Dans son dernier roman, Nathalie Léger questionne la beauté de la Castiglione, fascinée par cette comtesse du 19ème siècle dont la beauté est à la fois totale et seule à la constituer. Telle un monstre, on la contemple comme quelque chose d’anormal et qui suscite la crainte. Face à cette seule beauté, l’orgueil et l’extrême satisfaction que cela lui donne, la narratrice constate « un effondrement intérieur, la désolation » de son personnage, elle n’en devient que plus un objet de curiosité. Le seul souci de la Castiglione est cette image d’elle-même et sa vie est entièrement tournée vers cela, en tout cas c’est ce que la narratrice veut nous démontrer bien que les biographes de la comtesse ne se consacrent que très peu à cet aspect de sa vie. Ainsi à partir de « ce corps surexposé, cet entêtement à ne pas se satisfaire de soi, cette obstination à toujours revenir à soi, à cette petite portion de visage », la comtesse s’installe ainsi dans une sorte de mégalomanie, ne cessant jamais de s’exposer. La Castiglione n’est donc que sa beauté : « Elle n’a pas de secret, elle est tout entière dans sa peau. » (p.107).
D’autre part, l’admiration que suscite sa beauté exclut tout autre sentiment de sympathie, seule la haine est évoquée. Celle des autres femmes qui se réjouisse de la neurasthénie de la comtesse, la considérant comme un lourd tribut payé à sa beauté. Il n’y a pas que la Castiglione pour évoquer cette haine jalouse des femmes : en 2005, l’actrice Isabelle Huppert a été photographiée par Roni Horn, elle condense sur chaque photo l’identité d’un de ses grands rôles, sans les accessoires, dans l’intensité du travail d’actrice. L’actrice ose se montrer sans apprêt, mais c’est un « excès de sa sincérité, un comble de l’artifice et de la séduction », elle expose ce que toutes les autres femmes veulent dissimuler, « elle consent à son imperfection ». Une beauté, donc, à l’origine de tant de haine, de celle de la Castiglione aussi : « elle les hait de ne pouvoir faire autrement que de les aimer (…) d’être démunis devant sa haine » (p.63).
Exposer son corps est donc le thème du roman. Dans les quelques cinq cents photographies de la Castiglione, celle-ci se déguise, s’apprête. La Castiglione expose l’évidence de la féminité de son corps, l’assurance qu’elle a de son corps. Mais tout comme, Isabelle Huppert, dans le reportage photographique de Roni Horn, elle est l’unique sujet de ces images ; elle ne considère même pas Pierson, son photographe, comme un artiste mais comme l’unique main d’œuvre de cette longue exposition : les photos montrent cette « obstination trouble, un désarroi, une cruauté, une solitude exposée sous le regard d’un homme » (p.140). Se déguiser revient aussi peut-être à se cacher tout comme Marilyn Monroe qui, découvrant son corps, se cache le visage, afin de cacher chez la Castiglione « ce mouvement incessant des spectres en elle » (p.146)
Il est aussi question de ces photos de famille : Nathalie Léger se souvient des photos qui étaient déchirées pour bannir l’homme de la famille, de celle où elle voit l’ombre portée de sa grand-mère sur sa propre mère… C’est nous dire l’importance de ces images et les sentiments qu’elles portent : « Pourquoi conserve-t-on des photographies ? Ce n’est pas la vanité, ni le sentiment, ni l’amour – la haine peut-être… » (p.53).
Tournant autour de l’exposition que prépare la narratrice pour la direction du Patrimoine et de l’exposition de la Castiglione, Nathalie Léger tourne autour de son sujet, il est aussi beaucoup question de cela : « Le sujet est simplement le nom de ce qui ne veut pas être dit ». Comme Truman Capote avec De sang froid, de la Castiglione avec elle-même, de la narratrice avec cette même comtesse. Pourquoi sont-ils fascinés ? La narratrice est captée par la méchanceté, la dureté du visage de la Castiglione. Comme Truman Capote, dont le vrai sujet est la haine qu’il a pour sa propre empathie envers deux tueurs, la narratrice semble détester cette femme. Elle le reconnaît, c’est le sujet qui choisit son auteur, rien ne lui est familier sauf peut-être cette méchanceté du visage, cette sorte d’attraction/répulsion qu’elle a pour cette femme. Tout comme Truman Capote qui n’arrive pas à finaliser son sujet car il lui manque le récit du meurtre, la narratrice va venir à bout de la Castiglione en tombant sur la photo où elle est agenouillée devant la dépouille de son chien : « c’est la défaite et l’abandon qui permettent de comprendre » (p.90). Finalement L’Exposition est peut-être le récit de la recherche de la photographie qui lui permettra de comprendre son sujet : sa fascination pour la Castiglione.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire