Le 20 janvier prochain, le premier long métrage du bédéiste Joann Sfar sort sur les écrans. Avant cette sortie cinématographique, Dargaud a orchestré la sortie de deux albums en rapport avec le film : avant « Gainsbourg (vie héroïque) », nous pourrons donc parcourir deux livres (ni une bande dessinée, ni un story-board) : « Gainsbourg (hors champ) » et « Gainsbourg (images) », un millier d'images : croquis, notes graphiques grandes illustrations racontant la vie de Gainsbourg et la préparation du film. Ce regain d’actualité pour Joann Sfar est l’occasion de revenir sur son parcours de dessinateur.
Joann Sfar est né en 1971à Nice. Son père est séfarade et sa mère ashkénaze. Son grand-père faillit être rabbin. Sans être consacré au sujet, les albums de Joann Sfar sont habités de références kabbalistiques. De l’enseignement juif et philosophique, on pourrait dire qu’il a gardé le goût de la contradiction, un certain rapport à la langue et à la lettre et pour le cosmopolitisme. Il commence à dessiner jeune, peut-être par ennui. A 15 ans, il envoie son travail à quelques éditeurs mais encaisse les refus. Il continue alors ses études et entame un cursus de philosophie à Nice où il travaille sur le problème de la figuration chez les peintres juifs (Le Complexe du Golem), Joann Sfar a terminé sa formation aux Beaux-Arts de Paris, dans l'atelier de Pierre Caron. Il se passionne pour les cours de morphologie.
Brouillon ou prolifique : l’œuvre de Joann Sfar
Puis, pour la première fois, en 1994, trois éditeurs acceptent de le publier en commençant par Noyé le poisson chez L’Association. Depuis, Joann Sfar commence de multiples séries sans forcément les achever, il ne se fixe pas de calendriers, ses œuvres donnent ainsi l’impression d’être en roue libre et sans véritable unité. Sur son blog (toujourserslouest.org), il s’explique de cette suractivité qui pourrait sembler manquer d’aboutissement : « (…) raconter en quelques mots ce que c'est, pour moi, de faire des albums de bandes dessinées. Ce sont des voix. Petit Vampire. Le Minuscule Mousquetaire. Grand Vampire. Chacun de ces personnages c'est une voix. A chaque fois, j'essaie que chaque album constitue une histoire complète. Et j'annonce la suite en fin d'album pour dire que cette petite voix n'est pas morte, qu'on l'entendra à nouveau un jour. (…) Je voulais dire que je sais écrire des histoires avec un début un milieu et une fin. Quand j'écris pour le cinéma, je crois que c'est ce que je parviens à donner.»
A un rythme effréné donc, il apparaît au générique de plus d’une centaine d’albums réalisés seul ou en compagnie et ce pour une dizaine d’éditeurs. Chez l'éditeur Delcourt, il est vu comme un scénariste, et son œuvre montre un goût du conte. A l'Association, il raconte des histoires moins convenues avec un trait bien à lui, apparemment désinvolte mais surtout soucieux de ne pas gâcher l'énergie de l'instant et de l'inspiration par la préoccupation de faire un « beau dessin ». Il se rapproche d'artistes du dessin de presse ou d'humour. Il a d’ailleurs tenu une page hebdomadaire (Mon cahier d'éveil) dans Charlie Hebdo entre mi-2004 et septembre 2005. Sa philosophie de travail : « Rester en posture d’élève », se sentir « à l’égard du dessin comme le philosophe à l’égard de la vérité : non pas prétendre la détenir, mais cheminer avec justesse dans sa direction. » (Libération, 25 novembre 2003).
Parmi ses séries marquantes, il y a bien sûr Le Petit Prince, avec Cassian, Joann Sfar crée une espèce de double du Petit Prince en sexué et amoureux, porteur d’interrogations contemporaines et échappé du désert pour vivre dans un monde luxuriant. Pendant le tournage de « Gainsbourg », Joan Sfar dessinait pour se détendre et a attaqué une nouvelle série : L’Ancien Temps qui marque le retour de l’auteur à un travail de bande dessinée personnel.
« Le dessin signifie juste : regarde avant d’ouvrir ta gueule »
Joann Sfar trouve que la France est très en retard dans le domaine du livre illustré, incapable de donner un visage autre que « naturaliste » aux peurs contemporaines. Dans ses carnets autobiographiques, il dit : « Le dessin fait voler en éclats les chimères philosophiques et littéraires qui nous séparent des choses. On entre en dessin comme on briserait une glace. On y découvre que l’autre n’existe pas, que les êtres et les choses ne sont pas délimités. Que nous ne sommes qu’un bain de formes. Aussi sûrement que la poésie d’Henri Michaux, le dessin renseigne sur ce que nous sommes. ».
