dimanche 3 avril 2011

Le conte d'hiver de Shakespeare : préférer le doute

Lilo Baur met en scène, au Théâtre des Abbesses, Le conte d'hiver (The Winter's Tale) de William Shakespeare, une pièce qui date de 1610 et qui est généralement classée parmi les tragicomédies. On ne sait pas, en effet, s'il faut rire ou pleurer.

Du soupçon à la certitude : la folie d’un roi
C’est comme un coup de foudre : soudain. Le roi de Sicile, Léonte, est heureux en son royaume, Polixène, ami d’enfance et roi de Bohème, est venu le visiter. Mais quand ce dernier, sur le point de quitter l’île, cède aux prières de la reine plutôt qu’aux raisons du roi pour séjourner davantage, amour et amitié cèdent à la jalousie et la haine. Léonte est maintenant persuadé que sa femme a une relation adultère avec son ami et qu’elle en porte l’enfant. Fière et blessée, la reine Hermione préfère mourir après avoir donné naissance à une fille, Perdita, qui sera abandonnée. Polixène, lui, réussit à s’enfuir jusqu’à sa Bohème.

Un simple soupçon, que pas même l’oracle de Delphes d’habitude sibyllin, ne sera en en mesure de conforter, détruira un bonheur pourtant tangible : un ami de toujours, une famille aimable, des serviteurs dévoués. Faut-il que l’homme soit certain du caractère éphémère du bonheur pour précipiter ainsi sa fin ? Alors, l’homme préfère-t-il la certitude au bonheur ? C’est ce que semble dire la pièce de Shakespeare. L’homme, dans sa folie, oublie qu’il est la proie de sa condition et que le pouvoir ne le rend que plus esclave de celle-ci. Ces trois premiers actes de la pièce tendent déjà, dans la mise en scène de Lilo Baur, au caractère plus léger du quatrième, dit pastoral. Oui, peut-être faut-il finir par rire de cet éternel recommencement de la folie humaine ? De cette croyance dure comme fer en un pouvoir infini.

La certitude du pouvoir
L’avant-dernier acte nous amène donc en Bohème, seize ans plus tard. Dans la campagne, où les simples gens savent goûter les bonheurs d’un enfant amoureux, d’un repas champêtre et d’un chant folklorique. Il s’agit du mariage de deux jeunes gens : le fils du roi de Sicile croit prendre pour femme une paysanne et se cache de son père, il ignore en fait qu’il s’agit de Perdita qui avait été recueillie et élevée dans la simplicité.

L’allégresse envahit les planches : peut-être, là, la mise en scène de Lilo Baur se fait traînante et perd le spectateur et la densité du conte. Mais il n’est pas non plus désagréable, un instant, de souffler dans l’implacabilité des sentiments humains : la légèreté, à un endroit, serait possible. Cette légèreté est pourtant bien vite chassée quand le roi de Bohème arrive et voit son fils se marier faisant fi de l’avis paternel. Polixène interdit aux jeunes gens de se revoir et les poussent à l’exil. Le malheur serait-il là où il y a du pouvoir, royal ou paternel ? Parce que là où il y a le pouvoir, il y a la certitude d’avoir raison. Pareillement, seize ans plus tôt, on n’avait pu raisonner le roi.

C’est là la vertu du conte que de dire des choses universelles, celles-là même qui se répètent qui de toute éternité sans que jamais l’homme n’ait trouvé d’issue définitive. Ici, Shakespeare nous soulage en dénouant heureusement son drame. Le bonheur des enfants, de sang royal tout deux et amoureux, vient consoler la folie des pères. Cela suffit-il ?

« Le conte d’hiver » de William Shakespeare. Mise en scène de Lilo Baur.
Du 29 mars au 10 avril, Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses – Paris 18ème.

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