dimanche 3 octobre 2010

D'autres vies que la mienne, d'E.Carrère : sortie en poche

D'autres vies que la mienne, le roman d'Emmanuel Carrère sorti en 2009 chez POL est apparu sur les tables des librairies le 30 septembre dernier en Folio. Un roman français très émouvant (il a reçu le Prix Marie-Claire du roman d'émotion !:-).

Jeanne, petite française de quatre ans, a été emportée par la vague qui a dévasté en 2005 l'Indonésie, le Sri Lanka, le Sud de l'Inde et la Thaïlande. Ses parents, qui étaient au marché quelques mètres plus haut, en sont rescapés.

Juliette, juge d'instruction à Vienne, meurt d'un cancer, laissant Patrice, son mari rêveur dessinateur de bédés, et leurs trois petites filles.

Les deux événements n'ont aucun rapport direct si ce n'est qu'Emmanuel Carrère, qui en fut le témoin, a été chargé de les mettre en mots. Il aurait pu en faire deux récits. Il en a tiré un roman à la problématique discrètement et finement ficelée : entre les événements extérieurs qui écrasent littéralement les personnages (un tsunami, un cancer) et leur héritage social et familial, de quel part de liberté disposent-ils ? Juliette n'en est pas à son premier cancer, 16 ans auparavant, alors qu'elle n'était qu'adolescente, elle souffrait déjà d'une maladie qui lui a laissé comme souvenir des jambes infirmes. Sa vie de femme saine (avec béquilles) n'a été qu'une parenthèse, un souffle, durant lequel elle a mis son énergie à juger des affaires a priori sans importance (problèmes de logements et de sur endettement) dans la lointaine banlieue de Lyon.

Du point de vue d'un romancier parisien qui s'apprête à tourner son premier film (tiré de son livre, La Moustache) et se dit rongé par une angoisse abyssale symbolisée par un renard, la vie de sa belle-soeur est une « petite » vie, courte, provinciale, grise. Cependant, l'enquête qu'il mènera sur Juliette à la demande « des autres » le mènera sur deux pistes parallèles : celle d'une femme malade dont le nom ne sera qu'à peine imprimé dans un Dalloz, et la sienne, celle d'un auteur narcissique un brin prétentieux qui fut malheureux -personnage dépeint avec une tendre ironie. De cette double exploration, il tirera une conclusion existentialiste : si entravés sommes-nous par les tsunamis, les traumatismes des décès, les renards et les rats, nous gardons un éventail de possibilités parmi lesquelles il nous faut choisir avant d'« occuper » pleinement cette place que nous avons choisie.

A cette conclusion, le lecteur parvient après avoir accompagné Juliette, Etienne, Patrice, Philippe, Delphine, dans leurs maisons de banlieues autour d'un café, à côté des petites dessinant des princesses et des chevaliers, dans les bureaux du tribunal civil, dans une chambre d'hôpital ou au coin du feu, avec un grand cru bourguignon en main et les Rolling Stones en fond... il y parvient après avoir vécu et mourut avec eux, soit au terme d'un chemin des plus pathétiques qu'il trace dans une langue simple et modeste, au style indirect libre, et c'est ce paradoxe qui en fait un grand romancier...: nous faire verser des larmes et des rires des récits de nos quotidiens tout en en tirant, en pointillé, des leçons philosophiques.

« L'image du rat, cependant, m'est familière. Sauf que l'animal qui me ronge, moi, de l'intérieur, c'est un renard. Le rat d'Étienne provient de 1984, mon renard de l'histoire du Spartiate qu'on étudiait en cours de latin. Le petit Spartiate avait volé un renard qu'il gardait caché sous sa tunique. Devant l'assemblée des Anciens, le renard s'est mis à lui mordre le ventre. Le petit Spartiate, plutôt que de le libérer et ce faisant, d'avouer son larcin, s'est laissé dévorer les entrailles jusqu'à ce que mort s'ensuive, sans broncher. » p135.

D'autres vies que la mienne, E. Carrère, Folio, 334 p.

NB.: Philippe Lioret, le réalisateur de Welcome, commencera à tourner une adaptation "très libre" de ce livre dans les semaines à venir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

 
Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs