Le mode de vie, l’inventivité, la personnalité de Boris Vian en font un perssnnage hors du commun. Mais ce qu’il y a de constant chez lui, c’est la musique : sa « trompinette », ses chansons, ses chroniques de jazz, les postes qu’il a occupés vers la fin de sa vie comme directeur artistique dans des maisons de disque. C’est autour de cela que Nicole Bertolt et François Roulman ont construit « Le swing et le verbe », sûrement les deux mots qu’il faudrait pour résumer ce génie touche-à-tout. Extraits.
Madame Vian baptise ainsi son fils, né en 1920, en pensant à Boris Godounov, l’opéra de Moussorgski. Elle est mélomane et musicienne (harpe, piano, chant). On a des goûts classiques chez les Vian mais on apprécie aussi les nouveaux : Ravel, Debussy, Satie. Boris Vian fait la connaissance du jazz très tôt, il achète sa première trompette à l’âge de 14 ans et adhère au Hot Club de France, « l'association des amateurs de Jazz authentique », en 1937. En 1939, il assiste au deuxième concert en France de Duke Ellington et c’est le déclic : Vian en fera l’éloge toute sa vie.
Quand la guerre éclate, Boris Vian n’est pas mobilisé car il a un souffle au cœur, il se résout alors à une vie « procivile », sa façon de dire « antimilitariste ». Il se marie et a deux enfants et décroche son premier emploi comme gratte-papier à l’association française de normalisation.
Les dimanches sont occupés par de grandes surprises-parties dans la maison familiale de Ville-d’Avray, loin de l’Occupation, le swing est à l’honneur : à l’époque, le jazz est fait pour danser, s’amuser, oublier les soucis quotidiens. Boris Vian y fait la rencontre du clarinettiste Claude Abadie avec qui il fondera le groupe Abadie-Vian qui fera parler de lui sur la scène internationale du jazz (en novembre 1945, ils décrochent la première place au Tournoi international de jazz amateur de Bruxelles).
Durant l’Occupation, Vian se met à écrire de manière assidue, des romans notamment où le jazz a toujours une place prépondérante. On y retrouve des amis musiciens sous leur vrai nom ou transformé de manière ludique. A partir de 1947, il tient aussi une revue de presse dans la revue Jazz Hot, il ne cessera plus alors d’écrire sur le jazz jusqu’à la fin de sa vie. L’après-guerre voit affluer un grand nombre de jazzmen américains venus goûter en France la douceur de vivre et l’absence relative de préjugés raciaux : Miles Davis, Sidney Bechet, Don Byas, Charlie Parker.
En 1950, Boris Vian abandonne la trompette sur les conseils de son médecin, pour ne pas fatiguer son cœur déjà fragile. Jusqu’en 1952, c’est en tant qu’écrivain qu’il essaye de s’affirmer : L’Ecume des jours, reconnu comme son chef-d’œuvre passe à peu près inaperçu tandis qu’au début de 1947, on parle abondamment d’un certain Vernon Sullivan, l’auteur du sulfureux J’irai cracher sur vos tombes. Le patronyme fut inventé par Boris Vian, à un moment où les thrillers américains connaissent un grand succès en France. L'invention de Vernon Sullivan arrive quand Vian se sent très déçu d'avoir manqué le prix d ela Pléiade et espère obtenir un réel profit de la publication d'un roman noir.
La décennie 50 est placé sous le signe de la musique : il rencontre Ursula Kübler, qu’il épouse en 1954, elle est danseuse aux Ballets Rolland Petit, il va écrire quelques cinq cents chansons, une demi-douzaine d’opéras, une vingtaine de spectacles de cabarets. En 1955, il devient conseiller artistique chez Philips et chante sur scène plusieurs de ses compositions, dont Le Déserteur qui fera couler beaucoup d’encre ; en 1958, Boris Vian publie un manuel de la chanson destiné aux amateurs ainsi qu’à ceux et à celles qui veulent s’y lancer, En avant la zizique est un petit livre drôle dans lequel Boris Vian fait un bilan très pertinent de la chanson française. La dominante de l’ouvrage est l’humour.
La vie entière de Boris Vian est tournée vers la musique ; son œuvre écrite en offre de multiples échos. Par exemple, Gilles Pestureau qualifie L’Ecume des jours de roman ellingtonien : l’héroïne Chloé est née du morceau éponyme de Duke Ellington, le roman démarre sur un tempo boogie-woogie, musique rapide et légère, pour terminer sur des rythmes de blues, scandant le déclin inexorable de la maison de Colin et Chloé. Il y a des références directes aux morceaux de jazz, notamment par des noms de rue. L’invention musicale la plus emblématique du roman est sans aucun doute le « pianocktail », instrument hybride dérivé du piano qui permet de jouer de la musique de jazz tout ne savourant de savoureux cocktails adaptés au tempo du morceau.
Un peu plus de quatre cents chansons de sa plume et un peu moins d’une centaine d’adaptations de chansons étrangères. Nombre d’entre elles ont été écrites en collaboration, notamment avec Henri Salvador, qui contribueront à introduire le rock en France. Il aborde tous les styles : berceuse, blues, calypso, java, polka, rock, tango, valse ; Vian n’en chante que très peu lui-même. Même s’il est terrifié à l’idée de monter sur scène, il répond positivement à l’invitation de Jacques Canetti, alors directeur des Trois Baudets en 1955. Cette même année, il enregistre les chansons de son tour de chant sous le titre désormais légendaire de Chansons possibles et impossibles, elles sont toutes devenues de véritables chefs-d’œuvre : « Fais-moi mal Johnny », « J’suis snob », « La java des bombes atomiques », « Complainte du progrès », « On n’est pas là pour se faire engueuler »…
Dès le milieu des années 50, alors que le romancier semble définitivement enterré, c’est sans doute la chanson qui occupe le plus Boris Vian. Vian réfute non sans humour dans son introduction à En avant la zizique une vision de la chanson comme art mineur : « La chanson, disons-le tout de suite, n’a rien d’un genre mineur. Le mineur ne chante pas en travaillant, et Walt Disney l’a bien compris, qui fait siffler ses nains. Le mineur souffle en travaillant pour éviter que le charbon ne lui entre dans la bouche. ». A n’en pas douter, le cadre restreint de la chanson convient à Boris Vian.
Le goût de Vian d’explorer toutes les formes musicales, la primauté qu’il donne à l’évocation musicale ont sûrement amené Boris Vian à écrire des livrets d’opéra, cela arrive alors que quelques-uns de ses manuscrits de roman sont refusés par Gallimard. Sa première incursion dans le domaine sera aussi son succès le plus retentissant : Le Chevalier de neige créé en août 1953 à Caen. C’est aussi sa rencontre avec Ursula Kübler qui le mène à l’opéra et lui fait découvrir le monde de la danse et de du drame mis en musique : il va désormais beaucoup se consacrer au monde du spectacle. L’opéra représente aux yeux de Boris Vian une forme de spectacle total qui ne hiérarchise pas ses composantes. Malgré son goût avoué pour le cinéma, c’est bien plus dans l’opéra qu’il trouve ses aspirations : « La musique a un pouvoir dépaysant, presque plus fort encore que le réalisme de l’image cinéma ».
En 1920, apparaissent à la fois le surréalisme et le jazz, deux choses que tout oppose. Les surréalistes ont toujours exécré la musique et le jazz en particulier. A l’opposé, Vian est conscient des valeurs culturelles et historiques du jazz qu’il ne dissocie jamais de la condition des Noirs américains, il y a là une prise de position politique affirmée. Vian a eu la même attitude envers la science-fiction et la bande-dessinée, deux genres marginalisés à leurs débuts mais considérés aujourd’hui comme pleinement littéraires. A partir de 1956, c’est en homme de terrain qu’il s’affirme dans son rôle de propagateur de la « bonne » musique : il s’occupe des disques de jazz en 1957 chez Philips puis il travaille chez Fontana : c’est Vian qui convainc Miles Davis, qui jouait à Paris à ce moment-là de faire la musique d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle.
Vian s’est toujours intéressé à la musique comme expression artistique mais aussi à sa composition, à sa création, et à tout ce qu’elle peut apporter de nouveau dans le monde des arts, sans dogmatisme. Il a aimé le jazz comme musique emblématique de la liberté. Henri Salvador avait confié à Noël Arnaud : « Il était amoureux du jazz, il ne vivait que par le jazz, il entendait jazz, il s’exprimait en jazz. »
"Boris Vian, le swing et le verbe" Nicole Bertolt, François Roulmann, Textuel, 49€
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