Des artistes du 20ème siècle accueillis par Marguerite et Aimé Maeght, passant leurs vacances ensemble à Saint Paul de Vence, il faut faire table rase. De cette amitié artistique, il n’en sera pas question dans la grande exposition qui ouvre la saison du Louvre : "Titien, Tintoret, Véronèse… Rivalités à Venise". La rivalité est certes noble, de celle qui permet une saine émulation entre les artistes vénitiens, mais elle n’empêche pas les coups bas. Tant que cela profite à la création artistique comme le constate le peintre et écrivain Carlo Ridolfi, dès le 17ème siècle : « Parce qu’il avait en face de lui Véronèse, Tintoret dut apporter un soin particulier à ces peintures, car la présence d’un rival sert parfois de stimulant, dans la mesure où l’artiste met un point d’honneur à ne pas être surpassé. »
Dans Les Noces de Cana, Véronèse peint la « noble rivalité » vénitienne : selon la tradition, il se serait représenté dans une scène de musique en compagnie de Tintoret, Bassano et Titien, chaque peintre s'exprime avec son instrument tout en s’unissant aux autres dans un concert harmonieux. Cette rivalité dans la peinture du 16ème siècle, conçue comme une saine émulation, est un des facteurs importants de la création artistique. En commençant une nouvelle composition, chaque peintre savait que son œuvre serait jugée en comparaison des tableaux de ses contemporains.
Le régime politique très particulier de la République de Venise et sa structure sociale favorisent grandement la diversité artistique : la présence de nombreuses familles riches, l’importance de l’Eglise en pleine Contre-réforme, le réseau des puissantes confréries (scuole) multiplient les opportunités de travail. Le mécénat entretient une véritable rivalité entre les artistes ; on organise même des concours pour l’attribution des commandes les plus prestigieuses (le décor de la bibliothèque Marciana, de la Scuola di San Rocco et celui de la tribune du Doge dans la Salle du Maggior Consiglio du palais des Doges). Le climat de tension perpétuelle de Venise au 16ème siècle réussissait bien au développement des meilleurs peintres car il les exaltait. Trois peintres de la seconde moitié du 16ème siècle se distinguent par leur talent : Titien, Tintoret et Véronèse.
Dans Les Noces de Cana, Véronèse peint la « noble rivalité » vénitienne : selon la tradition, il se serait représenté dans une scène de musique en compagnie de Tintoret, Bassano et Titien, chaque peintre s'exprime avec son instrument tout en s’unissant aux autres dans un concert harmonieux. Cette rivalité dans la peinture du 16ème siècle, conçue comme une saine émulation, est un des facteurs importants de la création artistique. En commençant une nouvelle composition, chaque peintre savait que son œuvre serait jugée en comparaison des tableaux de ses contemporains.
Le régime politique très particulier de la République de Venise et sa structure sociale favorisent grandement la diversité artistique : la présence de nombreuses familles riches, l’importance de l’Eglise en pleine Contre-réforme, le réseau des puissantes confréries (scuole) multiplient les opportunités de travail. Le mécénat entretient une véritable rivalité entre les artistes ; on organise même des concours pour l’attribution des commandes les plus prestigieuses (le décor de la bibliothèque Marciana, de la Scuola di San Rocco et celui de la tribune du Doge dans la Salle du Maggior Consiglio du palais des Doges). Le climat de tension perpétuelle de Venise au 16ème siècle réussissait bien au développement des meilleurs peintres car il les exaltait. Trois peintres de la seconde moitié du 16ème siècle se distinguent par leur talent : Titien, Tintoret et Véronèse.
Les Noces de Cana, Véronèse, 1562-1563, Musée du Louvre
Une rivalité au service de l'art
Employé à la fois par le pape (en 1542, il réalise les portraits de la famille du pape Paul III, les Farnèse) et l’empereur (il reçoit une commande de Charles Quint), Titien avait atteint les sommets du mécénat princier. Au cours de ces années, il était devenu non seulement le plus grand peintre de Venise aux yeux des commanditaires publics et privés, mais aussi celui dont les princes les plus puissants de l’Europe recherchaient les œuvres. Deux rivaux allaient pourtant arriver : le premier et le plus jeune était Tintoret, doté d’une ambition dévorante. D’emblée, il a cherché à s’identifier à la nouvelle manière en vogue dans l’Italie du centre, inspirée par Michel-Ange. Dans Saint Augustin guérissant les infirmes, Tintoret est allé plus loin qu’aucun autre artiste vénitien dans l’adoption du langage pictural du michelangélisme.
Véronèse, quant à lui, a un talent précoce, il avait trouvé sa propre expression avant même d’arriver à Venise. Avec le Retable Giustiniani, Véronèse démontre sa capacité à travailler sur un mode contemporain ancré dans la tradition vénitienne, et flattant l’orgueil de Titien, tout en se démarquant de Tintoret. Ainsi, au milieu des années 1550, une fois Véronèse fermement établi sur la scène vénitienne, les trois rivaux avaient endossé les rôles qui joueraient pendant le reste de leur existence. Tintoret débuta comme challenger de Titien, s’attirant ainsi l’inimitié de ce dernier pour toute sa vie ; mais ils continuèrent malgré tout, à apprendre l’un de l’autre et à emprunter l’un à l’autre. Véronèse, d’abord marqué par les influences de l’Italie centrale autant que Tintoret, s’identifia néanmoins très tôt à Titien.
Tintoret et Véronèse vont ouvrir à partir des années 1550 deux voies très différentes mais également valable à l’art vénitien. Les trois peintres s’étaient imposés sur la scène artistique de Venise comme des artistes chevronnés, la rivalité entre Titien, Tintoret et Véronèse put prendre toute son ampleur au milieu des années 1550, transformant la peinture italienne. Le fait que tous les trois choisirent de rester à Venise pendant la totalité de leur carrière, et ne pas succomber à la tentation sécurisante de vivre dans une cour princière étrangère, suggère qu’ils avaient compris que leur rivalité était la clé de leur perpétuelle créativité.
Au plus audacieux
Considérant les enjeux, il n’est pas surprenant que les choses aient pu s’envenimer, chacun rivalisant de fourberie. Le plus fameux exemple d’intrigue imaginée par un artiste vénitien de la Renaissance remonte à 1564 lors du concours pour le plafond de la Sala dell’Albergo (salle du Conseil) dans la Scuola Grande di San Rocco, une confrérie prestigieuse. Un des membres de la confrérie avait promis une somme bien supérieure que la normale pour la peinture si elle était attribuée à un autre que Tintoret. La tension était donc à son comble lorsque les quatre peintres en compétition viennent présenter leur projet (Tintoret, Véronèse, Salviati, Zuccaro). Alors que c’est le tour de Tintoret, au lieu de dévoiler un dessin comme les autres, il présente une peinture sur une toile achevée et installée à l’emplacement prévu. Le peintre avait sans aucun doute reçu l’aide d’un des membres de la scuola. Cette audace agaça les autres peintres et le reste de la scuola à cause du non respect du protocole. Eloquent, Véronèse expliqua qu’il n’était pas facile de se rendre compte d’une peinture à partir d’un dessin et que la scuola, il l’offrirait à Saint-Roch (thème de la commande), sachant très bien que la scuola était dans l’obligation d’accepter toutes les donations. De cette manière, Tintoret entrava temporairement l’ascension de Véronèse et il obtint d’autres commandes pour l’ornement de cette salle.
Si les mécènes payaient la facture, les artistes, eux, considéraient que leur public le plus important, dans le monde antique comme dans la Venise du 16ème siècle, étaient leurs pairs. Pour que Titien, Tintoret et Véronèse aient pu songer à se propulser individuellement, il fallait qu’ils pussent jouir d’une certaine liberté artistique, choisir leurs sujets et les interpréter à leur guise. Les peintres devaient certainement avoir le droit de refuser certaines commandes et d’en convoiter d’autres particulièrement. Ainsi Titien parvenu à la maturité paraît avoir exercé son libre arbitre à un degré impensable jusqu’alors dans ses relations avec ses mécènes les plus puissants.
Exposition au Musée du Louvre à Paris du 17 septembre 2009 au 4 janvier 2010, organisée en partenariat avec le Museum of Fine Arts de Boston. 86 tableaux répartis en 5 sections.
Catalogue : Titien, Tintoret, Véronèse … Rivalités à Venise, sous la direction de Jean Habert et Vincent Delieuvin, commissaires de l’exposition, conservateurs au département des Peintures, musée du Louvre. Coédition Hazan / Les Editions du Musée du Louvre - 480 p., 42€.
