24 septembre 2011

"La disparue de San Juan" de Philippe Broussard

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Ce document du journaliste de Philippe Broussard est davantage qu’une enquête sur la disparition d’une jeune Montanera d’origine française, en Argentine pendant les grandes répressions. C’est en fait le récit d'une enquête journalistique.

Un chapitre sur deux reprend les lettres que le journaliste adresse à la mère de Marie-Anne Erize, la disparue. On découvre ainsi les doutes de l’enquêteur, l’obsession, la persévérance qui l'amènent à reprendre la vie de la jeune fille, de son enfance, sa jeunesse puis son engagement politique de plus en plus radical.

Pour ce qui est de cette existence, c’est la force de ce genre de témoignage historique que de dérouler les événements politiques et sociaux du point de vue d’un individu, c’est passionnant de comprendre ce que sont la révolte d’une jeunesse, ses rêves et ses questionnements sur l’engagement, on comprend de cette manière toute la complexité que peut revêtir l’histoire d’un pays.

Qui plus est, cet individu, Marie-Anne, a un caractère exceptionnel, elle a fréquenté les milieux people ; puis, elle veut affronter ses doutes et le tournant sera plutôt radical. Ainsi, parmi les 30 000 desaparecidos victimes de la guerre sale que connut l’Argentine de la fin des années 70 au début des années 80, le livre de Philippe Broussard nous en fait connaître une. Découvrir l’histoire d’un pays au travers d’une histoire personnelle la rend aussi réelle car on imagine aisément les questions existentielles d’une jeune fille, l’inquiétude d’une famille, les influences d’un ami ou d’un amant, l’atrocité d’une disparition…

Pour ce qui est du récit de l’enquête, l’on craint que les doutes constants du journaliste, la relation très inexplicable - il entretient une sorte d’obsession pour cette fille qu’il n’a jamais rencontrée - n’alourdissent quelque peu le récit. Si « La disparue de San Juan » reste un rappel essentiel d’une histoire que l’on évoque si peu souvent en France, il lui manque peut-être une dimension dramatique. Seule une personne dégagée extérieure aurait pu dessiner cela ; à ce stade-là, Philippe Broussard est sans doute, déjà, trop partie prenante d’une enquête non résolue.

"La disaprue de San Juan", Philippe Broussard, Stock Les documents

mardi 20 septembre 2011

Habemus Papam, de Nanni Moretti : l'Eglise sans Pape...

Avec Habemus Papam, Nanni Moretti a filmé ce dont on ne peut parler puisque son accès est strictement interdit à qui n'est pas cardinal, le conclave (cum clave), et ce qu'il pourrait découler. Vague de fraîcheur au Vatican.

Que tous les puissants aspirent à persévérer dans leur être, et que nous estimions naturel ce désir voire nécessaire, voilà ce que souligne notre pré-campagne présidentielle française. Dans le dernier film de Nanni Moretti, il s'agit exactement de l'inverse : personne ne veut être à la place du chef, parce que la charge est lourde, irréversible et crevante lorsque l'on est déjà un cardinal âgé et déraciné. Alors chacun la refusant sous des prières faussement modestes, la férule papale est laissée, dans le secret du vote et de la sainte prière.... à ce voisin qui semble plus humble, de meilleure composition, mais surtout trop respectueux et trop faible pour se rebiffer. Ainsi, sans pâtir de la lourdeur du pouvoir, chaque malin cardinal garde la jouissance de l'influence. Quel fidèle, quel journaliste saurait repérer cette malice doublement cachée par le secret des âmes et les portes fermées du conclave ? C'était sans compter, après ce coup d'état à l'envers, coup fourré collectif bien pervers, sur le fait que le nouvel élu conserverait, en dépit de sa dépression, une liberté, une lucidité et une énergie salvatrice qui l'aideront à fuir le Vatican. Dès lors, au-dessus de l'armée de fidèles anxieux postés sur la place Saint-Pierre, des médias pressants et pressés, deux mondes jouent au bras de fer : celui des cardinaux coincés sous la poussière de leurs mensonges et de leurs conventions, mais si conscients et si fiers de l'aura de leurs robes rouges qu'ils nient toute vérité qui tendraient à ébranler cette aura, au premier rang desquelles la psychanalyse ; et, vaquant dans les rues romaines, le monde intérieur d'un vieil homme rêveur et dépressif, qui sait tout Tchekov et ce qu'il est : un comédien raté, un prêtre paumé, mais sûrement pas ce pape dont le monde entier semble attendre l'arrivée : un pasteur énergique, capable tout à la fois de guider des millions d'âmes et des hommes d'église trop humains pour être des saints.

