Crack est un roman qui touche plus par sa dimension documentaire que par sa qualité romanesque, il se déroule dans le milieu méconnu du crack dans les quartiers nord-est de Paris. Dès la fin de sa formation, Tristan veut aller sur le terrain et approcher un milieu qu’il ne connaissait pas. Pour autant, les questions soulevées dans le milieu de la drogue sont aussi les siennes : « Un an plus tard, j’ai compris que je cherchais alors la pire catharsis à ma propre volonté d’autodestruction. » (p.16)
De la difficulté de faire un film dans le milieu du crack
C’est un milieu instable où l’on ne peut pas faire confiance aux gens fréquentés. Dès lors le jeune documentariste est confronté au problème de la description d’un milieu plutôt inaccessible : comment transcrire cette réalité qui lui est complètement étrangère ? Les toxicomanes sont les premiers à lui dire que s’il ne fume pas, il ne pourra jamais réellement comprendre. Il opte donc pour la solution qui semble la moins pire, la plus accessible au documentariste : passer du temps avec eux.
De la difficulté de faire un film dans le milieu du crack
C’est un milieu instable où l’on ne peut pas faire confiance aux gens fréquentés. Dès lors le jeune documentariste est confronté au problème de la description d’un milieu plutôt inaccessible : comment transcrire cette réalité qui lui est complètement étrangère ? Les toxicomanes sont les premiers à lui dire que s’il ne fume pas, il ne pourra jamais réellement comprendre. Il opte donc pour la solution qui semble la moins pire, la plus accessible au documentariste : passer du temps avec eux.
Tristan doit s’efforcer à ne pas être compatissant pour faire place à l’objectivité du documentariste mais aussi pour ne pas tomber dans le chantage incessant des toxicomanes. Il doit trouver l’équilibre entre fraterniser pour connaître le milieu opaque de la drogue et tenir la distance suffisante à l’analyse. Cela est d’autant plus difficile que Tristan se trouve le plus affecté par les sordides histoires qu’on lui raconte, les toxicomanes restent plutôt indifférents à la misère de leur vie. Il se pose aussi des problèmes beaucoup plus concrets : il doit faire face au chantage incessant des drogués mais ne pas se montrer trop strict au risque de ne rien pouvoir filmer. Mais il est aussi le seul Blanc dans ce milieu et on le prend régulièrement pour un flic.
Au fur et à mesure de son expérience, Tristan trouve son projet de film dérisoire et impossible. Il envisage alors d’écrire : « Ça n’a pas de sens. Rien de tout cela n’est filmable (…) En même temps, je dois tirer quelque chose de ce matériau. » (p.216)
La réalité du crack « entre le mystère des mythes et un réalisme glacial »
Tristan nourrit une réelle fascination pour le monde des toxicomanes et ne cesse de jongler entre une description réaliste de la misère et une mythification du milieu.
Les témoignages des toxicomanes montrent à quel point leur parcours social a été difficile avant même de connaître la drogue. Et le crack continue de signer le cercle infernal de la misère : ils n’ont pas de domicile, les filles se prostituent, ils connaissent la prison, la déchéance physique et morale. Le pouvoir du crack est justement de faire supporter cette misère en même temps qu’il l’amplifie. Et malgré cette réalité flagrante, il existe une fascination pour la drogue. Il y a une mythologie autour du crack, la rapidité de son addiction et sa puissance de destruction.
Avant tout, ce qui fascine Tristan est l’accès à une vérité interdite que permettrait le crack, il pense que les « trips oniriques » des toxicomanes sont révélateurs d’un monde qui existe. Mais aussi qu’ils vivent plus réellement, c'est-à-dire avec le même système que dans notre société de consommation mais sans l’hypocrisie qui l’accompagne : « Et toujours ces similitudes avec le monde de la surface, limpide, lumineux, empli d’une esthétique mensongère qui oriente les désirs. La même illusion du bonheur, la même dureté sans compassion ni générosité, la même banalité quotidienne. Sauf qu’en bas les masques sont tombés, aucune échappatoire, le spectacle est noir. Tout est consacré à quelques secondes de fulgurance mentale, à l’immédiateté parfaite, au vertige destructeur entre la vie et la mort. » (p.70)
Face à une société de consommation hypocrite, le monde des drogués ne paraît pas moins vrai et cette vie-là fascine Tristan, un monde enchanté où les drogués ont des visions qui s’oppose à notre société désenchantée : « Si on veut vivre fou, parfait, mais qu’on le fasse avec un imaginaire puissant, tu vois, pas avec une pathétique répétition de la daube commerciale.» (p.117)
Mais les premiers à démentir les fantasmes de Tristan sont justement les toxicomanes eux-mêmes. Ils sont dans l’impossibilité de trouver des mots pour décrire cette vérité interdite, la sensation de devenir pleinement soi-même à un très haut degré. C’est cette impossibilité de dire qui rend la drogue mystique. Encore une fois Tristan revient à la réalité : « Par sa nature chimique, cette emprise est dénuée de toute idéologie, de tout prétexte intellectuel, de toute croyance religieuse ; juste un esclavage sauvagement physique. » (p.42)
La communauté des toxicomanes
Les toxicomanes expliquent à Tristan que leur mode de vie, hors de la société est de l’ordre de choix, il n’y a pas chez eux de misérabilisme. Au contraire, ils recherchent plus de responsabilités et d’autonomie. Une certaine communauté existe : les usagers sont arabes ou noirs ; ils sont souvent sans papiers, il existe une géographie de la drogue et de l’organisation de différents territoires dans le Nord-est parisien ; il y a aussi bien sûr une économie autour du crack : les grossistes, les « maudous » (les dealers), les assureurs, les laboratoires, les rabatteurs, les clients et les prix des substances qui fluctuent comme à la Bourse selon l’offre et la demande.
C’est une communauté qui survit hors de la société, les informations qu’ils s’échangent sont le ciment de cette réalité communautaire. Leur mode de vie et leur rapport au temps les maintiennent séparés du monde : pour eux le temps, figé dans la course au kif, n’existe pas alors même que c’est la condition première de l’homme.
Mais leurs tentatives d’organisation dans les squats se révèlent souvent ingérables car c’est la loi du plus fort ou du plus rusé qui règne. Cependant quand un squat perdure, certaines règles semblent s’installer car c’est une petite communauté et côtoyer sans cesse les mêmes personnes oblige à bien se comporter. Le squat est un « contraste caricatural entre le besoin social et les principes égoïstes du plaisir. » (p.240). Les toxicomanes considèrent que leur autonomisation et leur responsabilisation est la solution à leur marginalisation, la possibilité de leur donner une existence sociale.
Le crack est une drogue à part de par la dépendance et la marginalisation qu’elle provoque. La solution serait de considérer les toxicomanes comme tels et d’améliorer leurs conditions de vie pour éviter la marginalisation et le cercle infernal de la misère.
Au fur et à mesure de son expérience, Tristan trouve son projet de film dérisoire et impossible. Il envisage alors d’écrire : « Ça n’a pas de sens. Rien de tout cela n’est filmable (…) En même temps, je dois tirer quelque chose de ce matériau. » (p.216)
La réalité du crack « entre le mystère des mythes et un réalisme glacial »
Tristan nourrit une réelle fascination pour le monde des toxicomanes et ne cesse de jongler entre une description réaliste de la misère et une mythification du milieu.
Les témoignages des toxicomanes montrent à quel point leur parcours social a été difficile avant même de connaître la drogue. Et le crack continue de signer le cercle infernal de la misère : ils n’ont pas de domicile, les filles se prostituent, ils connaissent la prison, la déchéance physique et morale. Le pouvoir du crack est justement de faire supporter cette misère en même temps qu’il l’amplifie. Et malgré cette réalité flagrante, il existe une fascination pour la drogue. Il y a une mythologie autour du crack, la rapidité de son addiction et sa puissance de destruction.
Avant tout, ce qui fascine Tristan est l’accès à une vérité interdite que permettrait le crack, il pense que les « trips oniriques » des toxicomanes sont révélateurs d’un monde qui existe. Mais aussi qu’ils vivent plus réellement, c'est-à-dire avec le même système que dans notre société de consommation mais sans l’hypocrisie qui l’accompagne : « Et toujours ces similitudes avec le monde de la surface, limpide, lumineux, empli d’une esthétique mensongère qui oriente les désirs. La même illusion du bonheur, la même dureté sans compassion ni générosité, la même banalité quotidienne. Sauf qu’en bas les masques sont tombés, aucune échappatoire, le spectacle est noir. Tout est consacré à quelques secondes de fulgurance mentale, à l’immédiateté parfaite, au vertige destructeur entre la vie et la mort. » (p.70)
Face à une société de consommation hypocrite, le monde des drogués ne paraît pas moins vrai et cette vie-là fascine Tristan, un monde enchanté où les drogués ont des visions qui s’oppose à notre société désenchantée : « Si on veut vivre fou, parfait, mais qu’on le fasse avec un imaginaire puissant, tu vois, pas avec une pathétique répétition de la daube commerciale.» (p.117)
Mais les premiers à démentir les fantasmes de Tristan sont justement les toxicomanes eux-mêmes. Ils sont dans l’impossibilité de trouver des mots pour décrire cette vérité interdite, la sensation de devenir pleinement soi-même à un très haut degré. C’est cette impossibilité de dire qui rend la drogue mystique. Encore une fois Tristan revient à la réalité : « Par sa nature chimique, cette emprise est dénuée de toute idéologie, de tout prétexte intellectuel, de toute croyance religieuse ; juste un esclavage sauvagement physique. » (p.42)
La communauté des toxicomanes
Les toxicomanes expliquent à Tristan que leur mode de vie, hors de la société est de l’ordre de choix, il n’y a pas chez eux de misérabilisme. Au contraire, ils recherchent plus de responsabilités et d’autonomie. Une certaine communauté existe : les usagers sont arabes ou noirs ; ils sont souvent sans papiers, il existe une géographie de la drogue et de l’organisation de différents territoires dans le Nord-est parisien ; il y a aussi bien sûr une économie autour du crack : les grossistes, les « maudous » (les dealers), les assureurs, les laboratoires, les rabatteurs, les clients et les prix des substances qui fluctuent comme à la Bourse selon l’offre et la demande.
C’est une communauté qui survit hors de la société, les informations qu’ils s’échangent sont le ciment de cette réalité communautaire. Leur mode de vie et leur rapport au temps les maintiennent séparés du monde : pour eux le temps, figé dans la course au kif, n’existe pas alors même que c’est la condition première de l’homme.
Mais leurs tentatives d’organisation dans les squats se révèlent souvent ingérables car c’est la loi du plus fort ou du plus rusé qui règne. Cependant quand un squat perdure, certaines règles semblent s’installer car c’est une petite communauté et côtoyer sans cesse les mêmes personnes oblige à bien se comporter. Le squat est un « contraste caricatural entre le besoin social et les principes égoïstes du plaisir. » (p.240). Les toxicomanes considèrent que leur autonomisation et leur responsabilisation est la solution à leur marginalisation, la possibilité de leur donner une existence sociale.
Le crack est une drogue à part de par la dépendance et la marginalisation qu’elle provoque. La solution serait de considérer les toxicomanes comme tels et d’améliorer leurs conditions de vie pour éviter la marginalisation et le cercle infernal de la misère.
«Crack» Tristan Jordis, Seuil, 19, 90 euros.
Les chiffres-clés de la toxicomanie en Europe, cliquez ici.
Mais la société ou plutôt l'Etat le peut-il, (améliorer leurs conditions de vie )? Outre les questions purement électorales, c'est pour lui reconnaissance implicite et une sorte de désavoeu de son action... D'où le fait qu'il passe par des assoc'.
RépondreSupprimerQuoiqu'il en soit ce que dit Jordis assez mal, et ce que demandent les toxicos (intéressés mais lucides dans le livre) est, semble-t-il, bien appliqué en Suisse :
RépondreSupprimerhttp://www.en3mots.com/article-la-politique-de-lutte-contre-la-drogue-suisse-avalisee-par-les-electeurs-24591.html
Le 12 décembre dernier, "Libération" consacrait une page au sujet de la toxicomanie. Ainsi, nous apprenons que si les communautés thérapeutiques sont très développées à l'étranger, ce n'est pas le cas en France. Les communautés thérapeutiques sont des centres d'accueil où les toxicomanes sont encadrés par des médecins mais en dehors de l'hôpital.
RépondreSupprimerLe retard français est en grande partie à expliquer par les dérives (détournement de fonds, abus sexuel) de l'association Patriarche fondée dans les années 70. Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies prévoit la création d'ici à 2011 de trois communautés thérapuetiques. Au cours d'un colloque de la Mision interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, des responsables de telles communautés sont venus témoigner. Eric Brokaert, fondateur d'une communauté en Belgique, reste modeste quant aux résultats d'une telle méthode. Le plus important étant de garder le plus longtemps les gens pour obtenir des résultats.
Le professeur Claude Olievenstein, le "psy des toxicos", est mort dimanche 14 décembre à Paris.
RépondreSupprimerClaude Olievenstein fut l'un des pionniers, au début des années 1970, d'une méthode de prise en charge des jeunes toxicomanes. Il avait créé le Centre Marmottan en juillet 1971, alors qu'un mouvement dans l'opinion publique s'était ému de morts de jeunes par overdose.
Claude Olievenstein était né le 11 juin 1933 à Berlin. Après des études à la faculté de médecine de Paris, il avait consacré toute sa carrière, comme psychiatre, au traitement des toxicomanes.