mardi 6 janvier 2009

« Repartir à zéro » au musée des Beaux Arts de Lyon

« Il me fallait repartir à zéro, comme si la peinture n’avait jamais existé », ce qui est une autre manière de dire, précise Barnett Newman, que « la peinture était morte ». L’artiste new yorkais évoque ainsi, en 1970, la situation de « crise morale » dans laquelle le monde –et l’artiste- se trouvait après la Seconde guerre mondiale, en 1945. “Repartir à zéro” est aussi en ce moment le titre d’une riche exposition qui se tient au Musée des Beaux Arts de Lyon jusqu’au 2 février.


B. Newmann, Untitled, 1946.

Dans les années 1930, Barnett Newman avait peint des œuvres expressionnistes qu’il avait par la suite ensuite détruites. Il s’était fait critique d’art. « Repartir à zéro » à la fin de la guerre signifie donc pour lui, en premier lieu, reprendre le pinceau, créer de nouveau mais en s’échappant des courants jusqu’alors existants : des artistes réalistes, ceux du « folklore » qui représentaient des scènes « rustiques » ; des « puristes cubistes » dont l’art n’a aucun lien avec la réalité ; et, enfin, plus méritants et moins futiles mais tout aussi voués à l’échec, des « surréalistes qui s’épuisaient en à créer un monde imaginaire ». Il n’y avait donc « Rien dans la peinture existante qui puisse servir » à Newman… Ou presque. S’inspirant des surréalistes et de l’art indien, le new yorkais va retracer sur ses toiles des formes géométriques abstraites, noire et blanches mais pas moins vivantes, sphères blanches qui, comme des trous noirs, semblent aspirer le spectateur.


La démarche de Newman, qui par sa citation et ses toiles ouvre et ferme, ponctue même, l’exposition, fut celle de nombreux plasticiens en 1945. Qu’ils viennent d’Outre Atlantique ou du Vieux Monde, sculptent ou peignent, aient les traits précis des bonhommes d’Henri Michaux, ou, dansent au-dessus de leurs toiles comme Jackson Pollock, tous choisissent l’abstraction pour exprimer l’horreur de la guerre, le chaos qui s’en suit ou la nécessité de faire table rase du passé.
La première salle de l’exposition reprend des tableaux qui, de par leurs titres, font directement figures de témoignages : Le Mort de Dachau d’Olivier Debré ou l’Otage de Jean Fautrier (qui lui aussi, avant la guerre, peignait des toiles expressionnistes figuratives).



Otage, J. Fautrier, vers 1943

Le témoignage ne suffit pas, les artistes se doivent de « saper la culture » à l’origine de la guerre, du désastre : tel fut le mot d’ordre du groupe Cobra, constitué en 1948. Cobra, ou Copenhague, Bruxelles, Amsterdam, trois capitales de l’art occidental, trois capitales qui devront renier, ou plutôt dépasser ce qu’elles ont engendré pour « expérimenter » une peinture nouvelle, inspirée du surréalisme (fervent ferment d’un monde nouveau) et des arts premiers. Constant peint en 1949 L’animal sorcier, Asger Jorn ce coloré Untitled :




En France le peintre Jean Dubuffet s’inspire aussi des arts premiers pour les détourner, les souiller presque, de références occidentales. Sa Venus du trottoir rappelle des figures préhistoriques comme la Vénus de Willendorf.



Vénus du trottoir, J. Dubuffet, 1946

Elle fait écho dans la même salle à la Venus blanche de Roger Bissière (1946). Striée de blanc et de rouge, la figure féminine qui semble être prise en cage, n’a, accompagnée d’un enfant, plus rien d’une Vénus… Un an plus tard, le grand public découvre les grottes de Lascaux. Nouveauté qui tombe à point nommé : Hans Hofmann s’inspire des peintures murales pour La troisième main (1947)



Vénus blanche, Roger Bissière, 1946


Les plasticiens « repartent à zéro » grâce aux primitifs donc, ou en adoptant de nouvelles techniques artistiques. L’américain Jackson Pollock revoit non seulement le sujet mais aussi la manière de créer. La peinture est chez lui tant un produit fini que le processus de création : état de transe dans lequel se met l’artiste après de longues heures de réflexion, comme un chamane.

« Le peintre moderne n’est inspiré par rien de visible, mais seulement par ce qu’il n’a pas encore vu. Les choses l’ont abandonné, il commence avec le rien » disait Harold Rosenberg. Avec son Concept spatial (1949), Lucio Fontana perce violemment la toile, comme si ce faisant, il lui otait de son contenu… L’œuvre n’est plus qu’ensemble de vides ; les trous aspirent évident, champ de pores qui permettent à l’œuvre de respirer.


De cette apologie du rien, de cette philosophie de la table rase, de cet hymne à l’abstraction, les commissaires ont fait une exposition riche, complète et pédagogique. Organisant en thèmes simples une peinture qui ne souffre les classifications, Eric Chassey et Sylvie Ramond n’ont pas lésiné sur les outils pour inscrire les œuvres dans leurs contextes : chronologies, films, panneaux explicatifs… (et ce dans la réalité comme dans le monde virtuel; cf le site internet).


« 1945-1949 Repartir de zéro, comme si la peinture n’avait jamais existé », Musée des Beaux arts de Lyon, jusqu’au 2 février, 04 72 10 17 40. ts les jours sauf mardi et jours feriés, de 10h à 18h (vendredi 10h30). expo : 8 eurosou 6 euros, 20 place des Terreaux, Lyon.

Article paru dans La Boite à sorties le 6 janvier 2009

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