En Illyrie, petit pays imaginaire d’Europe centrale occupé par l’armée allemande, les communistes se déchirent. A l’inverse de la frange du Parti dirigée par Louis et à laquelle Hugo est affiliée, Hoederer estime qu’un compromis doit être passé avec les conservateurs en vue d’obtenir des sièges au Parlement. Pour Hugo, sa muse Olga et leur chef Louis, de tels accommodements sont intolérables : la fin ne justifie pas ce moyen là… En revanche, d’après leur logique, elle en justifie un autre : la mort de Hoederer.
Pour ce faire, Hugo qui s’est porté volontaire pour mener une « action directe » deviendra secrétaire d’Hoederer. Pourtant, cette tactique, qui aurait du lui faciliter l’assassinat, le rendra, au final et pour la même raison (la proximité), plus difficile encore : comment tuer un homme que l’on regarde dans les yeux, dont on perçoit les doutes et la solitude, et qui, chaque matin vous sert un café merveilleux ; comment le tuer simplement parce qu’il n’a pas les mêmes idées ? Hugo gardera-t-il les mains propres en le faisant, et ce quand bien même sa cible les a, elle, de la couleur des hommes d’Etats aux affres avec le pouvoir, c’est-à-dire noires ?
« Nul ne gouverne innocemment » : le mot de Saint Just qui a inspiré à Sartre cette pièce est symbolisé par Hoederer mais aussi par Louis et Olga qui prennent la décision du meurtre. En intellectuel torturé lisant tantôt Marx tantôt Hegel, Hugo est coincé entre ces deux versants d’une même pièce. Et la seule personne apolitique de son entourage, celle qui pourrait lui donner les plus neutres conseils, ne l’aide en rien : « Hugo, suppose que tu aies rencontré Hoederer l’an dernier, au lieu de Louis. Ce sont ces idées à lui qui te sembleraient vraies ». Le relativisme de Jessica ne peut être pour son époux une échappatoire. Hugo, qui a pris les traits de Sartre, se doit de choisir.
Pour cette pièce existentialiste, Guy-Pierre Couleau a choisi une mise en scène sobre et classique. Outre les projecteurs, la scène est illuminée par la fraicheur malicieuse d’Anne Le Guernec (Jessica) et l’humour des deux gardes du corps d’Hoederer, molosses attendrissants que sont, pour l’occasion, Olivier Peigné (Karsky) et Stéphane Russel (Slick).
Gauthier Baillot est touchant en Hoederer aussi rude que bon pour qui la Révolution est une affaire de vies humaines à sauver avant que d’être une somme d’idées ; droit dans ses bottes, il n’a qu’un mot en bouche “le travail”, la tâche à accomplir coûte que coûte. Dans cette pièce de Sartre, il est un personnage “camusien” celui du Dr Rieux de La Peste… En 1948, Sartre et Camus étaient encore amis. Sartre n’était pas encore compagnon de route du Parti communiste (il faudra pour cela attendre les années 50), il venait de participer à la création du Rassemblement démocrate révolutionnaire, une formation qui rejetait à la fois le stalinisme et le réformisme… C’est cette impossible conciliation (aux prémices de la Guerre Froide) qu’incarnent Hugo/Sartre de 1948, et, sur scène, le jeune, bel et torturé Nils Ohlund.
Les mains sales, de JP Sartre, mis en scène par Guy-Pierre Couleau, au théâtre Louis Jouvet, square de l’Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e, Métro Opéra, RER A Auber, du jeudi 7 au samedi 30 mai 2009, mardi 19h, mercredi au samedi 20h, matinées exceptionnelles : dimanche 17 mai à 16h et samedi 30 mai à 15h, grande salle, location : 01 53 05 19 19. 2h30 sans entracte.
Les Justes, mise en scène Guy-Pierre Couleau, du 3 au 6 juin 2009, au même endroit.
Marie Barral
Crédits photos © Grégory Brandel / Synchro X
Article paru dans La boîte à sorties le 8 mai 2009
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