jeudi 19 janvier 2012

« Retour à Killybegs », Sorj Chalandon

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

« Jésus n’aurait rien pu entreprendre sans Judas »

Ce livre est une consolation. Une consolation pour ceux qui ont lu Mon traître et qui trouvent là une suite irrésistible ; une consolation tout désignée dans cette dédicace « A ceux qui ont aimé un traître » ; une consolation littéraire à l’intransigeance de la guerre. Dans Retour à Killybegs, Tyron Meehan, le traître de Sorj Chalandon a été reconnu comme tel, lâché par les Anglais qui n’en avaient plus d’utilité après la signature d'un accord. Le traître est jugé par ces anciens camarades, combattants irlandais, ils l’interrogeront mais ne le condamneront pas si ce n’est au mépris éternel de la nation irlandaise et à un lynchage certain de ceux qui, pendant des dizaines d’années, l’avaient respecté comme un héros.

En homme meurtri, Tyron Meehan retourne à ses racines, dans la maison familiale, abandonnée depuis longtemps, pour boire et écrire, pour oublier et se souvenir. Sans doute veut-il répondre à cette question : quand a-t-il commencé à trahir ? Quand, jeune garçon à l’école républicaine, il remet en question le parti pris de l’Irlande, naturellement opposée à l’Angleterre pendant la seconde guerre mondiale : « Poser des questions, c’était déjà déposé les armes ». Ou quand, petit Fianna déjà en résistance, il croise à un barrage le regard d’un soldat britannique aussi jeune que lui et au sourire bienveillant, il y voit un enfant, un homme avant un ennemi : « Sous ce casque de guerre, il ne pouvait pas y avoir un homme, mais seulement un barbare. Penser le contraire, c’est faiblir, trahir. » En déroulant sa propre histoire, on se rend bien compte que la complexité de l’âme humaine n’a pas sa place dans la violence politique. A cet égard, la violence et souvent la barbarie dont ont fait preuve les Britanniques sourds à la moindre revendication, ont cristallisé une haine réciproque.

Cette pensée-là, que la violence politique ne peut comprendre, est peut-être le germe de la trahison de Tyron Meehan. Mais il y a aussi la faiblesse, celle de se taire et de préférer devenir un héros plutôt que d’avoir le courage de la vérité. Encore jeune combattant, Tyron Meehan tue par accident un camarade républicain ; il décide de ne rien dire et se laisse porter en héros de la République irlandaise. Durant des années, Tyron Meehan vivra avec ce secret et gravira les échelons de l’IRA avant que les Britanniques ne le fassent chanter : s’il ne collabore pas, alors tout le monde saura qu’il n’est pas le héros qu’il prétend être. C’est donc bien dans cette faiblesse, ce secret que les Britanniques vont s’engouffrer.

Tyron Meehan a trahi par orgueil ; il n’est pas comme ces mères qui entre la nation et leurs fils ont choisi la vie et refusé la grève de la faim de leur enfant ; dans son dilemme, il n’a été question que de lui. Alors, que peut-on comprendre de la trahison ? Le livre de Sorj Chalandon a l’ambition d’explorer la complexité d’un personnage en retraçant son parcours, en nous livrant comment il tente malgré tout de se justifier. Comprendre n’est pas pardonné et c’est là la supériorité de la littérature sur la guerre : elle est le lieu de la complexité.

"Retour à Killybegs" Sorj Challandon, Grasset

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