lundi 15 décembre 2008

Dominique Blanc incarne La Douleur de M. Duras

Après l'Amant au Théâtre de la Colline à la rentrée, le Théâtre des Amandiers (Nanterre) présente, avec Dominique Blanc La Douleur, récit autobiographique de Marguerite Duras sur l’attente, au printemps 1945, de son mari déporté. Standing ovation pour un spectacle en tournée dans toute la France (passage à Bâle et au Luxembourg).

Voici bien ¼ d’heure que le public s’installe, se prélasse et papote, et elle, elle est là, seule sur cette immense scène, la tête couchée sur la table, tournant le dos à la salle… Elle attend… Et quand elle parle, elle n’a l’air de rien, vraiment : sa voix monocorde, son gilet d’un vilain violet, son visage rendu blafard par l’éclairage, et ce sac sans fond qu’elle déballe, déballe et déballe sur la table comme on déverse son âme dans un journal. Son journal justement, celui dans lequel elle avait conté la guerre, elle vient de le retrouver, mais affirme n’avoir « aucun souvenir de l’avoir écrit ». Quand l’aurait-elle rédigé ? « En quelle année, à quelle heure du jour et dans quelle maison ? »

En ce printemps 45, De Gaulle proclame la France en deuil national après le décès du Président Roosevelt, les Américains libèrent les camps à l’Ouest et les familles, les femmes, attendent à la Gare d’Orsay le retour de leurs proches prisonniers ou déportés. Elle, résistante, consigne la liste des arrivants dans le Journal Libre, espérant et redoutant tout en même temps de croiser un nom parmi tous, celui de son compagnon : Robert L. Entre ses allers-retours à la gare d’Orsay, la publication de Libre, le téléphone et les soirées silencieuses avec D., elle tente de lutter contre une image qui l’obsède, celle du corps de Robert L. « dans un fossé noir ». Elle imagine sa réaction le jour où elle le reverrait : « Tout ce que je pourrai faire, c’est sourire puis mourir ». Mais le reconnaitra-t-elle seulement ?



Robert L. est Robert Antelme, le premier mari de Marguerite Duras, et D. qu’elle retrouve le soir au retour d’Orsay, D. qui, tente de calmer sa douleur en rationnalisant les faits (« toutes les conneries, vous les aurez dites » s’énerve-t-il devant ses délires philosophiques) est Dionys Mascolo, l’homme que Marguerite Donnadieu a rencontré en 1942 et qui sera son second mari. Quant au texte, La Douleur, il a été rédigé en 1944-45, effectivement comme un journal, puis a été intégré au recueil du même nom.



Sur scène, Dominique Blanc paraît garder le semblant de distance que l’écriture instaure entre le récit et l’expérience vécue : elle n’est pas une comédienne, elle est la voix, la plume du journal… Et comme celle de Duras, ou parce que c’est celle de Duras, cette plume –qui n’est au départ que symbole et distance-, devient tremblante, toute gorgée qu’elle est de ses fantasmes, de ses colères et de sa fatigue…La scène, à peine meublée de quelques chaises, d’une table et d’une seule femme, devient alors tour à tour quai de gare sur lequel s’entassent les familles de déportés, loge de concierge où l’on pleure les maris et disserte d’une Europe où “fument les crématoires“, chambre à insomnie… L’écrivain estimait que l’écrit prédominait sur toute autre forme de représentation ; la comédienne nous le démontre sur scène. Paradoxalement et brillament…



La Douleur, de Marguerite Duras, mis en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieü Niang, interprété par Dominique Blanc. 1h30. Spectacle en tournée. Pour avoir les dates, consultez La boite à sorties.

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