mardi 3 avril 2012

« Banquises » de Valentine Goby

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Banquises n’est pas un mauvais livre : l’écriture et plutôt dense et bonne, les personnages psychologiquement recherchés et vraisemblables, l’intrigue non dénuée d’intérêt. Pourtant, quelque chose fait que l’on s’ennuie dans le dernier roman de Valentine Goby : quelque chose fait défaut.

Sarah a vingt deux ans quand, suite à la mort de sa meilleure amie, elle disparaît dans un voyage au Groenland. Aucun message, aucun corps, aucun indice ne permettra à la famille de savoir ce qu’elle est devenue : plus que tous les autres membres de la famille, l’impuissance de la mère face à l’incertitude est patente. C’est au travers des yeux de Lisa, la benjamine de la famille que le lecteur suit la disparition de l’aînée : ses prémices dépressifs, l’absence des premiers temps et finalement l’ombre éternelle de celle qu’elle n’arrivera jamais à remplacer. Empreinte d’autant plus indélébile que Sarah était de ces aînées qui prennent de la place par leur passion (ici la musique) et leur parole, elle était intarissable sur le sujet.

On devine ainsi que d’adorée à abhorrée, que passionnée ou silencieuse, l’aînée n’aura de cesse de prendre trop de place : dans le cœur des parents, dans le souci des parents, dans les rêves des parents. Et, finalement, c’est avec bien peu de mal, que Lisa s’en sort, prenant de manière quasi-stoïque les claques inconscientes de la mère quand celle-ci, au lieu de se réjouir de la publication du premier roman de sa puînée, la remerciera d'avoir gardé son patronyme comme un signal de plus à Sarah. C’est peut-être cela qui manque au livre de Valentine Goby : celle par qui la disparition nous est contée, Lisa, semble bien peu impliquée, y compris dans sa propre vie, comme effacée du roman.

Il y a bien ce voyage que Lisa initie au Groenland sur les pas de sa sœur des dizaines d’années plus tard. Loin de la famille qui accaparait la douleur et négligeait sa personne, là peut-être, peut se développer ce personnage, dans les contemplations de paysages désolés de la fonte de la glace, dans les échanges rustres avec des pêcheurs qui ont peut-être croisé Sarah. C’est d’ailleurs là une finesse qu’il faut reconnaître à l’auteur : le moteur du voyage de Lisa au Groenland n’est pas tant de découvrir un quelconque indice sur la disparition de sa sœur, fantasme parental, que de se retrouver, elle face à la disparition de Sarah.

"Banquises" Valentine Goby, Albin Michel

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