Au centre de la terre, au point vers lequel les yeux des spectateurs du monde entier sont rivés, un bureau ovale. L’air goguenard et les jambes sur la table, Georges y écoute les appels à la guerre de son secrétaire d’Etat à la Défense, Donald, et de son Vice président, Dick, qui est aussi, et très accessoirement, administrateur de la compagnie pétrolière américaine Halliburton. Dans le Projet pour un Nouveau Siècle Américain* de ces deux faucons, l’Irak comme les Nations Unies sont à rayer de la carte : la première est une nation dirigée par un dictateur « fou » et la seconde n’est qu’un « moulin à paroles », une « absurdité onéreuse ». Autant d’expressions qui font bondir le populaire Colin dont la doctrine prône la guerre en dernière limite. Le Vétéran du Vietnam a beau plaider pour la nécessité de ménager les alliés britanniques, ou de celle faire des plans de reconstruction, il se bat dans le vide.
Le londonien Tony pourra, lui aussi, déployer des trésors d’éloquence dans les prairies du ranch Bush, le cabinet américain est pressé de venger les siens. Ni le Secrétaire d’Etat américain ni ses voisins français ne pourront l’aider… Surtout pas ces « serpents » de Français qui après avoir promis à Powell de discuter les résolutions onusiennes, annoncent par les voies d’un poète que, quoi qu’il en soit, ils n’iront pas en Irak. Vive Dominique et son copain Chirac !! crie-t-on à Washington : la Chambre des Lords peut bien flamber, sans les Français, membres permanent du Conseil de Sécurité, la résolution ne sera pas votée. La guerre « préventive » est lancée ! Et Tony, loyal « prêcheur » désireux de sauver un pays en proie à un affreux dictateur, d’accompagner ses compagnons anglo-saxons… Le malin texan est chanceux…
Ce que le spectateur avait lu jour après jour dans les journaux, David Hare en a fit une tragédie finement ficelée, aussi énergique que didactique. Les protagonistes, des comédiens qui ont adopté la figure et la gestuelle des politiques qu’ils incarnent, décident du sort du monde autour de quelques repas bien arrosés, s’engueulent en vieux copains et provoquent Européens ou Américains, en tous cas Arabes, par caméras interposées. Dans leurs ballets, point de désert, ni d’Irakiens, encore moins d’Armes de Destructions Massives, seulement des positions politiques ou professionnelles à maintenir, des électeurs à gagner, des cauchemars personnels ou des nécessités de se représenter.
La tragédie moderne serait ce que politologues ou sociologues appellent dans leur jargon path dependance : les grandes décisions des nations sont fonctions des routines et des histoires que leurs dirigeants ont accumulés. Non sans humour, le génie londonien David Hare (le scénariste de The Hours et de The Reader, que faut-il d’autre pour convaincre ?) le démontre théâtralement. Et finement.
Que vous soyez ou non géopoliticien, le court parcours jusqu’au Amandiers est plus que conseillé (d’autant plus que le texte en VF n’est pas encore édité) !
Stuff Happens, au Théâtre Nanterre-Amandiers, texte de David Hare, mis en scène par Bruno Freyssinet et William Nadylam, Avec B. Amann, D. Berlioux, O. Brunhes, C. Camp, A. Carbonnel, A. Décarsin, A. Diop, P. Duclos, G. Germain, F. Michel, E. Prat, A Rimoux, V Winterhalter, N Yanoz, du 13 au 31 mai 2009, du 1er au 14 juin 2009.
Marie Barral
Article paru dans la Boîte à sorties le 13 mai 2009
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