mercredi 29 février 2012

"La maison de Sugar Beach" de Helene Cooper

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Helene Cooper a été grand reporter, elle parcouru de la Chine à l’Irak. Journaliste reconnue, elle a travaillé pour le Wall Street Journal et le New York Times, elle est aujourd’hui correspondante à Washington pour ce dernier. Une vie riche en horizons pour mieux tourner le dos au pays où elle était née et avait vécu son enfance : le Libéria.

Quand Helene naît au Liberia dans les années 60, elle grandit dans un milieu extrêmement privilégié, celui des « Congos", esclaves affranchis et « fondateurs » du Libéria, représentant une très petite minorité de la population, ils détiendront toujours le pouvoir économique et politique, au mépris des « Indigènes ». La famille Cooper habite dans une grande maison et décide d’adopter Eunice, une « Indigène », comme une compagne pour leur fille naturelle, un duo de sœurs et d'amies, comme une personnification de la dualité de ce pays entre « Congos » et « Indigènes ».

Dans un style inégal qui tient davantage du témoignage que du récit, Helene Cooper nous raconte ainsi l’histoire de son pays, nouant la légende nationale à la généalogie de sa famille, sa fierté libérienne de petite fille à l’envie, déjà, d’aller étudier en Amérique. Cependant, ce sera contrainte et forcée qu’elle gagnera les Etats-Unis, pour fuir son pays qui, à partir de 1980, ne connaît que guerre civile et dictateurs, chacun s’efforçant à être plus sanguinaire que son prédécesseur sous prétexte de faire tomber la classe dominante.

Helene Cooper est privilégiée, certes, mais son existence n’en est pas moins marquée de drames. Cependant, des anecdotes, souvent drôles, nous retiennent toujours au bord d’un récit larmoyant. Ce qu’il y a là de plus touchant finalement, c’est ce lien avec Eunice, cette amitié dont on se rappelle l’intensité mais dont les années passées ont effacé la candeur. Abandonnée quand la famille Cooper part en Amérique, il n’était sûrement pas possible de penser trop à Eunice pour continuer de grandir, elle qui, pourtant, vivra les désordres du Libéria.

Davantage que la maison de son enfance, la sépulture de son père ou un reportage pour le Wall Street Journal, c’est Eunice qui fondera la visiste de Helene Cooper dans son pays : une « Congo » et une « Indigène », une réfugiée politique aux Etats-Unis et une femme vivant des dizaines d’années au cœur de la guerre civile, une journaliste et une vendeuse de savon sur le bord de la route… Ces vies étaient différentes dès l’origine. Si Eunice et Helene se rencontrèrent et se lièrent d’amitié quelques années, aujourd’hui, n’est-ce pas seulement de la culpabilité ?

"La maison de Sugar Beach" Helene Cooper, éditions ZOE, collection "écrits d'ailleurs"

dimanche 19 février 2012

« Room » d’Emma Donoghue

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

« Room » fait trembler, on le lit parce que l’on veut connaître la fin, on veut savoir comment des êtres se sortent de la claustration et de la folie d’un individu pervers. Jack vit enfermé dans une chambre de quelques mètres carré avec sa mère enlevée par un être pervers sept années auparavant. L’enfant évolue sans problème dans cet espace fini, la mère, elle, pense au « Dehors » dont elle cache la réalité à son fils ; tous les deux survivent par une relation fusionnelle.

Emma Donoghue se risque à emprunter le point du vue de l'enfant, ce qui peut rendre la lecture quelque peu pénible : l'expression est répétitive, d'autant plus quand l'enfant ne connaît qu'un seul et même environnement. Certes, ces répétitions sont aussi là pour nous rappeler la similitude des jours et la nécessité d'instituer des habitudes, des quasi rituels, pour ne pas tomber dans la folie.

Le livre est dérangeant à plus d’un titre car en plus de mettre des personnages dans une situation atroce (et l’actualité nous a rappelé à plusieurs reprises que cette horreur ne naissait pas dans la tête des romanciers), il parle aussi de ce que Jack appelle le « Dehors », notre monde et c’est par des yeux vierges de tous ses codes qu'on le découvre, réinterrogeant nos habitudes.

Et ce jeune garçon, qui ne connaît que la Chambre se trouve mal dans ce Dehors, il regrette ces repères d’avant, ce lieu où l’ennemi était identifié et où il savait ce qu’il allait se passer. Finalement, Jack est désormais forcé de ne pas savoir ce qu'il se passera car le monde extérieur contient un nombre illimité de possibilités ; Jack doit apprendre que cette grande frayeur devant l'inconnu s’appelle en fait liberté.

"Room" d'Emma Donoghue, Stock

jeudi 16 février 2012

"Les fantômes de Belfast" de Stuart Neville

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

S’il fallait retenir une morale de l’histoire que raconte Stuart Neville dans « Les fantômes de Belfast », ce serait que tout se paye un jour ou l’autre, même tardivement. Ici, cette revanche de la vie hésite entre réalisme de la violence et angoisse du fantastique.

Gerry Fegan est un ancien tueur à la solde de l’IRA. Pour ces crimes, il a payé des années de prison et ses compères lui sont reconnaissants de son action et lui assurent un travail. Il pourrait donc vivre paisiblement maintenant qu’un accord a été signé entre Irlandais du Nord et Britanniques. Seulement, les fantômes de ceux qu’il a tués, injustement, se rappellent à lui et ne lui laissent aucun instant de répit.

Métaphore de la mauvaise conscience, ils réclament la mort des commanditaires de leur meurtre à Gerry Fegan. Las de tuer, il sera pourtant obligé d’éliminer ses anciens camarades, pour certains devenus responsables politiques, pour racheter ces fautes. Stuart Neville dessine une vengeance que rien ne saurait arrêter, pas même une belle rencontre avec une femme, pas même l’innocence d’une enfant : c’est un sombre tableau.

L’histoire reste cependant un peu répétitive et on imagine vite la tournure que prendront les événements quand les chapitres soustraient au fur et à mesure des meurtres accomplis le nombre de vengeances qu’il reste à effectuer. On persiste quand même jusqu’à la fin en souhaitant que Gerry Fegan gagne un peu de repos et même de chaleur humaine après cette vie de misère. Mais il n’en sera rien car lui aussi, finalement, paye ses actes dont il reste l’auteur même s’il ne fut que le bras armé de cette guerre.

Un sombre tableau également car l’auteur décrit les manœuvres et la violence politiques qui restent les rouages d’une région qui est pourtant censée connaître la paix aujourd’hui, une manière de dire, aussi que l’Histoire prend le temps de panser ces plaies et qu’un simple accord ne suffit pas à oublier les dizaines d’années de guerre et de pauvreté.

"Les fantômes de Belfast" Stuart Neville, Rivages

jeudi 9 février 2012

"Gaston et Gustave" d'Olivier Frébourg

Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

Dans son dernier roman, Olivier Frébourg cite François Nourissier : «Faire des livres ou des enfants ». Si l’antagonisme entre création et procréation a souvent été évoqué pour le cas des artistes féminines, il est plus rare que cela le soit pour des hommes. Pourtant, l’auteur est déjà père quand il apprend la grossesse gémellaire de sa femme, Camille. C’est parce qu’un seul enfant survivra à un accouchement précoce, que cette question s’impose à lui. Il la développe dans un très beau roman.

Quand, pendant plusieurs mois, Olivier Frébourg, accablé de culpabilité, rend visite à son fils Gaston, soigné dans le service néonatal de l’hôpital de Rouen, il est quotidiennement accueilli par la statue de Flaubert, un auteur pour lequel il entretient, depuis son adolescence, une quasi-dévotion. Celui-là même avait décidé de sacrifier sa vie à la littérature : l’accusé est donc tout trouvé, c’est certain : « la littérature a tué mon fils ». Et l’auteur n’aura de cesse de mettre à jour des indices marquant l’évidence de la culpabilité de la littérature. Lui, évidemment, est grand complice. D’abord parce que la littérature est son métier, éditeur passionné, c’est ce qui l’éloigne de sa famille mais aussi et surtout parce que, dit-il, «je mets la littérature entre la réalité et moi », son pouvoir à la fois magique et impuissant de rendre la vie plus supportable.

C’est cette expérience que fait l’auteur. Comme si la littérature signifiait ce refus de grandir, un refus de la compromission propre aux enfants, « ils sont dans la vérité », et la volonté de persévérer dans un imaginaire salvateur et idéaliste parce qu’elle fonctionne comme un refuge à l’imperfection de la vie, parce qu’elle ne cesse jamais de « rêver d’un autre monde, d’une autre vie, ne pas se satisfaire du corset du quotidien ». Finalement, Olivier Frébourg pose la question de la vitalité de la littérature, se demande si, à force d’idéalisme, elle n’empêcherait pas toute action et ne se dresserait pas à l’inverse de la vie : Flaubert ne quittera jamais sa mère, refusera d’aimer et d’avoir des enfants, une infécondité qu’il estime nécessaire à la création littéraire.

Puis, Gaston sort de l’hôpital, grandit et Camille part. De cette rupture, Olivier Frébourg fera le départ d’un voyage en Bretagne, sur les pas de Flaubert. Pour exorciser son chagrin, il se met en mouvement comme pour exorciser la réalité, il s’était plongé dans la littérature. Mais il y trouve aussi une réconciliation entre la vie et la littérature.

"Gaston et Gustave" Olivier Frébour, Mercure de France

 
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