Véronèse, quant à lui, a un talent précoce, il avait trouvé sa propre expression avant même d’arriver à Venise. Avec le Retable Giustiniani, Véronèse démontre sa capacité à travailler sur un mode contemporain ancré dans la tradition vénitienne, et flattant l’orgueil de Titien, tout en se démarquant de Tintoret. Ainsi, au milieu des années 1550, une fois Véronèse fermement établi sur la scène vénitienne, les trois rivaux avaient endossé les rôles qui joueraient pendant le reste de leur existence. Tintoret débuta comme challenger de Titien, s’attirant ainsi l’inimitié de ce dernier pour toute sa vie ; mais ils continuèrent malgré tout, à apprendre l’un de l’autre et à emprunter l’un à l’autre. Véronèse, d’abord marqué par les influences de l’Italie centrale autant que Tintoret, s’identifia néanmoins très tôt à Titien.
Tintoret et Véronèse vont ouvrir à partir des années 1550 deux voies très différentes mais également valable à l’art vénitien. Les trois peintres s’étaient imposés sur la scène artistique de Venise comme des artistes chevronnés, la rivalité entre Titien, Tintoret et Véronèse put prendre toute son ampleur au milieu des années 1550, transformant la peinture italienne. Le fait que tous les trois choisirent de rester à Venise pendant la totalité de leur carrière, et ne pas succomber à la tentation sécurisante de vivre dans une cour princière étrangère, suggère qu’ils avaient compris que leur rivalité était la clé de leur perpétuelle créativité.
Au plus audacieux
Considérant les enjeux, il n’est pas surprenant que les choses aient pu s’envenimer, chacun rivalisant de fourberie. Le plus fameux exemple d’intrigue imaginée par un artiste vénitien de la Renaissance remonte à 1564 lors du concours pour le plafond de la Sala dell’Albergo (salle du Conseil) dans la Scuola Grande di San Rocco, une confrérie prestigieuse. Un des membres de la confrérie avait promis une somme bien supérieure que la normale pour la peinture si elle était attribuée à un autre que Tintoret. La tension était donc à son comble lorsque les quatre peintres en compétition viennent présenter leur projet (Tintoret, Véronèse, Salviati, Zuccaro). Alors que c’est le tour de Tintoret, au lieu de dévoiler un dessin comme les autres, il présente une peinture sur une toile achevée et installée à l’emplacement prévu. Le peintre avait sans aucun doute reçu l’aide d’un des membres de la scuola. Cette audace agaça les autres peintres et le reste de la scuola à cause du non respect du protocole. Eloquent, Véronèse expliqua qu’il n’était pas facile de se rendre compte d’une peinture à partir d’un dessin et que la scuola, il l’offrirait à Saint-Roch (thème de la commande), sachant très bien que la scuola était dans l’obligation d’accepter toutes les donations. De cette manière, Tintoret entrava temporairement l’ascension de Véronèse et il obtint d’autres commandes pour l’ornement de cette salle.
Si les mécènes payaient la facture, les artistes, eux, considéraient que leur public le plus important, dans le monde antique comme dans la Venise du 16ème siècle, étaient leurs pairs. Pour que Titien, Tintoret et Véronèse aient pu songer à se propulser individuellement, il fallait qu’ils pussent jouir d’une certaine liberté artistique, choisir leurs sujets et les interpréter à leur guise. Les peintres devaient certainement avoir le droit de refuser certaines commandes et d’en convoiter d’autres particulièrement. Ainsi Titien parvenu à la maturité paraît avoir exercé son libre arbitre à un degré impensable jusqu’alors dans ses relations avec ses mécènes les plus puissants.
Exposition au Musée du Louvre à Paris du 17 septembre 2009 au 4 janvier 2010, organisée en partenariat avec le Museum of Fine Arts de Boston. 86 tableaux répartis en 5 sections.
Catalogue : Titien, Tintoret, Véronèse … Rivalités à Venise, sous la direction de Jean Habert et Vincent Delieuvin, commissaires de l’exposition, conservateurs au département des Peintures, musée du Louvre. Coédition Hazan / Les Editions du Musée du Louvre - 480 p., 42€.
génial, vivement le 17 et ma carte chômeur !
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