vendredi 30 mars 2012

« Inconnu à cette adresse » à voir à Palaiseau


1932-1934. Une correspondance fictive entre deux amis, un Allemand et un juif Américain, évoque la montée du nazisme et les questions, politiques et morales, de liberté et d’indépendance d’esprit. Mis en scène par la compagnie Hydre productions, le best-seller de Kathrine Kressmann Taylor (1903-1996), "Inconnu à cette adresse", sera proposé à Palaiseau (91) en mai.

Grands amis, Max et Martin ont tous deux monté une galerie d’art en Californie. En ce début des années 30, Max, célibataire d’origine juive, s’y retrouve seul, Martin ayant décidé de rentrer dans son pays pour donner à ses enfants une éducation germanique. Les lettres des deux hommes voyagent au-dessus l’Atlantique : on donne des nouvelles des clientes new-yorkaises, on se remémore le temps où Martin s’était épris de la sœur de Max, Griselle, et l’on s’envoie du «fidèle ami», du «très cher»… Côté allemand, riche immigré dans un pays écrasé par la crise économique, Martin observe, au départ sceptique, l’ascension d’un nouvel homme politique, Hitler… À San Francisco, à la lecture de la presse, Max s’inquiète : quel crédit donner à ces histoires européennes qui font cauchemarder les juifs d’Amérique?

La haine jusqu’à la lie…

Quelques œuvres d’art disposées sur scène symbolisent l’affaire qui lie les deux hommes. Pour fêter leur amitié, la joie de Martin de revenir dans une «Allemagne démocratique» (cette «terre de culture»), les bénéfices de Max sur ces croûtes, les deux hommes entament la pièce en buvant leur vin au calice…

Les comédiens Pierre Sallustrau et Alain Tardif ne lisent pas mais jouent, véritablement, les lettres écrites par des personnages qui pourraient leur ressembler physiquement. La scansion des entêtes des courriers prend rapidement l’air d’une abrutissante chanson tandis que les formules dites « de politesse » se font de plus en plus sèches. La guerre qui gronde dans le monde a déjà éclaté entre eux : plus de comédiens en bras de chemise, les vestons sont renfilés et la scène peu à peu plongée, comme l’Europe de ces années, dans l’obscurité. Jusqu’à quelle dose vendrait-on, en Faust, les morceaux de son âme pour assurer sa vie ? Que pèserait notre indépendance d’esprit dans un pays ravagé par la crise, la propagande et la haine de l’humanisme ? Les terribles réponses à ces questions, les comédiens les boivent sur scène jusqu’à la lie, dans des calices d'un doré aussi clinquant que celui qui envelopperait des âmes hypocrites…

Un texte fort (publié pour la première fois aux Etats-Unis, dans sa version intégrale, en 1938) servi, dans l’adaptation de l’Hydre Compagnie, par d’excellents comédiens : cette pièce plaît au public le plus vaste, et notamment aux collégiens qui l’on vue nombreux (à l’Aktéon théâtre à Paris).

jeudi 29 mars 2012

Lettre à ma mère au Lucernaire : de la banalité du mal familial


À voir actuellement au Lucernaire (Paris 6e) : Lettre à ma mère, le superbe texte de Georges Simenon adapté et joué par Robert Benoit. Critique à lire sur Les Trois Coups, le journal en ligne du spectacle vivant.

lundi 26 mars 2012

« Touriste » de Julien Blanc-Gras

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Il faut se souvenir de Simone de Beauvoir relatant dans La Force de l’âge son voyage touristique à Naples : « Chaque matin des wagonnets à crémaillère hissaient au sommet du Vésuve une cargaison d’Américains », déjà. Et la démocratisation du tourisme n’a plus jamais cessé, ainsi naquit le touriste moderne, qui pour quelques centaines d’euros passera 15 jours n’importe où sur la terre : dépaysé sans être trop dérangé. Julien Blanc-Gras qui ne se veut donc ni voyageur, ni baroudeur, ni globe-trotter nous rappelle cette aporie du voyage moderne : « C’est le paradoxe du touriste : le principal désagrément de sa démarche réside dans l’existence de ses semblables ».

Alors serait-ce par modestie qu’il ne se veut rien de plus qu’un touriste ? Pourtant, sa passion des cartes, sa détestation même bienveillante des touristes all inclusive et tout simplement son métier de journaliste nous en font sérieusement douter. Après un premier voyage inaugural en Angleterre au lendemain de sa majorité, Julien Blanc-Gras n’aura de cesse de voyager : « Il faut se rendre à l’évidence, je dois aller dans tous les pays du monde », cette obsession, c’est certain n’est pas celle d’un touriste. Il veut trouver sa « place dans le monde », un long programme qui ne sera jamais bouclé en 5 semaines annuelles de congés payés ! C’est la raison pour laquelle il finira par trouver dans le journalisme la profession idéale pour ne jamais cesser de le faire. Mais, s’il accompagne un photographe en Polynésie ou une expédition scientifique à Madagascar, ce serait se méprendre que de croire qu’il est un simple touriste.

S’il fallait encore des arguments à donner à ce « touriste pas comme les autres », on dira qu’il voyage seul, qu’il part à l’assaut des clichés sur la Colombie et du conflit israélo-palestinien, qu’il sait profiter d’une absence de programme pour lancer au hasard un caillou sur sa carte de Chine, laissant le hasard décidé de la prochaine destination. Puis, il y a ces questions propres aux touristes que l’on pourrait très sommairement résumer à la pauvreté. Faire le constat de l’impuissance de l’individu à changer quoi que ce soit aux inégalités et goûter amèrement au cynisme d’en profiter quand même. C’est sûrement dans ce constat en pointillé que Julien Blanc-Gras est davantage journaliste que touriste.

"Touriste" Julien Blanc-Gras, Au diable vauvert

lundi 19 mars 2012

« Les revenants » de Laura Kasischke

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

On peut penser qu’il y a, dans ce roman, trop de clichés : un campus américain du Midwest avec de beaux et jeunes gens, un irrévocable drame amoureux, des histoires de coucheries à l’origine de pâles scandales ; trop de personnages : des élèves et leurs parents, des professeurs et leur famille. Presque trop d’histoires… Et pourtant, c’est avec une réelle habileté que Laura Kasischke démêle les fils de son intrigue ; elle écrit, ce faisant, un roman au long cours où le lecteur, s’il est parfois agacé par des digressions inutiles, est toujours rattrapé par l’envie d’éclaircir le mystère.

Ce mystère est inauguré par une scène d’accident quasi-mystique : dès lors on imagine que rien ne sera aussi simple qu’un drame humain. Pour l’instant, Craig souffre le martyre d’avoir tué dans cet accident de voiture sa copine Nicole Werner pour laquelle il nourrissait, contre toute attente, un amour chaste. Il décide de continuer son cursus universitaire sur ce même campus malgré la haine dont il est l’objet de la part des sœurs de Nicole, car c’est ainsi qu’elle nomme, comme il se doit, les camarades qu’elle fréquente dans la sororité d’Omega Teta Thau. Et malgré aussi tous les souvenirs auxquels il sera confronté sur ce lieu qui a vu naître son amour pour Nicole. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne cesse d’avoir des apparitions de sa bien-aimée, mais pourquoi serait-ce aussi le cas de ses seuls amis Perry et Lucas ?

Il faudra bien cette profusion de personnages, et leur vie plus ou moins maussade, pour donner de l’étoffe à la tristesse esseulée de ce jeune homme. Qui plus est, cette densité narrative rend parfaitement l’ambiance étouffante d’un campus universitaire qui vit en espace clos. L’impression qui parcourt le lecteur est résumée dans ce concept, cité tel quel, du poète John Keats de « negative capability ». Selon lui, elle est cette capacité à rester dans le mystère, dans le doute, sans vouloir à tout prix parvenir à une explication rationnelle. Finalement, on ne sait si elle saura rationnelle ou mystique, crédible ou ridicule mais il est certain qu’on continue à lire les six cents pages pour connaître le mystère qui anime le dernier roman de Laura Kasischke.

« Les revenants » (The raising), Laura Kasischke. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille. Christian Bourgois

mercredi 14 mars 2012

"Ce qu'il faut expier" d'Olle Lönnaeus

Suffit-il de s’être juré de ne jamais revenir à un endroit pour le laisser définitivement derrière soi ? Olle Lönnaeus, auteur suédois, choisit la petite ville dont il est natif, Tomellila, comme lieu de ses romans ; son dernier polar, édité chez Lina Levi, ne fait pas exception. Mais davantage, qu’un décor, cette petite ville devient un laboratoire des tourments humains. Si la petitesse du bourg est davantage propice aux commérages et à la surveillance mutuelle qu’à la solidarité, la proximité d’une belle nature, le jour qui, durant les mois d’été n’en finit pas et la piété de ses habitants masquent parfaitement les haines et les rancœurs.


Ce calme apparent est brouillé par l’assassinat soudain d’un vieux couple austère détenteur d'une fortune gagnée à la loterie nationale. Leur fils adoptif, dont la mère était polonaise, est alors forcé de revenir sur le lieu du crime. Il avait tôt fait de fuir cette ville où on l’appelait « bâtard de Polack ». Konrad est alors, bien sûr, en tête de la liste des suspects. Mais, de quel crime parle-t-on ? N’y aurait-il pas une faute originelle que ce couple bigot aura tenté d’expier d’une manière ou d’une autre ? Au fur et à mesure des découvertes, Konrad entendra des phrases d’autrefois résonner différemment et des gestes prendre un autre sens. Son retour n’est sûrement pas fortuit : l’enquête ne saura-t-elle pas mener Konrad plus loin, sur ses racines et surtout l'origine de la disparition de sa mère dont il a presque tout oublié.


Davantage qu’une enquête policière, Olle Lönnaeus écrit la quête d’un homme forcé de se poser des questions. Il n’y aura donc pas de coup de théâtre final, car la finesse du roman de l’auteur suédois, est de retirer aussi progressivement que le cours de la vie nous l’impose souvent, le voile d’ignorance qui recouvre l’origine et la destinée d’un homme. Finalement, Konrad attendait peut-être cette opportunité de revenir dans ce lieu hostile et violent, il ne savait que trop qu’il avait encore des choses à y découvrir.


"Ce qu'il faut expier" Olle Lönnaeus, éditions Liana Levi

dimanche 11 mars 2012

Victor ou les enfants au pouvoir : cruautés bourgeoises au théâtre de la Ville

La pièce de Roger Vitrac, « Victor ou les Enfants au pouvoir », est mise en scène brillamment par Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville (de Paris)... Critique à lire sur les Trois Coups, le journal du spectacle vivant.
A lire aussi : une interview du metteur en scène dans Théâtral magazine (janvier, février 2012).

dimanche 4 mars 2012

France culture papiers : feuilleter les ondes

France Culture est la troisème radio la plus podcastée de France. Comme si les auditeurs connaissaient trop la richesse de ses programmes pour avoir sérieusement l’ambition de s’en emparer immédiatement et totalement. France Culture a deviné ce besoin secret, cette frustration étonnante et cette volonté de garder avec soi le savoir, autant de désirs contraires à notre société de consommation rapide et de zapping médiatique. C’est la raison pour laquelle la station s’est liée à l’éditeur Bayard pour publier France Culture Papiers dont le premier numéro est sorti le 23 février dernier.

L'orchestration du mariage ambitieux entre l’intelligence des ondes à la permanence du papier a été confiée à Jean-Michel Djian, journaliste et ancien rédacteur en chef du Monde de l'éducation. Cette épaisse revue trimestrielle retranscrit, autour de trois axes, des moments choisis de l’antenne. Pour ce printemps, les Transversales reprennent entre autres les paroles de l’artiste Jan Fabre ou encore l’échange entre le comédien Mathieu Amalric et le ténor Roberto Alagna à propos de Faust. Les Thématiques sont le deuxième axe : entre un retour sur les révolutions arabes et un dossier sur la psychiatrie française, c’est un trésor que cette retranscription de l’entretien de Jean Lacouture avec Jorge Semprun. Enfin, D’hier à aujourd’hui plonge dans la mémoire intellectuelle de l’Europe, les archives de la radio. Le tout est ponctué de quelques chroniques qui, le temps écoulé, révèlent la perspicacité de leur auteur. Ainsi Raphaël Enthoven revenait le 18 octobre dernier sur l’obsession de « changement » des candidats à la présidentielle : « Tout s’éclaire »!

La radio est un « média chaud » dit-on mais France Culture s’est investie de cette particularité de prendre le temps d’approfondir les sujets quand l’actualité ne le permet pas forcément. Avec cette revue, elle conforte ce parti pris audacieux en donnant la possibilité à ses auditeurs de revenir, de lire et de garder matériellement ce qu’il s’est dit sur les ondes. On regrettera alors la couverture qui, manquant de lisibilité, rappelle trop la frénésie quotidienne d’informations. L’esthétisme des pages intérieures ainsi que la sobriété de la quatrième de couverture - une photographie de Pedro Armestre - est davantage à l’image de cette volonté de prendre le temps de réfléchir.

France Culture Papiers (Bayard éditions), printemps 2012, 192 pages illustrées, 14.90 euros

 
Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs