L’inspiration nocturne
La figure féminine. Durant cette nuit dans la forêt, les têtes avec qui dialoguent le narrateur sont des femmes, la figure féminine, allégorie classique de l’inspiration, devient le réceptacle de tous ces questionnements existentiels. Mais elle aussi posera des questions, paraissant inquiète à propos de l’amour que le narrateur peut porter aux têtes. Les têtes exercent une force d’attraction sur le narrateur mais on ne sait pas, finalement, si l’on doit les craindre ou espérer leur bienveillance : « Disons que je sois votre limaille, une poudre, un métal très docile dont vous faites votre sujet. Ou votre victime. C’est selon. Cela dépend de votre intérêt ou de votre curiosité pour moi. » (p.10). La femme est ainsi à la fois l’attirance et l’exclusion, l’autre : « C’est d’un autre lieu qu’il s’agit, en nous et en dehors de nous (…) en même temps vers l’intérieur de nous-mêmes qui est difficile à montrer. » (p.14). Mais c’est un autre qui permet de se rapprocher de soi-même, « un déplacement implicite (…) vers les zones les plus cachées, mais de moi bien reconnues ; de qui j’étais et de quoi je songeais » (p.29). Et puis, la féminité est aussi à rapprocher de la beauté, une beauté qui serait un danger car elle empêche de parler et d’écrire, elle est « le fer rouge qu’on écraserait sur ma bouche » (p.38).
Un travail de collaboration ? Ce texte devenu posthume a été inspiré de l’œuvre du sculpteur-graveur Manuel Müller, ces œuvres qui pourraient prendre place dans un musée imaginaire d’ethnographie sont donc plus qu’une illustration du texte. Il faut imaginer un vrai travail de collaboration entre deux œuvres artistiques qui se répondent, au-delà peut-être de la volonté même des artistes. Les sculptures de Manuel Müller pourraient donc être un élément déclencheur de l’écriture, une œuvre qui trouve écho en elle, comme une promenade exploratoire rendue possible par le dialogue du poète avec une voix sortie d’entre les mains de l’artiste plasticien. Les têtes qui peuplent la forêt sont-elles les mêmes que les sculptures de Manuel Müller ? Elles ont en tout cas la même propriété fascinante, la magie qui attire et impose le questionnement. Le recueil serait alors le rassemblement de deux formes artistiques distinctes autour d’une même question sur le sens de la vie.
Finalement, ce travail de collaboration, appelons-le ainsi, trouve une explication dans le dernier chapitre du texte. C’est aussi un aveu : il n’est pas possible d’expliquer le mystère de l’inspiration et de la création : « Demeure le mystère de la forme que la réflexion, et le rêve, ne sont pas près d’expliquer » (p.51). Ce que les sculptures nous montrent de manière encore plus évidente que l’écrit, c’est la création ex nihilo puis l’évidence devant laquelle le met l’apparition de la chose voulue, inventée par l’artiste qui en fait une œuvre.
Merci beaucoup pour votre lecture de grande sensibilité.
RépondreSupprimerLuca Notari