mercredi 16 septembre 2009

Nicolas Ancion compte les milliards de Lakshmi Mittal

Nicolas Ancion nous avertit, "L'homme qui valait trente-cinq milliards" n'est qu'un roman et les personnages et les actions sont imaginaires, toute ressemblance… On se dit que c’est dommage car c'est bien Lakshmi Mittal, le magnat de la sidérurgie, spécialiste du rachat des industries au bord de la faillite, qu’enlève Richard, jeune artiste du 21ème siècle, évoluant à Lièges, là où l’homme d’affaires a fermé les hauts fourneaux afin de pouvoir distribuer de larges dividendes à ses actionnaires.

A armes égales
Octavio est ouvrier dans les hauts fournaux d’Arcelor Mittal à Lièges ; Lakshmi Mittal est son patron, milliardaire. Pour ce dernier, ses ouvriers ne sont pas des personnes, il ne connaît pas leur ville même s'il la possède, il n’imagine pas leur ville, leur famille, leurs conditions de travail etc. Il ne les connaît pas et n'a aucun scrupule à détruire leur emploi. Il n’imagine pas le nombre de vies sur lesquelles il a le contrôle : « Tu es à Dieu ce que l’aspartame est au sucre. Une merde encore plus terrible, qu’on n’aurait jamais dû engendrer. Tu te rends compte du pouvoir que tu as ? Tu es un des quelques gars qui, à eux seuls, peuvent changer le cours des choses pour des milliers de personnes. » (p.122). Aussi, en organisant l’enlèvement de Mittal, en lui enlevant tous ses garde-fous, Richard crée les conditions où l’ouvrier et son patron pourront parler à armes égales, « entre êtres humains ».

A l’autre bout de la chaîne, l’ouvrier sidérurgiste affronte tous les jours des conditions de travail extrêmement difficiles. Octavio parle d’un enfer qu’il voudrait quitter. Dans cette société de consommation, chaque équipement acquis pour rendre la vie plus douce, l’écran plat, est un barreau de plus ajouté à la prison ouvrière. L’ouvrier se sent à ce point traqué et « fait » dans cette période de crise, que lorsqu’on lui annonce la fermeture de son usine, il ne se voit pas débarrassé d’un travail qu’il exècre. Il se retrouve à se battre pour un boulot qu’il déteste. Mais c'est une absence de considération contre laquelle il se bat. Cette rébellion est de l’ordre de l'orgueil contre un homme qui a fait des promesses, qui a profité des subventions européennes et régionales et ferme une usine, en s’enrichissant.

Avec cet enlèvement, à la violence symbolique, se pose la question de la justice. Richard demande aux ouvriers qu’il a réunis autour de leur patron s’ils veulent lui couper la tête. C’est donc dans ce contexte, et parce que Richard sait qu’il ne sert à rien de couper des têtes, que la lutte des classes est éclipsée par l’art contemporain.

De l’utilité politique de l’art contemporain
Richard imagine une performance pour marquer et se faire remarquer afin d’obtenir une place de professeur mais la portée de son action dépasse son seul intérêt. Richard veut prouver l’utilité politique de l’art contemporain face à la violence du monde professionnel et il veut mener l’art sur la place publique. L’art contemporain peut-il être une réponse à la violence du monde professionnel ? Richard s’inscrit dans une certaine continuité d’artistes : Joseph Beuys, Chris Burden et Spencer Tunick. Ces artistes contemporains en réalisant des œuvres choquantes ou en tout cas qui interpellent, dénoncent la société dans laquelle ils évoluent. Ainsi le travail de Joseph Beuys est un questionnement sur l’humanisme, l’écologie, de la sociologie, et surtout de l’anthroposophie. Cela le conduit à définir notamment le concept de « sculpture sociale » en tant qu’Œuvre d'art totale, énoncée dans les années 1970 avec « Chaque personne un artiste », par l’exigence d'une concertation créative entre la société et le politique. C’est exactement la volonté de Richard que de donner une force politique à l’art contemporain. L’on pourrait suggérer que l’art permet une distanciation de la réalité et permet donc de ne pas basculer dans une violence réelle. Mais l’art contemporain a sa limite, les médias.

Les médias, plus forts que l'art
La démarche artistique de Richard commence devant un écran de télévision car il veut amener l’art aux gens. En considérant la télévision comme partie prenante de sa performance, il assure à la fois à son œuvre une audience, mais c’est aussi une forme de dénonciation de la domination des médias dans notre vision du monde : « ce n’est pas la réalité mais l’illusion d’un monde » (p.67). Cependant, il sera pris au piège de cette domination médiatique car il devient le sujet télévisuel. Et après le relatif échec de sa performance, c’est vers ces mêmes médias qu’il se tourne. Est-il possible de faire fi des médias ? Et même en tant qu’artiste celui-là même qui est censé avoir ce regard extérieur sur la société ?

Nicolas Ancion, "L'homme qui valait trente-conq milliards", Luc Pire

1 commentaire:

  1. Waow. C'est un plaisir d'être lu et commenté avec une pareille attention. Merci de m'aider à saisir de quoi parle mon roman (quand on l'écrit, c'est sans doute moins clair, à vrai dire).

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