Après la bande dessinée, le commentaire philosophique (Candide et Le Banquet, éditions Bréal : classiques de philosophie annotés et illustrés par Sfar, ainsi que de petits dialogues) et le roman (L'Homme arbre), Joann Sfar s'est donc attaqué à un nouveau défi : l'écriture d'un scénario pour le cinéma.
La réalisation : « Gainsbourg (vie héroïque) »
Joann Sfar a déjà participé à la réalisation de clips (Dyonisos, Thomas Fersen) mais « Gainsbourg (vie héroïque) » est son premier long métrage. Un casting haut de gamme : Eric Elmosnino dans le rôle titre (Sfar pense d’abord à faire jouer Serge Gainsbourg par sa fille, Charlotte Gainsbourg hésite puis elle refuse), Gonzales pour ses mains, Laetitia Casta, Anna Mouglalis, Yolande Moreau… 14 millions de budget : « C’est un mélange de superproduction et de bouts de ficelle » (L’Express, 10 septembre 2010).
Joann Sfar s’est indéniablement construit une véritable légitimité dans le monde de la bande dessinée mais il en va autrement dans le cinéma et il a décidé de commencer en nous livrant une vision personnelle de Serge Gainsbourg, bien loin d’un biopic à l’américaine à laquelle sa vie se serait pourtant facilement prêtée. Si d’autres avaient déjà pensé à faire un film sur Gainsbourg, ils n’avaient pas franchi l’obstacle des ayants droit, « ils m’ont dit oui, sans doute parce que mon projet était le plus bizarre, qu’il s’agissait pour moi de fabriquer une mythologie et non pas de suivre servilement le détail de la vie de quelqu’un. » (Télérama, 29 juillet 2009). Ferait-il même de la vie de Gainsbourg un conte philosophique ? : « Ce sera aussi une histoire de trahison et de renoncement : Gainsbourg voulait faire de la peinture, et ça n’a pas marché, il voulait faire du jazz et c’est resté confidentiel, il s’est résolu à écrire pour les gamines, il a fait des concessions et le succès est venu – mais l’œuvre est restée sublime. Si ce film a la vertu d’enseigner aux jeunes gens que l’intégrité peut être un défaut, tant mieux… » (Télérama, 29 juillet 2009)
Déjà, à peine arrivé à Paris, Sfar est attiré par le personnage de Serge Gainsbourg : quelques mois avant sa mort, il pense faire une BD à partir de son roman "Evguenine Sokolov", Sfar dépose quelques pages dans la boîte aux lettres rue de Verneuil, comme une espèce d’hommage. C’est ainsi que la toute première BD de Sfar disparaît.
Gainsbourg (hors champ)
Dans l’introduction, Sfar se remémore à propos du tournage : “J’avais sans cesse un sourire d’une oreille à l’autre et les larmes aux yeux et de la gratitude d’avoir trouvé un petit cirque où j’avais ma place. S’apercevoir, après vingt ans à dessiner tout seul, qu’une petite armée française bardée de projecteurs et de câbles veut bien jouer avec moi…”. Le matériau de la fiction, c’est un mélange de bande dessinée et de dessins, dont la somme se lit comme un roman. Les dessins sont issus des 43 carnets remplis par Sfar (1 800 dessins et 12 kilos de papier). Sfar a dessiné pendant trois ans “de façon maladive et joyeuse”, avant même la première mouture du scénario, puis à côté de la caméra… Entre le jour où il griffonne une Bardot imaginaire qui marche dans un couloir et celui où il peint Lætitia Casta en cuissardes, deux ans se sont écoulés. Entre le dessin d’après nature, on voit se construire le film. Le dessin a permis à Sfar de se faire une idée de ce qu’il allait raconter, puis de tout expliquer à son équipe. C’était sa façon de dialoguer avec les comédiens, les costumiers, les maquilleurs, le décorateur. Mais le dessin n’est pas seulement utile, il change le regard du réalisateur. Et on apprend dans ce livre que “les films de dessinateurs se fabriquent dans un autre lieu que les autres films ”.
Actualité
Cinéma : Sortie de « Gainsbourg (vie héroïque) » le 20 janvier 2010 (http://www.gainsbourg-lefilm.com/joann-sfar/)
Livres :
« Gainsbourg (hors champ) » et « Gainsbourg (images) », sortie le 4 décembre 2009 chez Dargaud.
