Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012
En exergue du dernier roman de Delphine de Vigan, Pierre Soulages explique comment la clarté était venue du noir envahissant pourtant l’entièreté de sa toile. Ainsi en est-il de l’histoire familiale des Poirier, de celle de l’auteur : des allers-retours de la lumière à l’ombre à la lumière…
D’abord, c’est une famille nombreuse : une femme dont la dizaine de grossesses ne fait que renforcer son être ; un mari heureux, peut-être volage mais aimant ; puis des enfants assez beaux pour faire les couvertures des magazines. Parmi cette effervescence d’enfants qui ne cessent de naître, la disparition d’un puis de plusieurs enfants sonne comme le malheur inéluctable à une chronique familiale. Puis, au fil du roman, vient poindre, de manière insidieuse, un malheur plus définitif. Le suicide de la mère de l’auteur inaugure le roman et en est le motif. L’écriture relève alors d’une nécessité, d’une posture salutaire face à la mort. L’auteur va remonter le temps pour savoir, comprendre, enquêter, interroger la famille, lire des lettres, écouter des mémoires, bousculer, se souvenir, déceler le secret connu de tous et le faire connaître à tous.
« L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. » Mais ce roman n’est-il pas la preuve que l’interrogation, la conscience du passé posent les marques d’un chemin salvateur, qui se construit contre le silence. Car c’est à cela que doit faire face la narratrice : le silence de l’histoire de sa famille, le tabou autour duquel chacun s’est construit sans jamais dire, sans jamais accuser. En premier, la mère de l’auteur avait révélé l’inceste avant de tomber dans la folie parce que sa famille lui opposait un silence. A la mort de sa mère, reprenant le flambeau comme pour la saluer, dépassant le seul cadre de la famille, Delphine de Vigan va rendre au grand public (elle publie un livre dont on connaît déjà le succès) ces choses que rien ne justifie et qui seront pourtant les fondements branlants de l’existence de sa mère, puis de la sienne.
Souvent, on sent le désespoir de l’écrivaine : « L’écriture ne donne accès à rien. » Peut-être là réside la faiblesse de l’écriture de Delphine de Vigan, l’écart qu’il existe entre un récit, aussi touchant soit-il, et un roman, ce que transporte l’esthétisme de l’écriture, ce à quoi elle donne accès. Un désespoir à l’image de ce qu’elle a eu à affronter : s’occuper de sa propre mère et grandir dans une incertitude permanente.
Le roman de Delphine de Vigan est l’histoire d’une vie qui, aussi dramatique fusse-t-elle, donne la preuve d’une clarté dont seul l’homme peut être l’auteur.
"Rien ne s'oppose à la nuit", Delphine de Vigan, JC Lattès
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