En parallèle du récit psychologique, c'est un tableau social que compose Nanni Moretti : celui d'un Vatican comme lieu de rixe entre cinq continents, régit par une élection démocratique dont on fait croire que l'issue est d'inspiration divine alors qu'elle met en exergue les vanités, les influences et les faiblesses des clercs comme des laïcs. Le rôle du psychanalyste que Nanni Moretti endosse pour ce film -celui de l'observateur fin, jouisseur et goguenard – semble être la métaphore de son statut de réalisateur, un juge libre d'esprit et attendri, créatif et énergique. Quant à Michel Piccoli il excelle en pape raté. Longue vie à eux !



samedi 17 septembre 2011

"Rien ne s'oppose à la nuit" de Delphine de Vigan

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

En exergue du dernier roman de Delphine de Vigan, Pierre Soulages explique comment la clarté était venue du noir envahissant pourtant l’entièreté de sa toile. Ainsi en est-il de l’histoire familiale des Poirier, de celle de l’auteur : des allers-retours de la lumière à l’ombre à la lumière…

D’abord, c’est une famille nombreuse : une femme dont la dizaine de grossesses ne fait que renforcer son être ; un mari heureux, peut-être volage mais aimant ; puis des enfants assez beaux pour faire les couvertures des magazines. Parmi cette effervescence d’enfants qui ne cessent de naître, la disparition d’un puis de plusieurs enfants sonne comme le malheur inéluctable à une chronique familiale. Puis, au fil du roman, vient poindre, de manière insidieuse, un malheur plus définitif. Le suicide de la mère de l’auteur inaugure le roman et en est le motif. L’écriture relève alors d’une nécessité, d’une posture salutaire face à la mort. L’auteur va remonter le temps pour savoir, comprendre, enquêter, interroger la famille, lire des lettres, écouter des mémoires, bousculer, se souvenir, déceler le secret connu de tous et le faire connaître à tous.

« L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. » Mais ce roman n’est-il pas la preuve que l’interrogation, la conscience du passé posent les marques d’un chemin salvateur, qui se construit contre le silence. Car c’est à cela que doit faire face la narratrice : le silence de l’histoire de sa famille, le tabou autour duquel chacun s’est construit sans jamais dire, sans jamais accuser. En premier, la mère de l’auteur avait révélé l’inceste avant de tomber dans la folie parce que sa famille lui opposait un silence. A la mort de sa mère, reprenant le flambeau comme pour la saluer, dépassant le seul cadre de la famille, Delphine de Vigan va rendre au grand public (elle publie un livre dont on connaît déjà le succès) ces choses que rien ne justifie et qui seront pourtant les fondements branlants de l’existence de sa mère, puis de la sienne.

Souvent, on sent le désespoir de l’écrivaine : « L’écriture ne donne accès à rien. » Peut-être là réside la faiblesse de l’écriture de Delphine de Vigan, l’écart qu’il existe entre un récit, aussi touchant soit-il, et un roman, ce que transporte l’esthétisme de l’écriture, ce à quoi elle donne accès. Un désespoir à l’image de ce qu’elle a eu à affronter : s’occuper de sa propre mère et grandir dans une incertitude permanente.

Le roman de Delphine de Vigan est l’histoire d’une vie qui, aussi dramatique fusse-t-elle, donne la preuve d’une clarté dont seul l’homme peut être l’auteur.

"Rien ne s'oppose à la nuit", Delphine de Vigan, JC Lattès

dimanche 11 septembre 2011

« Jayne Mansfield, 1967 » de Simon Libérati

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Simon Libérati consacre son dernier roman à la fin de vie d’une super star hollywoodienne des années 60.

Le couperet du temps est terrible : qui aujourd’hui se rappelle de Jayne Mansfield ? Pourtant, celle-ci avait « une réputation atroce mais un indice de notoriété hors catégorie ». Jayne Mansfield, symbole d’une nouvelle ère où le scandale, la grandiloquence et la médiocrité suffisent largement à la célébrité. De ces célébrités, on ne retient que le pire et le démesuré, la part humaine n’y est plus. C’est aussi pour cela aussi qu’on tolère que ces stars soient traquées par les journalistes et insultées par l’opinion publique. Jayne Mansfield n’est pas une femme : c’est un phantasme.

Le roman s’ouvre sur une réalité à laquelle, toute star qu’elle est, elle n’échappera pas : un accident de voiture, somme toute banal puisque ni la vitesse, la drogue ou l’alcool ne sont à incriminer, même si, aujourd’hui encore, on fantasme une décapitation. L’auteur déroule un réalisme appétissant, relève les détails techniques de l’accident dont la description occupe les cinquante premières pages. Alors, on se dit que nous allons connaître cette réalité-là de la vie de Jayne Masnfiled, deviner quelle route sans issue elle a emprunté, quel chemin de traverse elle a voulu ignorer... Mais nous n’en saurons rien.

Le défi littéraire réside précisément là : prendre de la hauteur et faire toucher du doigt ce que cela dit de notre société ou, partir à la recherche de la part humaine de la star, de celle qui ne peut être qu'ignorer les doutes et le désespoir, car elle a tout. Depuis quelques années, ne cesse-t-on pas de revenir sur l’intelligence, la finesse et la sensibilité d’une Marylin Monroe longtemps cantonnée à un glamour parfait et une neurasthénie clichée ? Pour cela, le roman de Simon Libérati nous laisse sur notre faim, nous avons les détails de l’accident mortel mais la chronique d’un scandale raconté par le menu n’offre pas plus d’intérêt que les faits que nous lisons aujourd’hui dans toute sorte de presse.

"Jayne Mansfield, 1967", Simon Liberati, éditions Grasset

jeudi 1 septembre 2011

Les chaussures italiennes de Henning Mankell : histoire d'un dégel

Présentation ici d'un bout de la récolte faite au Salon du livre 2011 : fraîcheur scandinave, pour une rentrée grise.

Voilà plus de dix ans que Fedrik Welin habite sur île avec sa chienne et sa chatte. Chaque jour, il fait un trou dans la glace pour s'immerger. Chaque jour, il consigne sur son journal de bord les menues variations de son environnement minéral : la température, les oiseaux sur le ponton, l'intensité du vent. Avant ces pauvres lignes, l'homme a eu une vie pourtant : un père serveur, une petite amie, une carrière de chirurgien. Aujourd'hui, à soixante ans passés, ne reste que cette île de la Baltique que ses grands -parents lui ont légué : des roches prises dans l'eau glacée. Une île comme son âme, figée..., jusqu'à ce qu'une vieille femme accostée sans préambule sur la glace hostile lui rappelle que des villes, du bruit, l'on peut se couper, de la responsabilité d'un acte ou d'une promesse jamais... à moins de devenir moins que soi-même, un être sans mémoire vivant comme Ulysse chez la nymphe Calypso : dans un cadre magnifique mais caché, donc absurdement. Nous ne sommes rien de plus que des nœuds de relations sociales, nous disent les mythes grecs, notre identité n'est que relative. Alors, pour être, il faut, en Ulysse, quitter la belle île et ses plaisirs... ou accepter qu'elle soit violée par d'autres.

Dans les romans policiers de l'auteur suédois Mankell, les personnalités et l'aspect psychologique sont aussi soigneusement brossés que l'intrigue. Les chaussures italiennes procède de la manière inverse : c'est un roman psychologique aux méthodes d'enquête progressives, minutieuses et policières, qui, en narrant l'histoire d'un dégel, nous replonge dans la vérité des mythes grecs.

Les chaussures italiennes, Mankell, Ed. Seuil, Point, 373 p.

 
Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs