jeudi 24 novembre 2011

Caubère dit Benedetto : à voir urgemment

Lui est l'homme qui danse sur scène, il est Molière, le Joseph de Pagnol ou Ferdinand Faure, il est Caubère. L'autre, son frère, le visage gravé derrière, fut créateur officieux du festival d'Avignon « off » et directeur du théâtre des Carmes dans cette ville : André Benedetto (1934-2009). Ces deux « acteurs méditerranéens » Caubère sur scène, et Benedetto dans ses textes, rendent hommage à d'autres géants des mots -criés, déclamés ou écrits en lettres de sang- : Vilar, Artaud, Gilles Sandier... Urgent Crier ! est à la maison de la poésie jusqu'au 31 décembre...

Urgent Crier ! (Caubère joue Benedetto), est une pièce hors de notre temps, à voir pourtant urgemment. L'ambiance des années 60 qu'elle recréée en images, en musique et en mots, époque de Woodstock, des Doors, des beatniks, de révolutions sexuelles et politiques, semble si lointaine, ancrée seulement dans quelques images de l'Ina (Institut national de l'audiovisuel). Ouvrant la pièce, la voix de Jean Vilar, acteur-fondateur du festival d'Avignon en 1947, et ses propos -« Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin... Le théâtre est donc, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l'eau, l'électricité. »- nourrissent ce côté suranné. Et qui se souvient des textes de Benedetto (près de 200 pièces) pas forcément des chefs-d'œuvres, souvent mal accueillis par la presse parisienne, mais toujours vibrants et passionnés ? Ou de Gilles Sandier (1924-1984), animateur de radio (Le Masque et la Plume) critique et défenseur d'un théâtre engagé politiquement se baladant dans un Avignon chargé d'odeurs des figuiers ? Qui se soucie encore de la folie d'Antonin Artaud (si ce n'est peut-être Caubère, et cette Maison de la poésie) ?

Attention, pas de nostalgie sur le plateau : la confusion régna pendant ces années. Il y eut la guerre de Vietnam, (et Napalm de Benedetto) ou 1968 à Avignon. Cette année là, le off était entré dans le in à la suite de l'interdiction par arrêté préfectoral de La Paillasse aux seins nus (Gérard Gelas). Maurice Béjart avait alors invité la troupe bâillonnée à monter sur la scène du Palais des Papes tandis Benedetto et la jeunesse faisaient rimer le nom de Vilar avec celui d'un dictateur, « Salazar » (lui reprochant notamment d'avoir trop institutionnalisé le festival)...


Du travail de l'acteur, ce passeur

Sur la scène, qui parle de Caubère, Benedetto, Vilar, Artaud..., on ne sait pas toujours exactement (le comédien improvise) mais qu'importe, ensemble ces "acteurs-sud" rendent éloge à l'artisan-artiste : celui qui, l'esprit expurgé de la mauvaise foi et des chimères, va chercher, en Artaud halluciné, sa vérité dans ses viscères pour en faire des poèmes, celui qui crée un festival d'envergure international, ou ces techniciens grâce auxquels, avec quelques spots et deux ou trois fiches, une ambiance est restituée.

C'est ainsi que, sans rien ou presque (à peine une guitare électrique et une toile de projection vidéo), par son intelligence, son humour, ses jeux de mots, par l'amitié qu'il a porté à ses grands frères en art, par son travail, Caubère nous transporte en Méditerranée, au carrefour des quatre horizons où lui-même, le dos adossé à la croix, est voué à nous montrer le Nord... En 1969 à Aix en Provence, le futur grand comédien découvrait un metteur en scène engagé, militant, qui adaptait Eschyle pour quelques blousons noirs. C'était Benedetto. Caubère fut cloué... Par la suite, son ancrage au carrefour des horizons s'est renforcé, il a été formé par une autre comédienne militante et du Soleil, Mnouchkine, à qui il a rendu hommage dans le Roman d'un acteur, replongeant cette fois le public dans les années 70.

En écrivant sur l'artiste qui convoque le monde à ses pieds, Benedetto décrivait sans le savoir Caubère. Urgent à voir !

Caubère joue Benedetto, Urgent crier !, jusqu'au 31 décembre à la Maison de la poésie, 157 rue Saint-Martin, Paris 3e, 01 44 54 53 00 www.maisondelapoesieparis.com Métro Rambuteau.

Tarifs : 20/15/10 euros.


tarifs : 20/15/10 euros.

mercredi 23 novembre 2011

Les Concerts de Brodsky : poésie à Chaillot

Le poète d’origine russe Joseph Brodsky, Prix Nobel de littérature (1987), ressuscite sur la scène du Théâtre national de Chaillot, à travers la voix et le corps du comédien belge Dirk Roofthooft et les notes du pianiste-compositeur Kris Defoort.
Lire la critique sur Les Trois Coups, le journal quotidien du spectacle vivant.

(Spectacle à voir à Chaillot (Paris 16e) jusqu'au 26 novembre).

Pour en savoir plus sur Joseph Brodsky : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/brodsky/brodsky2.html et lire cette page du Nouvel Observateur.

dimanche 20 novembre 2011

« Le poète de Gaza » de Yishaï Sarid

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

« Le poète de Gaza » est le premier roman traduit en français de Yishaï Sarid, fils du député israélien Yossi Sarid, fondateur du parti laïc et socialiste Meretz. Il y est question de la légitimité de la violence en politique face au terrorisme : que fait-on lorsqu’on a face à soi un homme qu’il faut faire parler avant qu’une bombe explose ? Jusqu’à quand celui qui nous fait face est encore un homme ?

Au-delà d’une question philosophique, il est question dans ce roman de la trajectoire d'un homme, agent des services secrets israéliens spécialisé dans la prévention des attentats. Une telle mission ne souffre pas un quelconque doute quant au bien-fondé de son action. Le cheminement de cet agent sera tout aussi précieux qu’un doute philosophique.

Mis sur la touche car ces interrogatoires étaient allés trop loin, on l’investit d’une mission normalement sans risque pour lui. C’est un travail qui l’éloigne des sous-sols des services secrets pour le ramener à la lumière du jour de Tel-Aviv, à la complexité des rapports humains. Il fait ainsi la rencontre de l’Israélienne Dafna, ancienne étoile montante de la littérature et du Palestinien Hani, mourant et exfiltré de Gaza par les services secrets pour des raisons qu’il ignore.

Ces rencontres faites de mots et de littérature, et même si cela n’est qu’une couverture pour une opération spéciale, c’est cela qui fera vaciller la certitude du narrateur. C’est ce que dit justement l’auteur : « retourner à la parole, retourner à la négociation, réfréner la violence ».

"Le poète de Gaza", Yishaï Sarid, Actes Sud, collection actes noirs

mardi 15 novembre 2011

« Le cahier d’Aziz » de Chowra Makaremi

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Chowra Makaremi est une jeune anthropologue d'orugine iranienne qui a grandi en France. Il y a quelques années de cela, elle découvre les mémoires que son grand-père avait rédigées pour elle et son frère. Le cachier retrace la période suivant la révolution iranienne de 1979, la naissance de la République islamique et toutes les méthodes de terreur dont elle usa pour imposer son pouvoir face à la liberté à laquelle aspirait alors la société iranienne.

Le parti des mojahedins du peuple avait été particulièrement actif dans la révolution et le renversement de la dictature du Shah. Les membres de ce mouvement, parmi lesquels les deux filles d’Aziz Zarei, furent ensuite les ennemis déclarés de la dictature de Khomeyni, on les soupçonne désormais de haute trahison envers le pouvoir et la religion. Méthodiquement éliminées dès 1981, les victimes se comptent par dizaines de milliers, longuement détenues et torturées avant les exécutions de masse ou vivant encore dans les geôles iraniennes.

Au-delà de ces chiffres qui ne font pas palper la réalité, « Le cahier d’Aziz » est une vision intérieure : le père des deux jeunes femmes vit alors dans le souci - que ce mot est faible - permanent de la souffrance et de la mort de ses enfants. Et nous ne pouvons que constater, un peu effarés, l’immense piété de tous : les jeunes femmes endurent la douleur physique et morale sans qu’un instant leur intégrité puisse être atteinte ; la famille, leur père en particulier, vit au gré de décisions d’une justice qui ne mérite plus son nom. Peut-être, l’invivable douleur de la souffrance de ses propres enfants rend-elle nécessaire, pour échapper à la folie, la distance. Alors, la religion a cet indéfectible pouvoir de donner du sens à ce qui, pour l’humain, n’en a définitivement pas. Car c’est à peine si l’on croit aux tortures racontées tant la cruauté et la violence infligées aux deux jeunes femmes, pieuses au plus haut point, sont inimaginables.

En plus des mémoires du grand-père, les cahiers d’Aziz reprennent les lettres des deux jeunes femmes à leur famille. C’est là tout le matériau que la jeune anthropologue, Chowra Makaremi, nous donne, pour mettre des visages et des parcours individuels sur un événement historique. Cela semble déjà loin et pourtant, quelques dizaines d’années plus tard, les responsables de cette terreur sont encore au pouvoir en Iran.

« Le cahier d’Aziz », Chowra Makaremi, Gallimard, collection Témoins.

lundi 7 novembre 2011

Polisse : portraits d'agents

"Sarkozy m'a tuer", "Polisse"... dans les titres, la mode est à la faute d'orthographe. Une créativité dans la langue qui peut avoir comme victimes les futurs lecteurs et écrivaillons. C'est d'eux, des enfants-victimes, que parle "Polisse", chronique (fictive) de Maïwenn sur la brigade des mineurs de Paris. Histoires de mœurs et du service public qui les traite.

Arrogant : «ce n'est pas un viol, ma fille était consentante» ; faussement naïf : «je ne suis pas polygame, mais bigame » ; déchiré : « j'aime cet enfant, je ne voulais pas lui faire du mal » ; patriarche : «je suis son père, c'est moi qui décide [de l'envoyer au pays se marier avec son cousin]»... protectrice : « prenez mon enfant, je ne veux pas qu'il devienne comme moi, sans toit»... pudique : « il.... ».

Voilà pour les majeurs. Et, du côté des mineurs : attaché : «mais il est gentil, je ne veux pas qu'il lui arrive de mal», rationnelle : « j'ai sucé car je voulais récupérer son portable […] c'était un beau portable », sûre d'elle-même : «attendez aujourd'hui, on est pas à l'époque de Louis XIV, la fellation c'est normal»...

En face de cette myriade de témoins, victimes et agresseurs présumés, des agents de police qui, à longueur de journée, entre opérations coups de poings et séances de tir, collectionnent des témoignages de familles cassées pour tenter de retranscrire « la vérité »...

Comment réagit-on quand, sans être psy, psychologue ou assistante sociale, on arrache un enfant à sa mère ? Ou lorsque l'on doit obliger une violée à nommer son avorton ? Comment, les oreilles farcies d'histoires de pédophiles, laisse-t-on sa fille le matin ? Que raconte-on à sa femme au dîner ? Plus que les affaires présentées à un rythme énergique -maltraitance, mamans secouant leurs bébés, attouchements sur descendants, fugues, détresses sociales-, ce sont les réactions de l'équipe de police qui intéressent la photographe-réalisatrice : elle pointe son objectif sur les brigadiers décompressant en boîte, déversant leur rage les uns sur les autres ou pleurer, impuissants...

Le directeur de la PJ parisienne, Christian Flaesch, le dit dans le Figaro, Polisse est crédible et fidèle au quotidien des policiers. Heureux avis, heureux aveu pour un film où la guerre entre services est bien esquissée (la brigade des mineurs se situe dans le bas de la hiérarchie) de même que la compromission des chefs et la difficulté des brigadiers – devant tant d'histoires sordides- à considérer toutes les victimes sérieusement (et patiemment). Mais c'est justement cela qui participe à portraiturer des policiers touchants, et emplis de leur mission : protéger des enfants.

On regrettera toutefois que cette trop grande attention portée aux policiers éclipse parfois la question des victimes et amoindrisse le propos, quitte à le rendre un peu niais. Ainsi cet amour entre Melissa (Maïwenn) et Denis (Joeystarr), sans intérêt aucun (et d'ailleurs trop soudainement amené) si ce n'est celui de placer au premier plan la réalisatrice et son fiancé d'alors (les deux se sont séparés après le film). D'aucuns prétendront que le spectateur avait besoin, entre tant d'atrocités, de pauses. Non, ces bouffées d'air sont inutiles puisque, considérées du point de vue du policier nerveux, fatigué, surbooké, ou renvoyé à sa propre intimité, les dépositions peuvent tourner à la tragi-comédie. Et c'est ce rire, à la fois amoral et salvateur (puisqu'il soulage le travailleur social tout en se moquant de la victime ou de l'agresseur présumé) qui fait la force de Maïwenn. Il se suffisait donc à lui-même.

Polisse, une fiction de Maïwenn, avec Karin Viard, Marina Foïs, Frédéric Pierrot, Nicolas Duvauchelle, Naidra Ayadi, 2h07. Sortie en salle : le 19 octobre 2011.



 
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