
Voici bien ¼ d’heure que le public s’installe, se prélasse et papote, et elle, elle est là, seule sur cette immense scène, la tête couchée sur la table, tournant le dos à la salle… Elle attend… Et quand elle parle, elle n’a l’air de rien, vraiment : sa voix monocorde, son gilet d’un vilain violet, son visage rendu blafard par l’éclairage, et ce sac sans fond qu’elle déballe, déballe et déballe sur la table comme on déverse son âme dans un journal. Son journal justement, celui dans lequel elle avait conté la guerre, elle vient de le retrouver, mais affirme n’avoir « aucun souvenir de l’avoir écrit ». Quand l’aurait-elle rédigé ? « En quelle année, à quelle heure du jour et dans quelle maison ? »
En ce printemps 45, De Gaulle proclame la France en deuil national après le décès du Président Roosevelt, les Américains libèrent les camps à l’Ouest et les familles, les femmes, attendent à la Gare d’Orsay le retour de leurs proches prisonniers ou déportés. Elle, résistante, consigne la liste des arrivants dans le Journal Libre, espérant et redoutant tout en même temps de croiser un nom parmi tous, celui de son compagnon : Robert L. Entre ses allers-retours à la gare d’Orsay, la publication de Libre, le téléphone et les soirées silencieuses avec D., elle tente de lutter contre une image qui l’obsède, celle du corps de Robert L. « dans un fossé noir ». Elle imagine sa réaction le jour où elle le reverrait : « Tout ce que je pourrai faire, c’est sourire puis mourir ». Mais le reconnaitra-t-elle seulement ?
Robert L. est Robert Antelme, le premier mari de Marguerite Duras, et D. qu’elle retrouve le
soir au retour d’Orsay, D. qui, tente de calmer sa douleur en rationnalisant les faits (« toutes les conneries, vous les aurez dites » s’énerve-t-il devant ses délires philosophiques) est Dionys Mascolo, l’homme que Marguerite Donnadieu a rencontré en 1942 et qui sera son second mari. Quant au texte, La Douleur, il a été rédigé en 1944-45, effectivement comme un journal, puis a été intégré au recueil du même nom.


La Douleur, de Marguerite Duras, mis en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieü Niang, interprété par Dominique Blanc. 1h30. Spectacle en tournée. Pour avoir les dates, consultez La boite à sorties.
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