Le désir de communication
Parler aux enfants
« Je suis Madame Dolto, je suis psychanalyste et je dis la vérité aux enfants ». Dans son Dictionnaire raisonné de l’œuvre de F. Dolto, Michel H. Ledoux retranscrit certains des propos de la psychanalyste aux enfants qu’elle consultait : « Viens, viens dessiner ton malheur » ; « Est –ce que c’était bien que tu sois née ? », « C’est très dur d’être bébé quand on est intelligent ! » (le bébé avait 10 mois) : là est résumé le fondement de la pensée de Dolto vis-à-vis des enfants. « On parle des enfants, on ne parle pas aux enfants », or ces derniers sont des sujets à qui l’on peut parler, à qui l’on doit parler. Même les plus petits bébés, ont pour Dolto, « besoin de conversation ».
Y compris aux bébés…
Comprennent-ils pour autant ? La praticienne donne souvent l’exemple d’un bébé anorexique de 15 jours à qui elle aurait dit : « Si tu comprends que je te parle, tourne ta tête vers moi »… Et le nourrisson, très faible, aurait tourné la tête… Au-delà de ce cas extraordinaire, et peut-être fortuit, la psychanalyste estime que sans comprendre tout ce qui lui est dit, l’enfant en a « l’entendement », une perception qui se situerait entre l’entente et la compréhension : le son de la voix, le ton de cette dernière, les circonstances dans lesquelles les propos sont émis sont autant d’indices qui lui permettraient « d’intuitionner » ce qu’on veut lui dire.
Frustrer les désirs... mais parler
Comme tout être humain, l’enfant a des besoins et des désirs. Si les besoins, qui se rapportent au corps, à la survie psychologique, doivent être assouvis, les désirs, insatiables ne peuvent l’être, et d’ailleurs, ne doivent pas l’être. Certes un minimum de plaisir est nécessaire pour vivre, mais les désirs étant moteurs, sources de créativité, il serait mortifère de les satisfaire.
Pour pouvoir se développer, l’enfant subit plusieurs « castrations » qui, par la suite, le « vitaliseront », seront source d'humanisation (cf la sublimation de Freud). Castration des castrations, la naissance. Puis vient la « castration orale » qui correspond à la période du sevrage, soit le moment où la mère ne donne plus le sein à l’enfant, et la « castration anale » c'est-à-dire le moment où l’enfant devient autonome pour ce qui est de l’entretien de son corps (excréments, habillage, motricité, etc). Chaque « castration », qui est, pour l’enfant, frustration d’un désir, doit être accompagnée de paroles, ou plutôt, elle Doit être parole : «Tu es grand maintenant ».... D’ailleurs, en un sens, l’enfant qui aurait voulu le sein de la mère, la petite fille qui aurait aimé être mariée à son père, va être comblé(e), car, selon Dolto, dont la pensée est éminément spiritualiste, le désir chez l’Homme est avant tout « désir de communication », de rencontre d’autrui.
Le couple mère/enfant (dyade)…
Le bébé entièrement dépendant de sa mère
Les premiers mois de sa vie, l’enfant est collé à sa mère (que ce soit sa mère génitale ou sa nourrice). Il est dépendant d’elle en tout, jusque dans son sentiment d’exister : lié à elle, n’ayant pas réellement conscience des contours de son corps, il se croit « elle » ou croit qu’elle est lui (« co-être »). Selon ses perceptions (son « schéma corporel » dirait Dolto), sa bouche est le sein de la mère ; l’un n’existant pas sans l’autre durant les premières semaines. Si la mère s’absente trop longtemps, le bébé sera complètement perdu, ou plutôt, ayant perdu son « co-être », il ne sera plus.
« Ménager les transitions » lors des séparations
A l’écoute des émissions de France Inter « Lorsque l’enfant paraît » (1976-1977) durant lesquelles, de manière hebdomadaire, la praticienne (alors retraitée) répondait aux questions de lecteurs, on est surpris d’entendre combien Mme Dolto, médecin psychanalyste « dédramatise » (dédramatisation d’autant plus nécessaire que la nervosité de la mère est ressentie par l’enfant). Toutefois, il est un sujet sur lequel, l'analyste n’hésite pas à dire qu’il est « grave » : celui de la séparation mère/enfant. Etant donné que l’enfant ne se sait être que par sa mère, cette dernière ne doit pas, jusqu’à ce qu’il ait 6 mois (d’autres fois la psychanalyste va jusqu’à 9/10 mois), le quitter trop longuement à moins que son départ ne soit éxigé par des questions « très importantes ». Et si la mère quitte son bébé, elle doit faire en sorte que les « médiations » soient faites : elle doit discuter devant son enfant avec l’ami(e) chez qui elle le dépose, « faire se croiser leurs voix », de façon à lui démontrer qu’elle le laisse en terrain connu, qu’elle ne l’abandonne pas ; elle doit aussi lui laisser un linge marqué par son odeur. Ainsi, l’enfant pourra bénéficier d’une certaine continuité dans son être ("mêmeté d'être").
Par la suite, pour permettre une saine entrée à l’école, Mme Dolto proposait que, par la loi, il soit permis aux parents d’arriver une heure en retard au travail pour accompagner leur enfant le jour de se première rentrée.
Par la suite, pour permettre une saine entrée à l’école, Mme Dolto proposait que, par la loi, il soit permis aux parents d’arriver une heure en retard au travail pour accompagner leur enfant le jour de se première rentrée.
Vers plus d’autonomie
Et le père ?
Exclu de la dyade, le père n’en a pas moins une fonction vitale dans le développement de l’enfant. C’est –chez Dolto comme dans la tradition psychanalytique-, le castrateur, celui qui sépare la mère de son enfant, et par se faire qui va, en l’autonomisant, « humaniser » l’enfant. Sans lui (qu’il soit ou non le géniteur ) et sans ses dires, la mère risque de « cannibaliser » son bébé. Plus qu’une personne tiers dans la relation, le père est le représentant du désir de la mère. Par lui, l’enfant comprend que sa mère ne pense pas qu’à lui, qu’il n’est pas le centre de la famille (et plus tard, qu’il devra vivre sa propre vie).
Aussi, au cours de ses émissions, Dolto ne cesse d’insister sur la nécessité pour le couple de se montrer comme tel devant l’enfant, de montrer à ce dernier qu'ilest exclu de cette relation privilégiée. Dans les exemples de la psychanalyste, c’est souvent, le père qui, au moment du coucher, va dire « c’est ma femme, laisse nous tranquille maintenant, va dans ta chambre » (la chambre de(s) enfant(s) n’est pas celle du couple, ou du moins dans les premiers mois, une séparation doit être aménagée dans la pièce).
Lorsque l’enfant n’a pas connu son père, Françoise Dolto insiste sur la nécessité pour la mère d’informer son fils/sa fille de son existence et du rôle qu’il a joué « Si ton père n’avait pas été là, tu ne serais pas né… » L’enfant doit être tenu au courant de la scène primitive et pouvoir s’inscrire dans une lignée : ce n’est pas un objet purement maternel, simple produit du placenta.
Aussi, au cours de ses émissions, Dolto ne cesse d’insister sur la nécessité pour le couple de se montrer comme tel devant l’enfant, de montrer à ce dernier qu'ilest exclu de cette relation privilégiée. Dans les exemples de la psychanalyste, c’est souvent, le père qui, au moment du coucher, va dire « c’est ma femme, laisse nous tranquille maintenant, va dans ta chambre » (la chambre de(s) enfant(s) n’est pas celle du couple, ou du moins dans les premiers mois, une séparation doit être aménagée dans la pièce).
Lorsque l’enfant n’a pas connu son père, Françoise Dolto insiste sur la nécessité pour la mère d’informer son fils/sa fille de son existence et du rôle qu’il a joué « Si ton père n’avait pas été là, tu ne serais pas né… » L’enfant doit être tenu au courant de la scène primitive et pouvoir s’inscrire dans une lignée : ce n’est pas un objet purement maternel, simple produit du placenta.
L’Autonomie : finalité de l’éducation
Pour rendre leur enfant autonome, les parents doivent justement le considérer comme un être autonome. Si ce dernier doit se sentir exclu du couple, à l’inverse, les parents ne doivent pas avoir besoin d’un enfant pour exister, ils ne doivent pas prendre ses désirs pour leurs désirs. La psychanalyste estime qu’il doit être laissé à l’enfant la liberté d’expérimenter, de toucher les objets, etc. tout ceci bien sûr dans un « espace de sécurité ».
Des règles à respecter (exemple de la Maison Verte)
Cette autonomie octroyée à l’enfant n’exclut pas les règles. Ainsi, dans la « Maison Verte », maison créée pas Dolto en 1979 dans le 15e arrondissement et destinée à l’accueil des 0/3 ans, [lieu voulu pour que « l’enfant serait accueilli en première personne », que puisse y être détectés les « éventuels flottements », manques d'auorité qui pourraient être pathogènes, et surtout pour que les « mamans fatiguées » puissent récupérer], les enfants se voient opposer deux règles, deux interdits majeurs. L’espace des plus petits est séparé des autres par une ligne rouge marquée au sol que les enfants ne doivent absolument pas franchir en camion à roulette. Le cas échéant, les petits ne seraient pas en sécurité dans leur pièce. Par ailleurs, les enfants ne doivent absolument pas jouer aux jeux d’eaux sans tablier. Ces deux règles, qui rendent possible la vie en collectivité, permettent aussi aux accueillants d’identifier les parents peu enclins à frustrer leurs enfants. L’équipe va alors les aider à tenir leur rapport à la loi et à l’autorité.
Dolto, mère de « l’enfant roi »?
Ce qui laisse à le penser
Chez Dolto, l’autonomisation de l’enfant implique des libertés qui lui sont octroyées : comme celle de choisir ses habits, de pouvoir être libre de l’heure du coucher du moment où les parents sont laissés tranquilles (quitte à ce que l’enfant s’endorme sur un tapis)… Lors d’une émission de Lorsque l’enfant paraît, Mme Dolto répond à une mère, qui se plaint d’un enfant qui ne veut plus rien manger, que cette étape est normale dans la vie de l’enfant et que la mère doit simplement mettre à disposition de son fils(lle) une boîte de gâteaux secs dans laquelle il ira piocher, et qu’ensuite, naturellement, il reviendra naturellement à table.
Autre exemple qui a pù laisser à penser que Mme Dolto était la « mère de l’enfant roi » : l’Ecole de la Neuville créée en 1973 et que Dolto n’a pas véritablement initiée mais qu’elle a (activement) parrainée. Dans cet école hors-contrat, les élèves, des internes, participent au projet pédagogique de l’école, décident des règlements et acceptent les nouveaux-venus, l’idée étant, encore une fois, de les rendre autonomes et de les initier à la vie en collectivité tout leur permettant de développer leur créativité…
Autre exemple qui a pù laisser à penser que Mme Dolto était la « mère de l’enfant roi » : l’Ecole de la Neuville créée en 1973 et que Dolto n’a pas véritablement initiée mais qu’elle a (activement) parrainée. Dans cet école hors-contrat, les élèves, des internes, participent au projet pédagogique de l’école, décident des règlements et acceptent les nouveaux-venus, l’idée étant, encore une fois, de les rendre autonomes et de les initier à la vie en collectivité tout leur permettant de développer leur créativité…
De la nécessité de recontextualiser
Pour comprendre les propos de Dolto, son insistance sur l’enfant « sujet », il est nécessaire de revenir sur l’histoire propre de Dolto (cf notre article sur sa vie), sur l’époque durant laquelle elle a forgé sa pensée et enfin sur ses sujets d’études (au départ des enfants souffrant pour la plupart d'importantes pathologies). Lorsque Dolto était petite-fille, les enfants ne parlaient pas à table si ce n’est pour répondre aux questions. « On ne parle pas aux enfants » remarquait la psychanalyste : rien n’était expliqué aux petits, et encore moins la sexualité.L’absence de communication au sein des familles n’est pas, pour Dolto, un fait ancien, « Autrefois, il y avait toujours dans les familles de la parole qui circulait. Et actuellement, de moins en moins la parole circule ; probablement à cause de la radio et de la télévision qui accaparent les parents et qui les distraient de la conversation familiale » explique-t-elle dans un entretien à Téléciné. Et plus loin, à propos de l’ampleur de la demande vis-à-vis de son émission sur France Inter « [Je l’explique] à ce que les parents ne savaient pas du tout qu’un enfant a besoin d’entendre parler de tout. Autrefois, ca se faisait de manière inconsciente du fait qu’il y avait beaucoup de personnes à la maison et que, finalement, si ce n’était pas les parents qui parlaient directement à l’enfant, il y avait là quelqu’un : une grand-mère, un grand-père… […] IL ne se cachait que des choses que les parents voulaient cacher. Et actuellement, ce ne sont pas les choses que les parents veulent cacher qui sont cachées, c’est l’histoire de l’enfant qui est cachée. Il est comme un objet qu’on mène par ici, qu’on mène par là… »
« A l’ère de la société de consommation qui va dans le sens du moi-je, […] de l’immédiateté et de l’individualisme, il ne faut pas que l’éducation exacerbe cet hypertrophie du moi » recommande Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, psychologue et clinicien et psychothérapeute, (Le Monde de l’éducation). Le spécialiste précise que si Dolto a permis « de mettre un terme à une éducation traditionnelle qui niait la singularité de l’enfant », il n‘est plus guère possible, hormis pour les 5% d’enfants reçus qui sont introvertis et inhibés, de faire du « Dolto » en consultation : les enfants que le clinicien reçoit viennent « plutôt avec un narcissisme exacerbé (qu’inhibé) ».
A lire, à voire, à écouter :
Lorsque l’enfant paraît (émissions de France Inter), anthologie radiophonique, France Inter, et Ina.
Coffret Dolto de MK2 :(Sorti le 28/08/08) n°1 : « Dolto par Dolto » (biographie), n°2 : « Dolto psychanalyste » (passionnant entretien de la psychanalyste avec Jean-Pierre Winter dans lequel elle explique sa pensée) n°3 : « Dolto citoyenne » (sur la Maison Verte et l’Ecole de la Neuville), n°4 : « Parole, l’héritage Dolto » (expérience d’enfants passés par l’école de la Neuville)
Dictionnaire raisonné de l’œuvre de Dolto, Michel H Ledoux, ED Désir/Payot, avril 2006.
Le Monde de l'Education, novembre 2006.
et, pour mieux connaître la vie de Dolto, lire son portrait dans en3mots : http://www.en3mots.com/article-portrait--dolto-d-une-education-stricte-a-une-femme-psychanalyste-mediatique-24250.html
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