Sur la voûte de la chapelle Sixtine, le doigt du créateur ne touche pas celui de l'homme auquel il vient de donner la vie. Adam a le visage d'un poète turc, prétend l'écrivain Mathias Enard ; Mesihi de Pristina serait ce poète. Il est mort pauvre en 1512, époque à laquelle Michel-Ange concluait la chapelle. De Michel-Ange on a beaucoup parlé, de la chapelle et de dieu aussi, les manuscrits de Mesihi sont dans les bibliothèques de Vatican et de Vienne. Mais d'une éventuelle rencontre entre l'artiste toscan et le calligraphe et poète ottoman bien peu... Pour l'inventer, l'orientaliste Mathias Enard se base sur un fait bien réel : invité à Constantinople, le jeune Michel-Ange a esquissé un projet de pont pour la Corne d'or qui n'a jamais vu le jour. Cette occasion -ou cette oeuvre- manquée, l'auteur la saisit comme une opportunité pour raconter les débuts d'un jeune génie, son amour de la plastique des corps, ses batailles pour obtenir des contrats (notamment de la part du pape Jules II), son énergie insondable que recouvre une frustration toute aussi immense, une incapacité d'aller à la rencontre des autres, des femmes, qui s'explique par trop d'absorbement dans les objets à contempler et à créer, et qui sera résolue, dialectique salvatrice, par la création. Ainsi, le doigt de dieu serait celui de l'esthète orgueilleux, de l'ami insatisfait qui n'arrive à toucher la chair que par l'intermédiaire de ciseaux, crayons ou plumes.
De retour de Zone (Actes Sud -prix du livre Inter 2009), œuvre magistrale sans point qui se lit comme elle semble avoir été écrite -en un souffle-, Mathias Enard nous offre en cadeau ce précieux conte où se rencontrent, dans la ville des carrefour,s génies italiens et turcs. Comme dans Zone, il bâtit des ponts entre les rives méditerranéennes sur lesquels il fait passer vers, intrigues, amoureux secrets, sultans, singe et éléphant...
Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, de Mathias Enard, Actes Sud, 153 p., 17 euros.
Zone est sorti en collection Babel (poches d'Actes Sud) en août 2010, 528 p.
Ce roman de Mathias Enard vient de se voir attribuer le Goncourt des Lycéens, un prix entouré de bien moins de polémiques que son grand frère mais qui n'en retire que plus de solidité.
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