mercredi 30 septembre 2009

Hommage à Nelly Arcan. Retour sur son dernier roman.

Le 24 septembre dernier, la sulfureuse auteure canadienne se suicide dans son appartement montréalais. En attendant que cette disparition prématurée ne fasse les choux gras de son éditeur (les épreuves de son dernier roman serait en cours de correction), retour sur son dernier roman, « A ciel ouvert », ses thèmes empreints de violence et de souffrance.

Un trio amoureux à Montréal : deux femmes se disputent un même homme. Julie, montréalaise trentenaire, scénariste, vient troubler la vie amoureuse et quelque peu perverse de Rose et Charles, respectivement styliste et photographe. Le narrateur remonte les pensées de chacun des trois personnages et donne progressivement au lecteur toutes les pièces de l’histoire menant à la mort de Charles, annoncée dès les premières pages. Tous ces personnages sont beaux : Rose et Charles travaillent dans le milieu de la mode, Julie veut y consacrer un documentaire. Mais cette beauté est cruelle et tyrannique : quelle souffrance pour Julie de se faire bronzer ! Et Rose va jusqu'à se refaire un sexe pour qu'il convienne à l'homme ! La beauté est purement esthétique : pour les femmes, c’est un nouveau pas vers le contrôle de leur corps, au-delà de l’avortement auquel la chirurgie esthétique est comparée, mais est-ce aussi un pas vers la liberté ? Rose parle d’une nouvelle « burqa vicieuse d’illusionniste, cette poudre aux yeux vendue à fort prix. » (p.156)

La beauté plastique fait du corps féminin un objet dont les parties sont malléables et perfectibles. La beauté fabriquée par la chirurgie esthétique est devenue la nouvelle religion, celle qui permet de régler les problèmes intérieures : « Après l’effondrement des institutions morales et religieuses, après la table rase historique du devoir, du sacrifice, de l’abnégation de soi-même, bref, de l’ordre établi, il ne resterait plus que la beauté pour unir les êtres, et aussi l’argent qui avait tendance à s’accumuler autour des êtres beaux. » (p.157-158). Une religion qui a dépassé la psychanalyse : ce terme n’est jamais prononcé dans le roman mais les troubles de chaque personnage trouvent une explication dans leur enfance, le sexe est érigé comme l’explication de touts les événements (les deux fondamentaux de la psychanalyse freudienne).

Dans ce trio amoureux, l’amour est destructeur et pervers. Julie souffre de blessures amoureuses dont elle ne se débarrassera finalement pas, Rose est obnubilée par son amour pour Charles au point de détruire son corps et les perversités de Charles finissent par le tuer. Julie pense que vivre sans amour est finalement le mieux. Car Reprenant le thème de Eros et Thanatos, l’amour et la mort, autre thème rituel de la psychanalyse) : « ‘Aimer quelqu’un c’est lui donner le pouvoir de vous tuer.’ Dans un couple il y avait toujours un tueur et un tuable, et le tueur tuait toujours malgré lui, sans le vouloir et sans plaisir. Dans un couple le tuable se donnait toujours plus ou moins à tuer, souvent se chargeait lui-même de la tâche, et ce que le tuable ne pouvait supporter n’était pas d’être tué mais de ne pas inspirer à l’autre le goût de tuer. » (p.158)
Le monde romanesque de Nelly Arcan est celui d’individus recroquevillés sur eux-mêmes, n’ayant d’autre souci que leur propre personne. La beauté comme religion vient ajouter à cet individualisme, il n’est plus question que de s’occuper de soi-même. L’individualisme régnant est l'évolution logique de notre société.
"A ciel ouvert" Nelly Arcan, Le Seuil, 20€

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