samedi 15 novembre 2008

Lyrique et émouvant, « L'échange » de Paul Claudel, à la Colline



Marthe attend son mari, Louis Laine, qui a passé la nuit dehors. Le voilà qui débarque, entièrement nu, groggy de sommeil, de volupté et d'histoires inventées. Marthe ne peut que douter de sa fidélité... Une pièce épurée, s'il en est, de Paul Claudel (1868-1955), mise en scène par Yves Beaunesne, au Théâtre de la Colline jusqu'au 14 décembre. Emouvant.



Louis Laine (Jérémie Lippmann) a l'air d'un fou. Aux questions de sa femme, Marthe (Julie Nathan), il répond par des histoires à dormir debout, des contes de crapauds et de poissons ; il répète dans une voix monocorde vouloir être « libre de tout ». Il semblerait d'ailleurs que son désir s'accorde avec celui de son patron, Thomas Pollock Nageoire (Alain Libolt), un riche Américain dont il garde la propriété. M.Pollock, n’a qu’un mot à la bouche: « Faites n'importe quoi, mais faites de la monnaie ! » Pour lui, tout est convertible en dollars, y compris la pauvre Marthe qui le séduit par sa simplicité, sa sagesse en même temps que sa fraîcheur…. ; pour Louis, attirée par la compagne de l'Américain, -une grande dame du monde, une spirituelle, actrice de surcroît (Lechy/Nathalie Richard)-, cet échange est comme une délivrance...


Dans ce court texte en trois actes écrit en 1893, les personnages sont caricaturaux : d’une part Thomas Pollock, les cheveux grisonnants d’un sexagénaire confiant, une « morale » de self-made man, des yeux pleins de dollars et sa compagne, une actrice lunatique, aristocratique à la peau fine et alcoolique finie… De l’autre, Louis Laine, sa trempe et sa chevelure de vagabond et sa charmante, Marthe, une fille de pauvre origine, simple et timide, qui n’aspire qu’à « servir » son mari. Comme à son usage, Paul Claudel est lyrique, mystique, poétique: son texte est scandé des « Oh » des femmes larmoyantes et des hommes fuyants, de ses métaphores organiques évoquant des tourments philosophiques… Sur le règne de l’argent, le dilemme entre mariage et liberté, la fidélité, les femmes (véritables boulets aux pieds des hommes lorsqu’elles les ont épousés), le dramaturge n’hésite pas à insister. Une telle grandiloquence est délicate à mettre en scène, mais justement, en l’accentuant par leur jeu, les acteurs ont su restituer la finesse psychologique du texte de Claudel : la magnifique voix de Julie Nathan rend Marthe touchante à pleurer, les pitreries d’Alain Libolt révèlent la sensibilité de Thomas Pollock...

Plus de caricature donc... comme s’il épluchait un « oignon », le dramaturge dépèce une à une les «enveloppes de la vérité » en même temps que les cœurs de ses personnages. Thomas Pollock est touché par la simplicité de Marthe : le Nouveau Monde, que dénonce Paul Claudel, il fut diplomate à New York puis à Boston lors de l’écriture de cette pièce, pourra être sauvé… L’âme romantique, rimbaldienne de Louis Laine se noie dans ses désirs : avec cet incorrigible catholique qui termine ses incendies en aubes pascales, le Vieux Continent prend des leçons d’Amérique...

Le spectateur n’est pas épargné par cette mise à nu, il a beau être couvert par le noir de la salle, il ne fait, comme le dit l’actrice Lechy lorsqu’elle explique ce qu’est le théâtre à Marthe, que « se regarder lui-même les mains posées sur les genoux ». En toute logique, il termine donc comme Louis Paine, nu comme un ver…

L’Echange, de Paul Claudel, au Théâtre de la Colline, mis en scène par Yves Beaunesne, jusqu’au 14 décembre, 20h30 du mercr-au samedi 20h30, mardi 19h30, dim 15h30, TP : 27 euros, moins de 30 ans : 13 euros, 01 44 62 52 52, 15 rue Malte Brun, Paris 20e, Métro Gambetta.

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