dimanche 7 décembre 2008

Au Grand Palais, Picasso admirateur et railleur

Cezanne, Poussin, Goya, Rembrandt et Delacroix accueillent le visiteur. Au milieu d’eux, un Picasso mouvant, tantôt homme en perruque réfugié dans des siècles passés, tantôt silhouette déstructurée devant son chevalet… Jusqu’au 2 février 2009, le peintre et ses maîtres sont au Grand Palais…

En entrant dans la première salle de l’exposition on est encerclé par une myriade de visages, autant de peintres qui, du haut de leurs autoportraits, nous regardent…. Parmi eux, une figure revient sans cesse, tel un fantôme hantant les siècles ; l’élégant aristocrate du XVIIe se pare d’un vert Cezanne avant de se travestir en sculpture moderne… C’est Picasso, l’artiste aux mille maîtres, hommes de la Renaissance –ou de l’Antiquité- qu’il a copiés ou parodiés, qui l’ont inspiré.


Yo, Picasso, autoportrait 1901

Dans la deuxième pièce, se dresse tant qu’elle le peut La Venus de Milo, semblable à celle du Louvre, mais signée Picasso. C’est une copie, jusqu’à la veille du XX ème siècle, l’artiste encore disciple est occupé à perfectionner sa technique adoptant des sujets et un style conventionnels. De toutes ces heures d’absorption, de cette passion pour le classicisme quand d’autres -« l’avant-garde »- se passionnent pour le néo-impressionnisme, naîtront les tableaux qui « manquent au musée» de l’artiste. Aux côtés de La Toilette de Psyché d’Antoine Dubois (XVIIe siècle) et des Grandes Baigneuses de Renoir (1884-1887), Picasso accroche ses Trois Femmes à la Fontaine (1921)…
La collection « hispanité » est elle aussi largement complétée par des toiles vivement colorées. Son Matador porte l’épée comme le toreador d’Edouard Manet ; son Nain a la posture de hommes de cours de Velasquez, mais par son irréalisme, il est rendu plus expressif encore…



Matador saluant, E. Manet, 1866-67




Le Matador, Picasso, 1970

La parodie des grands n’est nullement dissimulée, bien au contraire, d’une seule composition, l’artiste produit d’infinies variations. Ainsi, Les Ménines de Velasquez, se font tour à tour denses agencements géométriques ou silhouettes simplifiées. Enlevées à Poussin, les Sabines sont, de l’autre côté de la salle, semblables aux femmes éventrées, désarticulées, foulées aux pieds du Guernica.

Les femmes… Plus que tous les Poussins, les David et les Rembrandt, ce sont elles que l’artiste a décliné… Ou plus précisément, par eux qu’il les a décliné, elles… Après une parenthèse « natures mortes et bodegas », l’exposition redevient un harem. La pensive Arlésienne de Van Gogh s’y est dotée d’un sourire carnassier tandis que la femme triste attablée Au café dit l’Absinthe de Degas s’est changée en Buveuse d’absinthe au regard noir… Les femmes de Picasso ont du caractère et des fantasmes à fleur de peau : un siècle après Les Demoiselles du bord de Seine que Courbet avaient peintes rêveuses, déjà langoureuses, Picasso accompagne les deux jeunes filles de deux autres corps, peut-être ceux qu’avant Freud, en prudes bourgeoises, les demoiselles n’avaient osé se représenter… Paraissant au premier abord n’être que d’absurdes assemblages de ventres, de seins et de pieds énormes, ces figures seraient peut-être plus humaines qu’il n’y paraît… plus humaine en tout cas que la proportionnée Odalisque en grisaille d’Ingrès, créature devenue quasi-divine par la lumière qu’elle renvoie. « Les beautés du Panthéon, les Vénus, les Nymphes, les Narcisses sont autant de mensonges. L’art n’est pas l’application d’un canon de beauté, mais ce que l’instinct et le cerveau peuvent concevoir indépendamment du canon » déclare Picasso. Toute aussi grise, sa Nue couchée avec un chat nous observe de son œil rassurant…. L’Olympia d’Edouard Manet a elle aussi son pendant(if), le Nu couché au collier.

Odalisque en grisaille, Ingres, 1824-1834



Nu couché jouant avec un chat, Picasso, 1964

Dans cette dernière salle, les grandes dames veillent sur « les filles » cachées sous des tables vitrées. Dans des aquateintes et des encres de Chine, Degas est représenté avec les prostituées qu’il avait peintes un siècle auparavant : Degas paie et s’en va. Les filles ne sont pas tendres ; Filles au repos avec Degas songeur titre Picasso qui s’est aussi moqué de Raphaël et de sa Fornarina… Classiciste, cubiste, surréaliste… l’artiste fut aussi un humoriste…

Picasso et les maîtres, jusqu’au 2 février 2009, Galeries nationales du Grand Palais, ts les jours 10h-22h, sauf le jeudi jusqu’à 20h Métro Champs-Elysées-Clémenceau, 12 euros, TR : 8 euros.

Article paru le 13 octobre 2008 dans La Boite à sorties.
Sources : l'exposition du Grand Palais et les recherches de Claire Picasso selon Dagen (cf ci-dessous).

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