« Socrate, le demi-chien » volume 1, 2 et 3, sortie le 11 novembre 2009 chez Dargaud : Les aventures du chien d'Héraclès dans l'Antiquité.
« L’Ancien Temps », Volume 1 : « le roi n’embrasse pas », sortie le 11 novembre 2009 (manque provisoirement) chez Gallimard
Site de Joann Sfar: www.toujoursverslouest.org
Joann Sfar est né en 1971à Nice. Son père est séfarade et sa mère ashkénaze. Son grand-père faillit être rabbin. Sans être consacré au sujet, les albums de Joann Sfar sont habités de références kabbalistiques. De l’enseignement juif et philosophique, on pourrait dire qu’il a gardé le goût de la contradiction, un certain rapport à la langue et à la lettre et pour le cosmopolitisme. Il commence à dessiner jeune, peut-être par ennui. A 15 ans, il envoie son travail à quelques éditeurs mais encaisse les refus. Il continue alors ses études et entame un cursus de philosophie à Nice où il travaille sur le problème de la figuration chez les peintres juifs (Le Complexe du Golem), Joann Sfar a terminé sa formation aux Beaux-Arts de Paris, dans l'atelier de Pierre Caron. Il se passionne pour les cours de morphologie.
Brouillon ou prolifique : l’œuvre de Joann Sfar
Puis, pour la première fois, en 1994, trois éditeurs acceptent de le publier en commençant par Noyé le poisson chez L’Association. Depuis, Joann Sfar commence de multiples séries sans forcément les achever, il ne se fixe pas de calendriers, ses œuvres donnent ainsi l’impression d’être en roue libre et sans véritable unité. Sur son blog (toujourserslouest.org), il s’explique de cette suractivité qui pourrait sembler manquer d’aboutissement : « (…) raconter en quelques mots ce que c'est, pour moi, de faire des albums de bandes dessinées. Ce sont des voix. Petit Vampire. Le Minuscule Mousquetaire. Grand Vampire. Chacun de ces personnages c'est une voix. A chaque fois, j'essaie que chaque album constitue une histoire complète. Et j'annonce la suite en fin d'album pour dire que cette petite voix n'est pas morte, qu'on l'entendra à nouveau un jour. (…) Je voulais dire que je sais écrire des histoires avec un début un milieu et une fin. Quand j'écris pour le cinéma, je crois que c'est ce que je parviens à donner.»
A un rythme effréné donc, il apparaît au générique de plus d’une centaine d’albums réalisés seul ou en compagnie et ce pour une dizaine d’éditeurs. Chez l'éditeur Delcourt, il est vu comme un scénariste, et son œuvre montre un goût du conte. A l'Association, il raconte des histoires moins convenues avec un trait bien à lui, apparemment désinvolte mais surtout soucieux de ne pas gâcher l'énergie de l'instant et de l'inspiration par la préoccupation de faire un « beau dessin ». Il se rapproche d'artistes du dessin de presse ou d'humour. Il a d’ailleurs tenu une page hebdomadaire (Mon cahier d'éveil) dans Charlie Hebdo entre mi-2004 et septembre 2005. Sa philosophie de travail : « Rester en posture d’élève », se sentir « à l’égard du dessin comme le philosophe à l’égard de la vérité : non pas prétendre la détenir, mais cheminer avec justesse dans sa direction. » (Libération, 25 novembre 2003).
Parmi ses séries marquantes, il y a bien sûr Le Petit Prince, avec Cassian, Joann Sfar crée une espèce de double du Petit Prince en sexué et amoureux, porteur d’interrogations contemporaines et échappé du désert pour vivre dans un monde luxuriant. Pendant le tournage de « Gainsbourg », Joan Sfar dessinait pour se détendre et a attaqué une nouvelle série : L’Ancien Temps qui marque le retour de l’auteur à un travail de bande dessinée personnel.
« Le dessin signifie juste : regarde avant d’ouvrir ta gueule »
Joann Sfar trouve que la France est très en retard dans le domaine du livre illustré, incapable de donner un visage autre que « naturaliste » aux peurs contemporaines. Dans ses carnets autobiographiques, il dit : « Le dessin fait voler en éclats les chimères philosophiques et littéraires qui nous séparent des choses. On entre en dessin comme on briserait une glace. On y découvre que l’autre n’existe pas, que les êtres et les choses ne sont pas délimités. Que nous ne sommes qu’un bain de formes. Aussi sûrement que la poésie d’Henri Michaux, le dessin renseigne sur ce que nous sommes. ».
Après la bande dessinée, le commentaire philosophique (Candide et Le Banquet, éditions Bréal : classiques de philosophie annotés et illustrés par Sfar, ainsi que de petits dialogues) et le roman (L'Homme arbre), Joann Sfar s'est donc attaqué à un nouveau défi : l'écriture d'un scénario pour le cinéma.
La réalisation : « Gainsbourg (vie héroïque) »
Joann Sfar a déjà participé à la réalisation de clips (Dyonisos, Thomas Fersen) mais « Gainsbourg (vie héroïque) » est son premier long métrage. Un casting haut de gamme : Eric Elmosnino dans le rôle titre (Sfar pense d’abord à faire jouer Serge Gainsbourg par sa fille, Charlotte Gainsbourg hésite puis elle refuse), Gonzales pour ses mains, Laetitia Casta, Anna Mouglalis, Yolande Moreau… 14 millions de budget : « C’est un mélange de superproduction et de bouts de ficelle » (L’Express, 10 septembre 2010).
Joann Sfar s’est indéniablement construit une véritable légitimité dans le monde de la bande dessinée mais il en va autrement dans le cinéma et il a décidé de commencer en nous livrant une vision personnelle de Serge Gainsbourg, bien loin d’un biopic à l’américaine à laquelle sa vie se serait pourtant facilement prêtée. Si d’autres avaient déjà pensé à faire un film sur Gainsbourg, ils n’avaient pas franchi l’obstacle des ayants droit, « ils m’ont dit oui, sans doute parce que mon projet était le plus bizarre, qu’il s’agissait pour moi de fabriquer une mythologie et non pas de suivre servilement le détail de la vie de quelqu’un. » (Télérama, 29 juillet 2009). Ferait-il même de la vie de Gainsbourg un conte philosophique ? : « Ce sera aussi une histoire de trahison et de renoncement : Gainsbourg voulait faire de la peinture, et ça n’a pas marché, il voulait faire du jazz et c’est resté confidentiel, il s’est résolu à écrire pour les gamines, il a fait des concessions et le succès est venu – mais l’œuvre est restée sublime. Si ce film a la vertu d’enseigner aux jeunes gens que l’intégrité peut être un défaut, tant mieux… » (Télérama, 29 juillet 2009)
Déjà, à peine arrivé à Paris, Sfar est attiré par le personnage de Serge Gainsbourg : quelques mois avant sa mort, il pense faire une BD à partir de son roman "Evguenine Sokolov", Sfar dépose quelques pages dans la boîte aux lettres rue de Verneuil, comme une espèce d’hommage. C’est ainsi que la toute première BD de Sfar disparaît.
Gainsbourg (hors champ)
Dans l’introduction, Sfar se remémore à propos du tournage : “J’avais sans cesse un sourire d’une oreille à l’autre et les larmes aux yeux et de la gratitude d’avoir trouvé un petit cirque où j’avais ma place. S’apercevoir, après vingt ans à dessiner tout seul, qu’une petite armée française bardée de projecteurs et de câbles veut bien jouer avec moi…”. Le matériau de la fiction, c’est un mélange de bande dessinée et de dessins, dont la somme se lit comme un roman. Les dessins sont issus des 43 carnets remplis par Sfar (1 800 dessins et 12 kilos de papier). Sfar a dessiné pendant trois ans “de façon maladive et joyeuse”, avant même la première mouture du scénario, puis à côté de la caméra… Entre le jour où il griffonne une Bardot imaginaire qui marche dans un couloir et celui où il peint Lætitia Casta en cuissardes, deux ans se sont écoulés. Entre le dessin d’après nature, on voit se construire le film. Le dessin a permis à Sfar de se faire une idée de ce qu’il allait raconter, puis de tout expliquer à son équipe. C’était sa façon de dialoguer avec les comédiens, les costumiers, les maquilleurs, le décorateur. Mais le dessin n’est pas seulement utile, il change le regard du réalisateur. Et on apprend dans ce livre que “les films de dessinateurs se fabriquent dans un autre lieu que les autres films ”.
Actualité
Cinéma : Sortie de « Gainsbourg (vie héroïque) » le 20 janvier 2010 (http://www.gainsbourg-lefilm.com/joann-sfar/)
Livres :
« Gainsbourg (hors champ) » et « Gainsbourg (images) », sortie le 4 décembre 2009 chez Dargaud.
« Socrate, le demi-chien » volume 1, 2 et 3, sortie le 11 novembre 2009 chez Dargaud : Les aventures du chien d'Héraclès dans l'Antiquité.
« L’Ancien Temps », Volume 1 : « le roi n’embrasse pas », sortie le 11 novembre 2009 (manque provisoirement) chez Gallimard
Site de Joann Sfar: www.toujoursverslouest.org
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