dimanche 29 mai 2011

Mille francs de récompense : burlesques Misérables

Génial Victor Hugo, homme du siècle qui sait tâter tous les genres et mêler dans ses textes la critique sociale, la parodie politique, la farce de mœurs et le mélodrame familial. Mille francs de récompense est une œuvre peu connue de lui à admirer au théâtre de l'Odéon jusqu'au 5 juin.

Un homme poursuivit par la police trouve à s'échapper par les toits grâce à une jeune fille qui daigne bien lui ouvrir sa porte. Cet homme, Glapieu, est le "Jean Valjean" des Misérables : il ne doit sa carrière de voleur qu'à un petit larcin effectué à "15 ans et treize mois" et depuis cette caractéristique est devenue un substantif que la société a bien du mal à effacer. Mais « Paris est grand, Paris est bon » se persuade Glapieu, même le Paris de la Restauration, cette capitale dont la gelure n'arrête ni les agents de police ni les huissiers, cette capitale où l'on devient substitut du procureur car l'on est neveu de magistrat, où l'on se saoule entre riches au « Tripot sauvage ».
Philosophe clochard et donc, comme il se doit, clown, Gapieu raconte en la commentant une action dont il est l'un des personnages clefs bien que peu de ses comparses ne se soucient de lui : qui voit le mendiant sur le trottoir ? Qui entend le sage, le philosophe, l'auteur même ?

Politique, sociale, cette pièce pudique se drape d'un burlesque de carnaval, et d'un comique de situation digne des comédies familiales de Molière, pour soulever des questions sur la justice sociale et la justice toujours vivaces, et, à travers elles, le problème du rachat : rachat moral, rachat social (un criminel n'est-il pas un récidiviste potentiel ?), rachat économique des endettés - coupables d'avoir été pauvres un jour -, rachat vis à vis de soi-même. etc. Ces questions trop grave ne sont à résoudre que par les seuls hommes, si imparfaits soient-ils, dieu n'étant qu'un vieillard fatigué.

Comme les riches du Tripot sauvage qui font carnaval pour oublier le sérieux de leurs lendemains de notables, le couple Victor Hugo/Laurent Pelly nous sert ici la mise en scène enlevée d'un texte narquois au sujet grave. La vérité ne saurait se parer de trop de componction, autrement elle aurait de quoi décourager l'action... sans compter qu'il n'y a de blanc que la neige recouvrant le pavé parisien... A voir.

Mille francs de récompense, de Victor Hugo, mise en scène Laurent Pelly, théâtre de l'Odéon, Paris 6e, Métro Odéon et RER Luxembourg, jusqu'au 5 juin, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, durée 3h15. Tarif : 6 euros pour les places de dernières minutes (se présenter deux heures avant le spectacle aux caisses) ou de 10 à 32 euros (selon places). Réservez au 01 44 85 40 40 ou ici.

dimanche 22 mai 2011

L’amour dépecé par Strindberg, à la Colline

A l'alchimie, production de l'or à partir de matériaux vulgaires, le dramaturge August Strindberg s'adonna un peu ; mêlée à son flirt avec les doctrines occultistes et la magie, cette expérience lui valut une crise psychique. La démarche de l'écrivain est contraire : il décortique, en une foule d'éléments paradoxaux - voire atroces - ce qui a priori paraissait d'un seul tenant et beau : l'amour. Mademoiselle Julie et Les Créanciers, deux huis-clos atroces et merveilleux mis en scène par Christian Schiaretti à déguster à La Colline jusqu'au 11 juin.


Femme, tentatrice et victime (Mademoiselle Julie)

La nuit de la Saint-Jean, qui marque le solstice d'été, est la plus courte d'année. Dans la cuisine du domaine de comte, le laquais Jean, alors simplement venu déguster son diner, est assailli... Jusqu'à la sonnette du lever, cette nuit si petite s'étirera jusqu'à contenir plus de vies que de coutume : celle de Julie, aristocrate déchue croyant que, n'importe quand, et sans impunité, d'un valet l'on peut demander le baiser ; celle de Jean, toujours tourné vers le brillant, - le jardin aux pommiers, le château et cette belle princesse -, homme peu naïf, surtout depuis qu’il a découvert la mollesse de la chair sous les étoffes des maîtres, mais dont, invariablement, les épaules s'affaissent à leurs grelots ; celle de Karin, enfin, âme puritaine écrasant sous le poids de sa culpabilité la vie des autres avant la sienne.

En cette courte nuit, à cause d'un flirt entre maître et valet, les destinées vont basculer... Qui porte cette responsabilité : la femme éméchée, mutine et capricieuse ? L'homme aussi lâche qu'ambitieux, faible parce qu'il le veut, soumis à la beauté ? Cette puritaine qui n'a jamais su aimer si ce n'est par calcul ? L'alcool ? la folie d'une nuit qui escomptait que les maîtresses danseraient avec leurs valets ? la folie d'une fin de siècle pensant élever les filles comme les garçons ?
Au delà de la misogynie dont Strindberg est coutumier, Mademoiselle Julie souligne l'inégalité séparant hommes et femmes de son temps, la fatalité dans laquelle ces dernières, prisonnières de leurs ventres, nagent, et le silence de la société qui entoure cette noyade...


L'amour, (mauvaise) fée électricité (Les Créanciers)

La peur du dramaturge pour les femmes, tour à tour enfants et mères, primesautières et calculatrices, victimes et criminelles, ensorceleuses et toujours culpabilisatrices, est tout aussi palpable dans Les Créanciers. Adolf, malheureux mari, sculpte un nu : une femme sur les fesses, cuisses ouvertes, totalement offerte. Cette statuette qu'il peut pétrir à loisir et cependant vivante – comme le prouve la résistance de la matière - est son fantasme ; en sublimant son épouse par son art, Adolf a dépassé les contradictions qui constituaient la femme incarnée : fragile corps en même temps qu'esprit machiavélique furtif... sorcière écrasant le pauvre homme par l'ombre de sa haute coiffure, la flamboyance de sa robe et la légèreté de son geste.

L'amour est comme un « courant électrique », écrit Strindberg, alternatif, il oscille sans cesse du positif au négatif jusqu'à user psychiquement les membres du couple, les rendre fragiles et aveugles. C'est donc une mauvaise électricité qui retire à notre moelle toute sa substantifique vitalité en nous jetant loin de la lumière naturelle, mais dont, tels des moustiques attirés par l’ampoule qui les grille, nous recherchons sans cesse la présence.


« L'amour. Une sensation intermittente qui va et vient, qui a des moments de chômage […]

- Tu ne m'aimes plus !

Quel est l’homme qui ne connaît pas ce reproche ? Réponse à faire :

- En ce moment, je ne t’aime pas ; puisque tout m’est indifférent. Dans un instant, je te détesterai peut-être, puisqu’une aversion de tout contact avec un autre m’éloigne de toi, ce qui ne m’empêchera pas de t’aimer dans une demi-heure et pour toujours, avec des interruptions aussi nécessaires que l’alternance du courant électrique. » Voici ce qu’écrit Strindberg dans Théâtre cruel et théâtre mystique. Pour subvenir aux besoins des enfants qu’il eu de ses trois femmes, le dramaturge se devait d’écrire sans relâche : ses œuvres sont donc la résultante de l’ambivalence de l’amour, nécessaire souffrance et hypocrite réconfort, elles racontent la croix de l'homme en même temps qu'elles furent l'or salvateur du père de famille et la gloire du poète, finalement alchimiste en son domaine.


Sur l’élégante scène de Schiaretti, l’amour explose en particules élémentaires pour se reformer tout aussitôt. Le jeu du comédien Wladimir Yordanoff (présent dans les deux pièces) sert ce cynisme avec brio.


A voir.


Mademoiselle Julie et Les Créanciers, mis en scène par Christian Schiaretti, jusqu’au 11 juin à la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e, Métro Gambetta. Tel : 01 44 62 52 52

Mademoiselle Julie : le mardi à 19h30, le jeudi à 20h30, le samedi à 17h30 et le dimanche à 15h30

Les Créanciers : le mercredi à 19h30, le vendredi et le samedi à 20h30, le dimanche à 18h30

Plein tarif : 27 euros, moins de 30 ans et demandeurs d’emploi : 13 euros, plus de 60 ans : 22 euros

samedi 14 mai 2011

Chagall, libre "ange-peintre"

Chagall et la Bible : admirable exposition au musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj, Paris 4e) à voir jusqu’au 5 juin.

Un ange vêtu de rouge sort en volant furtivement d’une église, une palette à la main. L’église pourrait tout aussi bien être une synagogue et l’ange-peintre, c’est Marc Chagall se représentant lui-même. Le mot « ange » vient du terme grec « aggelos » qui signifie messager : dans la tradition biblique, l’ange est un être purement spirituel que Dieu crée pour qu’il soit un intermédiaire entre lui et les hommes : ce sont des anges qui annoncent à Abraham la venue de son fils, c’est un ange qui empêche le patriarche de tuer Isaac, et, dans le songe de Jacob, des anges montent et descendent l’échelle reliant le sol au ciel où, de là-haut, l’Eternel donne au rêveur la terre sur lequel il est couché…

Un peintre inspiré

L’imprégnation biblique est forte chez Chagall (1887-1985), aîné de neuf enfants élevé dans une famille juive très pratiquante. Dès l’origine, la culture hébraïque et yiddish du garçon est teintée d’œcuménisme car son père religieux l’emmène de temps à autre chez un peintre d’icônes orthodoxes. Aussi, lorsqu’en 1930, le galeriste Ambroise Vollard commande à Chagall une centaine d’eaux-fortes pour illustrer la Bible, ce dernier accepte : le Livre le nourrit depuis l’enfance, il imprègne sa surface rétinienne de légendes et de couleurs qui seront sources d'inspiration pour son illustration, son interprétation préfère-t-il à dire, des textes en tableaux vivants. En peintre moderne qui vole au-dessus des courants de son époque non sans les observer, Chagall ne s’encombre pas de précisions dans le dessin et son œuvre, très symbolique, s’éloigne totalement d’un art abstrait pour présenter des scènes sensibles, touchantes : le grand patriarche Abraham est représenté pleurant sa femme Sarah ; dans la scène où David rencontre Bethsabée, le regard espiègle et attendri de l’artiste s’incarne en un palmier qui se penche pour assister à la naissance de l’amour. En effet, Chagall n’illustre pas, il narre et son récit dura plus d'un quart de siècle puisque, du fait de la mort d’Ambroise Vollard, de l’exil et de la guerre, sa Bible ne fut publié qu’en 1956.


Dieu crée l’homme
1931
Gouache sur papier
Nice, Musée national Marc Chagall
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®


Propos universels

Entre le récit de la commande d'Ambroise Vollard et la présentation de la couverture de la Bible de Marc Chagall, l’exposition du Mahj présente aussi ce qui a nourrit, complété et approfondi l'exégèse de l'artiste. Suite à un voyage effectué en 1931 en Palestine en vue de la présidence d'un comité artistique qui préparerait la construction d’un musée d’art judaïque, les peintures de l’artiste natif de Biélorussie alors imprégnées de la vie du shtetl (petite ville ou quartier juif d’Europe de l’est avant la seconde guerre mondiale) accueillent désormais chameaux et airs orientaux. Le nazisme et la guerre inspirent à Chagall de grandes toiles représentant l’Exode juif (L’Exode) où le christ crucifié, symbole du martyr juif, rappelle aux chrétiens le caractère universel du message divin. A partir des années 60, l’artiste, Ange à la palette et Ange-peintre, travaille aux vitraux de la synagogue de l’hôpital Hadassah à Jérusalem, à ceux de l’église réformée Fraumünster de Zurich ou de l’église catholique Saint-Etienne de Mayence, reliant alors par son message universel les hommes et les religions. François Bloespflug, co-commissaire de l'exposition, dépeint Chagall en artiste libre ayant « foi dans le fait que la liberté parle au cœur de ceux qui l’aiment » : voilà pourquoi mariés, animaux ou violonistes peuvent se défier de l’apesanteur comme le peintre du deuxième commandement du décalogue. « Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. » Une instruction de Dieu aux hommes qui aurait pu limiter chez un artiste juif la représentation débridée de toutes ces théophanies. Chagall, lui, en homme libre, s'élève au-delà des principes et des lois écrites, au-delà des traditions russes et hébraïques qui l’imprègnent et font toute la beauté et la joie de son œuvre, pour peindre un message universel.

François Bloespflug note en effet qu’une des scènes à laquelle le peintre s’est beaucoup attachée est celle d’Abraham accueillant à sa table les trois anges : la scène n’est pas si mystique, les anges sont assis à la table comme des humains, leurs ailes, magnifiques, repliées… Nulle transcendance monumentale donc, si ce n’est dans le message d’accueil, d’hospitalité qui imprègne le tableau… Ouvrons les bras et les yeux, laissons-nous surprendre, semble susurrer Chagall. «[C’est] l’air libre de France qui m’étonnait, […] « palette vivante », [qui] te donnait la possibilité de te souvenir de toi-même, de ne pas t’oublier [...] aiguise ta conscience de toi-même », dit-il en se souvenant de son premier voyage à Paris en 1910. Se souvenir donc, se replonger dans les textes pour avoir le regard libre et la conscience aiguisée, voici le message de l’ange Chagall, que le Mahj, autre génial intercesseur, retransmet.


Abraham et les trois Anges
1940-1950
Huile sur toile
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall
®

Chagall et la Bible : jusqu’au 5 juin. Au musée d'art et d'histoire du judaïsme Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du temple, Paris 4e, RER Châtelet, Métro Rambuteau / Hotel de ville, du dim au vend. de 10h à 18h, nocturne le mercredi jusqu’à 21h, Tarif : 7 euros / TR : 4,5 euros. www.mahj.org

A voir au musée de Grenoble jusqu’au 13 juin : Chagall et l’avant-garde russe

A écouter : emission de France culture "les mardis de l'exposition", du 26 avril 2011.

mercredi 4 mai 2011

Les frères Caillebotte : deux hommes au balcon, une œuvre


Gustave et Martial Caillebotte, le peintre et le photographe, sont exposés conjointement au musée Jacquemart-André jusqu’au 11 juillet 2011.

Bien sûr il y a ces grandes toiles avec régates, bien sûr il y a l’Homme au balcon et le triptyque qui fut présenté pour la première fois lors de la 4e exposition de peinture impressionniste de Paris, en 1879, Baigneurs, bords de l’Yerre, Les Périssoires et Pêche à la ligne, tableaux sur lesquels, autour des hommes en loisirs, se mélangent lumière, eau, feuillages et ciel. Cependant, l’intérêt de l’exposition présentée au musée Jacquemart-André –soit pas très loin de là où vécurent les deux frères (au 31 boulevard Haussmann après la mort de leur mère en 1878)- est de faire renvoyer les grandes toiles colorées impressionnistes de Gustave Caillebotte (1848-1894) aux discrètes photographies de Martial (1853-1910). Si dans les premières, les personnages vacants à leurs occupations et à leur solitude détournent le regard (Le Déjeuner, Portraits à la campagne, Canotier au chapeau haute-forme), les clichés du benjamin sont les instantanés d’une vie familiale heureuse où perce une chaude intimité : ses enfants s’y pourlèchent les babines, sa femme se prélasse dans son bain et le chien y est complice du maître. «Ça a été», écrivait Roland Barthes pour expliquer en quoi ce bonheur passé dont nous sommes, par la photographie, les anachroniques témoins, nous touche…*

Jean et Geneviève Caillebotte léchant des cuillères autour
d'une marmite dans le jardin de Montgeron
Tirage photographique, 11,5 x 14 cm, collection particulière
© D.R.

« Ça a été »... ces clichés en noir et blanc sont en effet le précieux témoignage d’une époque, celle d’un Paris qui vient de faire, grâce à Haussmann, «sa toilette de civilisation», d’un Paris doté « d’habitations dignes de l’homme, dans lesquelles la santé descend avec l’air, et la pensée sereine avec la lumière du soleil»… écrivait Théophile Gautier. La fin de siècle célèbre aussi l’arrivée du téléphone (commercialisé en France dès 1879) et la présence de l’objet, comme de l’eau courante, dans l’appartement de Martial, illustre le haut niveau de vie des deux frères, légataires de leur père. Sans cesse dans leurs œuvres, les signes d’un monde en accélération (téléphone, structures métalliques des ponts en construction, lignes de chemins de fer),côtoient la douceur bourgeoise d’une fin de siècle attachée aux régates et aux pêches dans la Seine, aux parties de campagnes dans de belles propriétés…


Un Balcon, boulevard Haussmann
1880, huile sur toile, 69 x 62 cm, collection particulière
Courtesy Comité Caillebotte, Paris

Outre les sujets, les techniques de cadrage sont chez les artistes parfois bien similaires : Gustave Caillebotte peut, à la manière des photographes, utiliser la découpe des objets de premiers plans pour circonscrire sa scène, voire se passer de sujet phare afin de ne garder qu’un cadre et une lumière. Certes les outils différent, de même que cette manière de saisir les hommes (grave chez Gustave, plus humoristique chez Martial), mais au final, les deux œuvres paraissent s’entrelacer pour ne former qu’une.

* in La Chambre claire, Note sur la photographie, Barthes, 1980.


« Dans l’intimité des frères Caillebotte », Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann 75008 Paris, métro Miromesnil,/Saint-Philippe du Roule
Tous les jours de 10h à 18h, les lundis soirs jusqu'à 21h.
Tarifs : 10 euros, 8,50 euros pour les étudiants.

Pour réserver en ligne, cliquez ici.

dimanche 1 mai 2011

A Wilko, l’ombre des demoiselles en fleurs

Chef d’œuvre du grand écrivain polonais Jarosław Iwaszkiewicz (1894-1980), Les Demoiselles de Wilko adapté au théâtre par le metteur en scène letton Alvis Hermanis est joué par des comédiens italiens, dans le cadre d’un projet théâtral européen (Prospero). Une poétique chorégraphie sur le temps présentée à Chaillot jusqu'au 29 avril 2011.

Il y avait celle avec qui Wictor faisait de longues promenades à cheval, Jola, celle dont il était le précepteur, Zosia, la demoiselle des discussions métaphysiques, Kazia, l’adolescente mince et fière qu’il avait aperçue nue se coiffant dans une clairière, Fela, la petite benjamine, Tunia, et l’aînée, Julcia, dont le souvenir de la douceur de la peau caressée aveuglément une nuit d’errance l’avait poursuivi toutes ces quinze années.


Wictor et sa mémoire sensorielle trop lourde revinrent dans le manoir des sœurs de Wilko pour se reposer, prêts à reprendre le cours de cet été lumineux comme s’ils n’avaient toujours que vingt-cinq ans. L’homme escomptait un peu que tout ce qui n’avait pas été accompli dans la tiédeur des nuits d’autrefois le serait au cours de ce deuxième séjour : l’amour, le dialogue, l’ancrage dans le temps. Il croyait inconsciemment pouvoir le faire en dépit de la mort de Fela, des kilos et des maternités des aînées, de ses quarante années, parce les sœurs se différenciaient difficilement les unes des autres et que c’était ce tout qui, se mouvant en une danse folle et excitante, agrémentait la vacuité des journées à Wilko.


Crédit photo : Marcello Norberth.


C’est cette danse que Alvis Hermanis met parfaitement en scène, faisant des sœurs des figures fugitives en cage piégées dans la mémoire de Wictor ; elles s’en échappent par des figures érotiques, prouvant que les souvenirs sont plus chargés et plus vrais que la pâle réalité laquelle, si elle peut prendre consistance une chaude après-midi entre les roseaux bruissants, s’évapore aussitôt au-dessus de l’étang.


La langue italienne que parlent les comédiens, la gravité de la voix de Sergio Romano (Wictor) et l’esthétisme des scènes de Alvis Hermanis qui sont comme des instantanées que le personnage aurait gardé en tête font de cette pièce un poème où les ombres accrochent - en la traversant- la lumière. Ombre parmi les ombres, le livre Les demoiselles de Wilko nest commercialisé. Appel à éditeur !


Du 4 au 6 mai, les spectateurs de Chaillot pourront de nouveau se délecter du talent de Alvis Hermanis, avec The Sound of Silence, une pièce sur les années 60.

Théâtre de Chaillot, Métro Trocadéro, 20h, durée 3h15 avec entracte, Tarif : 24 euros, 13 euros pour les moins de 25 ans. Tél.: 01 53 65 30 00

Une analyse des Demoiselles de Wilko au regard de l'oeuvre de Proust (de Anna Saignes, université de Grenoble) : lire ici.


 
Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs