vendredi 12 novembre 2010

André Kertész au Jeu de paume : de la naïveté à la nostalgie


La rétrospective consacrée au photographe hongrois qu’accueille le Jeu de Paume jusqu’au mois de février se déroule chronologiquement. La progression qu’a connue le travail de celui que Henri Cartier-Bresson reconnaît comme l’un de ses maîtres n’en prend que plus d’ampleur et
de sens.

Les premiers tirages des photographies d’André Kertész (1894-1985) sont minuscules, il faut s’approcher des cadres sobres qui entourent de blanc des scènes champêtres (Jeune femme portant des seaux d’eau, Hongrie, 1918), des soldats austro-hongrois enrôlés dans la première guerre mondiale ou des enfants tziganes miséreux. La petitesse de ces clichés, les plus anciens d’ André Kertész, alors même qu’il n’est pas encore un « pro » (et il s’en défendra toujours), les fait plus précieux.

D’autres tirages, plus grands, révèlent déjà qu’elle est sa conception de la photographie : « Ma photographie est vraiment un journal intime visuel [...]. C’est un outil, pour donner une expression à ma vie, pour décrire ma vie, tout comme des poètes ou des écrivains décrivent les expériences qu’ils ont vécues ». Des images qui semblent sortir d’un lointain rêve, son frère Jenö y figure sur les plus significatives, ainsi en est-il de la photographie qui annonce l’exposition « Nageur sous l’eau », une image à la beauté cinématographique qui date de 1917 ! Une autre de son frère capte un le reflet de son visage sur l’eau (Mon frère Eugène à Duna Haraszti, Hongrie, 1919), vient encore illustrer l’intention du photographe : « J’interprète ce que je ressens à un moment donné. Pas ce que je vois, mais ce que je ressens ».

Rêve et bizarrerie sans prétention
Après la guerre, voulant persévérer dans la photographie et sans opportunités en Hongrie, il rejoint Paris en 1925. Il y deviendra vite une figure de l’avant-garde de la photographie : ombres portées, détails grossis et jeux de miroir (déformants), voici quelques-unes des techniques par lesquelles Kertész exprime le rêve et la bizarrerie sans, jamais, la prétention du surréalisme. Il revendique d’ailleurs son indépendance à l’égard de tout mouvement artistique. Il fréquente des artistes, photographie l’atelier de Piet Mondrian, fait de la danseuse Magda Förstner une superbe sculpture et compose le livre Paris vu par André Kertész. La vie qu’il y photographie passe devant son objectif, il ne les « fix/ge » pas comme en donnent le sentiment certaines photographies de Doisneau quelques années plus tard.

Etude avec une fourchette, 1928

La décennie parisienne sera aussi pour lui l’occasion d’être le quasi-initiateur du photo reportage, il travaille notamment pour l’agence VU (créée en 1928) : la photographie n’est plus la simple illustration de sujets mais le mode de les traiter. Ainsi en va-t-il pour Kertész avec, entre autres exemples, le reportage sur le moines de la Trappe de Soligny.

Danseuse burlesque, 1926

1936 - 1985 : New York
En 1936, André Kertész part pour New York avec sa femme Elisabeth. Là, la guerre qui empêche le photographe étranger qu’il est de travailler comme bon lui semble, l’incompréhension que suscitent certains de ses travaux le contraignent au « travail d’esclave » des commandes de magazines. Son espace d’expression est celui de la ville : un nuage égaré dans un ciel clair manque de cogner un gratte-ciel nous dit la désolation de l’artiste. La ville de New York n’en est pas moins présente, il est vrai, souvent au prisme de sa mélancolie européenne.

Nuage égaré, New York, 1937

La dernière série, touchante, que propose l’exposition du Jeu de Paumes est celle de polaroïds. From my window, dédié « à Elisabeth », regroupe 53 polaroids et est publié en 1981. Sa femme, disparue depuis quelques années, revient à la faveur d’un petit buste de verre : André Kertész en fait le sujet d’une série d’où émanent la tristesse due à l’absence de l’être aimé et l'apaisement d’un soleil couchant et d’une fin de vie. Disparu en 1985, celui qui se voulait un éternel amateur, semble avoir sa vie durant gardé la tendresse suffisante qui fait que la vie ne cesse d'impressionner.




Rétrospective André Kertész, Jeu de Paume (Concorde) jusqu'au 6 février 2011

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