A François, Barbara n’a rien dit de ses journées traînées à l’hôpital, des systèmes D mis au point pour éviter d’effrayer les enfants de l’école, du psychiatre qui continue à la suivre et de son ancien visage. A quoi bon ? Lui l’a rencontrée comme cela, avec la gueule de la défunte, jeune, fraîche, presque banale. De la machine à café, ils sont descendus au parc courir puis elle, celle qui effrayait jusqu’aux aveugles, s’est glissée dans le lit de l’homme le plus convoité de l’entreprise. L’infographiste y serait-elle aujourd’hui si elle avait fait savoir que son minois n’était qu’un visage d’emprunt, un visage volé, modifié, baladé au bout d’un cou comme une tête de Jivaros religieusement portée par sa pique ? De toutes façons, l’ancienne (la tête) n’est plus, même ces photos envoyées anonymement sur lesquelles son visage d’enfant n’est qu’un trou béant le prouvent…
Ces deux Barbara, le monstre et l’amoureuse de François, la plume de Claire Legendre les incarne alternativement. L’expérience de la monstruosité est narrée de l’intérieur et, si le miroir et les regards des autres renvoient la jeune femme à son immondice, jamais le lecteur n’y est visuellement - par le truchement d’une description par exemple- confronté. En revanche, il est plongé dans les doutes de la “malade”, dans ses histoires de cœur avortées et dans son “cahier des défauts” qu’en anti-esthète elle remplit depuis le lycée d’un joli coup de crayon et qui lui permet, figure anormale au milieu des sains, de déceler le monstre chez ses voisins. Un roman à gober, en écorché.
« Barbara réussit presque à y croire. J’ai été défigurée. Elle parle seule, en étalant la crème sur les joues. J’ai été défigurée. « Tu as un accident ? - Non c’est ma mère, elle ne voulais pas que je sorte, alors elle a serré les jambes comme une malade, et elle m’a un peu amochée. - C’est dégueulasse ! - Ouais, c’est vraiment dégueulasse. » Barbara se maquille. Elle adore ça : du bleu sur les yeux, du rouge sur les lèvres. Elle est soigneuse. Les collègues disent qu’elle est toujours très bien maquillée. Le dessin de la bouche, magnifique. Et a peau blanche… Barbara s’applique, devant le miroir de la salle de bains. Il fait chaud. L’angoisse peut descendre tranquillement le long de l’oesophage, avec un verre d’eau fraîche. » (p 63)
L’écorchée vive, de Claire Legendre, Grasset, Mai 2009, 249 p. 18 euros
Marie Barral
Article paru dans la boîte à sorties le 19 mai 2009
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